Contexte d’écriture
Performance orale présentée d’abord lors d’un évènement en ligne soulignant l’anniversaire de l’Alliance internationale des femmes, et ensuite lors d’une intervention en direct sur la grande place de la ville de Puebla au Mexique, « Pandémique 2020 » jette un regard critique sur l’impact de la pandémie sur la vie des femmes. Inti Barrios souligne qu’au Mexique et ailleurs, l’enjeu du confinement, pour beaucoup de femmes, se résume à choisir entre s’isoler et souffrir de la faim, ou courir le risque de sortir pour travailler. Une pandémie qui devient prétexte à un plus grand contrôle de la vie des femmes, et qui vient exacerber l’insécurité et la violence qu’elles subissent déjà.
Pandémique 2020
Les derniers communiqués des autorités sanitaires prétendent que le virus reste actif durant des heures dans l’air : en conséquence, il est recommandé de garder les yeux fermés et de se boucher le nez. Et puis la bouche ; il vaudrait mieux la fermer.
À moins que ce ne soit pour dénoncer ton voisin au 01800 pandémie.
– Allo la police, cette personne ne porte pas de masque !!!
– Ah, mais ! C’est mal, même très mal… (On pourrait l’embarquer et lui donner la raclée de sa vie, ça servirait d’exemple pour les autres.)
Je cesse de respirer à 4 heures du matin
Parfait, comme ça vous ne pourrez pas vous infecter.
– Ne comprenez-vous pas ?! Ne sortez pas de la maison ! Vous courrez un grand danger.
– La police pourrait vous tomber dessus, par exemple ( rires ).
Moi, c’est sûr, je reste à la maison, pas comme ces gens stupides qui sortent dans la rue et ne suivent pas les règles. Qu’est-ce que ça leur coûterait d’obéir ?! Moi je reste positive, je ne veux que le meilleur pour moi et ma famille. Il est tellement facile aujourd’hui de se faire livrer tout ce qu’on veut ! Les emplettes, la nourriture, tout arrive directement à ta porte, plus besoin de sortir.
Je me lève chaque matin pour chercher de la nourriture, je ne peux pas rester enfermée. J’ai deux enfants qui ne cessent de dire qu’ils ont faim. À l’école, ils disent que les cours vont maintenant se donner par Internet. Quel Internet ?! Quand on a tant de mal à s’éclairer. Et avec quel ordinateur ? Mais de quel pays parlent-ils ? Depuis quel pays décident-ils ? Depuis quelle table bien garnie nous disent-ils de demeurer à la maison ?
Je ne peux plus respirer
Nous partons travailler avec la peur d’être agressées, violées, assassinées. Ici, la violence est sans fin, c’est ça la pandémie, dix assassinats par jour selon les statistiques. Tu ne sais pas quand viendra ton tour… il n’y a pas d’âge pour ça. La fillette de la voisine, ils l’ont enlevée. Elle vendait du pain sur un coin de rue pour aider sa famille. On l’a retrouvée gisant sur un terrain vague. À 8 ans, 8 petites années qu’elle avait.
Je manque d’air
Ce n’est pas « la » violence, ce sont « les » violences.
Ce n’est pas « une » pandémie, ce sont « des » pandémies. Et elles ont chacune leur nom : faim, dépossession…
Beau prétexte, la pandémie, pour pousser les projets de développement, alors les éoliennes s’imposent. Tchou-tchouuu ! Ils nous invitent à monter dans le train, que ce sera mieux, que dans le train il sera plus facile de vendre notre artisanat aux touristes, ou même de demander l’aumône.
– Ça s’appelle le développement, stupide Indienne ! Foncée, et idiote en plus.
Je ne peux plus respirer
Reste à la maison. Dehors l’air est contaminé. À l’intérieur tu es en sûreté.
Chanson : Je ne peux respirer, sans toi, sans tes baisers, sans connaître le moindre de tes mouvements. J’ai besoin de te contrôler, tu es à moi rien de plus.
Mon agresseur n’était pas dans la rue.
Il vit ici près de moi. Il dort avec moi.
Ces jours-ci, il y a la peur partout dans la demeure.
Les os brisés, mais vous savez combien je tombe souvent.
Maintenant que je suis isolée, à qui pourrais-je demander de l’aide ?
Il n’y a que lui. La police dehors, et dedans aussi.
Ce n’est pas « une » pandémie, ce sont « des » pandémies.
Je suis invisible et ce n’est pas d’hier.
Dans la maison je me noie, je manque d’air.
Je ne peux plus respirer.
Ne va plus aux réunions, fini les comités.
L’économie avant la santé. Et que meurent ceux qui ne valent pas mieux.
Nous sommes toutes habituées à vivre dans l’urgence.
Notre rivière était contaminée bien avant que commencent à y flotter les masques et les gants de plastique.
La pandémie était déjà ici.
Je veille sur moi et sur toi.
Je ne me tairai pas, j’interroge, je n’arrête pas de questionner.
La résistance aussi existait déjà.
Il y avait les mères et les sœurs.
Mon clan.
Elles sont là, telle cette lumière.
Que je vois à travers mes lunettes.
Telle cette voix qui est là derrière le masque.
Telle cette main qui franchit la distance imposée.
L’étreinte n’est pas morte…
Je respire.
Traduction par Pierre Bernier
Photographie par Fernanda Rodríguez Rosales
Inti Barrios
INTI BARRIOS est une actrice, scénariste, animatrice de radio et conteuse d’origine mexicaine, qui a passé cinq ans à Montréal. Son travail créatif est lié au travail des organisations sociales et des droits humains. Elle travaille actuellement à Radio Huayacocotla, La Voz Campesina, à la fois dans la production de programmes et dans le travail de la voix avec les animateurs.trices.