Alors que la température globale augmente gra-duellement à des niveaux inattendus comme résultat de la pollution globale, les problèmes de sécurité alimentaire et d’approvisionnement en eau s’accentuent. Les impacts de plus en plus sévères – inondations, sécheresses extrêmes, etc. – se conjuguent pour rendre de plus en plus insoutenables les façons de garantir la vie. Cependant, la manière dont nous sommes affecté.e.s dépend de plusieurs aspects, dont l’un des plus importants est le fait d’être une femme. 70% des 1,3 milliard de personnes touchées par la pauvreté absolue[1] sont des femmes[2] – celles-ci étant les membres les plus vulnérables de communautés qui, vu le changement climatique, sont de plus en plus pauvres, souffrent toujours plus de la faim, consacrent de moins en moins de ressources aux soins des enfants et, finalement, envisagent l’émigration comme unique porte de sortie[3].
Après une catastrophe, ce sont les femmes qui, histo-riquement, « sont tenues responsables de la reproduction de leurs familles. Ce sont elles qui doivent garantir que leurs enfants aient à manger, se privant souvent elles-mêmes de nourriture, et qui doivent s’assurer que les aînés et les malades reçoivent des soins »[4].
Toutes ces dynamiques touchent les femmes tant en Bolivie que dans d’autres pays, particulièrement ceux du Sud. Malheureusement, la recherche et les travaux sur les impacts du changement climatique en Bolivie ne s’intéressent que rarement à leurs répercussions sur les femmes, particulièrement dans les contextes périurbains.
Nous pouvons apprendre beaucoup de l’expérience des femmes de la communauté María Auxiliadora, dans le département de Cochabamba, en Bolivie, en tirer plusieurs leçons et nous en inspirer afin d’élaborer des solutions alternatives qui répondent non seulement aux impacts du changement climatique, mais aussi à la violence structurelle que vivent la majorité des femmes dans ce genre de contexte. Cette expérience a émergé il y a quinze ans dans une zone agricole qui fait maintenant partie de la zone urbaine et où une grande partie de la population vit aux marges des possibilités socioéconomiques. Le projet repose sur l’initiative de cinq femmes qui ont vu dans le territoire collectif une solution alternative pour affronter la marchandisation de la terre, la crise du modèle économique et la violence vécue par les femmes. Dans cette zone, une grande partie de la population correspond à plusieurs générations de migrants provenant de zones rurales de tout le pays, particulièrement de La Paz, d’Oruro et de Potosí. Dans la communauté aujourd’hui, il y a environ 450 familles.
Les impacts du changement climatique en Bolivie
À cause de sa situation géographique et parce qu’elle fait partie des régions tropicales de haute montagne, la Bolivie a été affectée plus tôt et plus fortement qu’ailleurs par le changement climatique. La Bolivie est exposée aux principales répercussions suivantes : la détérioration de la sécurité alimentaire, le recul des glaciers qui affecte ainsi la disponibilité de l’eau, les désastres naturels plus fréquents et plus intenses, une augmentation des maladies transmises par les moustiques et plus d’incendies forestiers.
Cochabamba – où se trouve la communauté María Auxiliadora – était considéré comme le département ayant la plus grande production agricole du pays et il approvisionnait les autres départements de la Bolivie. Les phénomènes climatiques, dont des inondations, des sécheresses et des gelées, ont perturbé plusieurs régions du département de Cochabamba et ont causé des pertes ou des dommages critiques sur 60% des 25 883 hectares de cultures[5]. À la suite de ces phénomènes, les terres fertiles, qui ont toujours caractérisé la vallée de Cochabamba, sont maintenant différentes. En effet, la désertification et la sécheresse ont détérioré la terre; par conséquent, les producteurs préfèrent migrer à la ville pour chercher de nouvelles possibilités d’emploi[6].
À Pasorapa, il n’y a pas d’eau, même pas pour la consommation humaine, ce qui a pour effet de provoquer une migration massive vers les villes du pays et à l’étranger. Jour après jour, le bétail bovin et caprin agonise et meurt; les pertes dans la culture du maïs, de la pomme de terre et d’autres produits atteignent 100%[7].
Exclusion sociale, genre, et changement climatique : la réponse de la communauté María Auxiliadora
Les dangers associés au climat affectent directement la vie des gens pauvres en se répercutant sur leurs moyens de subsistance, en réduisant le rendement des cultures ou en détruisant leur domicile, et, indirectement par, notamment, l’augmentation des prix des aliments et l’insécurité alimentaire comme l’indique le rapport [du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat]. Pour ces gens (femmes pauvres), les effets « seront catastrophiques » à moins que les émissions [de carbone] puissent diminuer [selon Heather McGray du World Resources Institute][8].
La sévérité des impacts du changement climatique varie selon où nous vivons (vulnérabilité géographique), qui nous sommes (genre), notre classe économique et sociale, notre origine ethnique et les relations de domination et de violence dans lesquelles nous nous inscrivons. C’est pour cette raison que nous ne pouvons pas parler de femmes en général, bien qu’elles partagent des aspects communs parce qu’elles sont femmes. En effet, il existe différents aspects qui font que nous sommes différentes au moment de confronter la violence. Comme le raconte Doña Isabel, qui travaille en tant que cuisinière aux Services d’appui aux écoliers dans la communauté María Auxiliadora, naître dans la zone sud de Cochabamba (une zone périurbaine pauvre et marginalisée), par exemple, a plusieurs conséquences.
Vivre dans un appartement loué est très difficile; tu es dans une toute petite pièce, et c’est là où tu manges, où tu dors, les enfants ne peuvent pas sortir dehors, ils ne peuvent pas aller jouer, c’est inconfortable, la propriétaire te demande rapidement l’argent du loyer, de l’eau, de l’électricité. Il faut tout payer.
La communauté a réagi face à la violence que subissent les femmes et leurs enfants, qui, faute d’avoir leur propre maison, sont désavantagés face aux autres formes de violence. L’expérience collective qui en a émergé se distingue par les règles qui ont été promulguées, l’une des plus importantes étant que les femmes assument la présidence de l’administration de la communauté afin, justement, de garantir le respect de ces règles. Cela permet de solutionner les principaux conflits que les femmes ont affrontés dans le passé. Une autre règle fondamentale réside dans le caractère social non-marchand de la terre qui ne peut ni se vendre, ni se louer. On ne peut non plus la diviser lorsqu’un couple décide de se séparer, et le logement revient à celui ou celle qui prend la responsabilité des enfants, surtout des femmes.
Comment est le travail d’une femme dans la communauté?
Les emplois qu’occupent les femmes de la communauté, en plus du travail à la maison, sont les moins bien rémunérés. La majorité des femmes travaillent dans le secteur informel comme vendeuses au détail, cuisinières, domestiques et blanchisseuses. Vivre les répercussions du changement climatique dans ces conditions signifierait encore plus de travail pour ces femmes et accentuerait les difficultés économiques que plusieurs d’entre elles affrontent même si elles sont maintenant assurées d’avoir leur propre maison dans la communauté.
La majorité de ces femmes dorment peu et travaillent plus de 8 heures en dehors de leur maison. C’est le cas de Doña María Eugenia, la présidente de la communauté, qui fabrique des pâtisseries jusqu’à 3 ou 4 heures du matin pour les vendre aux enfants de l’école de la communauté en plus de se dédier durant le jour aux activités communautaires. Le temps que les femmes investissent dans les tâches reproductives n’est pas rémunéré et les tâches productives sont mal payées.
Quelles sont les conséquences d’être une femme leader dans la communauté María Auxiliadora?
Être leader dans la communauté lorsqu’on est un homme n’est pas la même chose que lorsqu’on est une femme. À María Auxiliadora, la règle veut que les femmes soient les leaders de la communauté car autrement elles seraient exclues des décisions importantes qui affectent leur vie. Être leader et femme implique plusieurs défis, entre autres de disposer de temps alors qu’il est insuffisant. Un autre de ces défis est la critique sociale à l’endroit des femmes qui endossent la responsabilité d’être leader. Par exemple, l’une de ces critiques est que les femmes ne devraient pas se trouver dans la sphère politique, encore moins si elles sont mères célibataires. C’est le cas de Doña María Eugenia, qui, heureusement, a pu se séparer de son conjoint qui a même essayé de porter atteinte à sa vie.
On m’a crié toutes sortes de choses parce que je n’avais pas de conjoint, on me disait que je n’étais pas une femme de famille, que j’étais une femme qui cherchait des hommes, on m’insultait, on me discriminait. Un homme m’a même donné un coup de poing et m’a frappée devant les Forces spéciales de lutte contre le crime de la police, et il a été arrêté…
Face à l’accentuation des impacts du changement climatique et la nécessité de s’adapter et de lutter contre ce changement de manière structurelle, il est essentiel que les femmes s’engagent dans une perspective qui ne reproduise pas les mêmes pratiques qui ont donné lieu à ces impacts de même qu’à la violence faite aux femmes. Par exemple, prendre des responsabilités dans une communauté avec ces caractéristiques, en étant femme et dans les circonstances propres à la zone sud de Cochabamba, remet en question les stéréotypes de la mère-épouse.
Affronter la violence vécue par les femmes dans un contexte de crise climatique
La violence vécue par plusieurs femmes dans la communauté María Auxiliadora est assez brutale. Le fait de charger une commission communautaire de l’intervention dans les situations de violence contre les femmes reflète le caractère politique et social avec lequel est abordée cette injustice. Bien entendu, ce n’est pas là le seul défi, mais il existe des cas où il a été au moins possible d’éloigner des agresseurs très violents grâce au principe communautaire de la non-partition et de la non-division des parts après la séparation d’un couple. « … à une autre occasion, nous nous sommes mis à nous bagarrer, la brigade a été appelée, et ils l’ont arrêté; depuis ce temps, je suis séparée… » (Entrevue avec Irene Cardozo).
Le fait de vivre en communauté n’est pas seulement une forme efficace de freiner la marchandisation de la terre et du domicile et d’économiser des ressources pour vivre de manière durable – entre autres en réutilisant l’eau, en utilisant des toilettes sèches, en s’autosuffisant grâce à des potagers urbains –, surtout dans un environnement où les impacts du changement climatique s’intensifient graduellement. Dans ce contexte, c’est aussi une manière d’affronter la violence faite aux femmes.
Dans la communauté, non seulement la terre est collective, mais le sont également le travail et les décisions face aux défis qui se présentent. Ceci est fondamental en cas de conflit ou de désastre naturel, en plus d’être une stratégie qui permet d’économiser des ressources qui seront toujours plus rares à cause de l’aggravation des impacts du changement climatique. S’organiser de manière collective n’est pas facile, mais cela a permis à la communauté María Auxiliadora de pouvoir compter sur des services de base, de réussir à construire des espaces communs autogérés et d’affronter la violence vécue par les femmes.
Il est maintenant temps pour tous, hommes et femmes, d’apprendre à affronter les conflits, la crise économique et climatique et l’injustice sociale sans se soumettre à d’autres, surtout pour les femmes. Vivre mieux signifie non seulement vivre de manière plus durable, sans polluer, mais aussi que tout cela ne retombe pas sur les épaules des femmes, surtout en prenant en compte que la majorité d’entre elles sont pauvres.
La réponse des femmes de la communauté María Auxiliadora face aux répercussions du changement climatique dans le contexte de triple violence qu’elles vivent en tant que femmes – parce qu’elles ont peu de ressources, à cause de leur origine ethnique et d’autres problèmes pré-existants – témoigne d’une solution alternative dont nous devrions tenir compte au moment d’affronter le changement climatique.
Je dis que la communauté María Auxiliadora, c’est David contre Goliath, c’est l’individualisme vs. la collectivité… – Rosa Angulo
Photo : María Eugenia : « Oui, je compte pour quelque chose », Carey Averbook, 2014.
Notes
[1] La pauvreté absolue correspond à la situation des personnes qui passent leur journée sans manger.
[2] Aldunate, V. (2009). « Género ¿Qué es género?… El feminismo no muerde… ». Kaos en la Red, 4 février, en ligne : http://old.kaosenlared.net/noticia/genero-genero-feminismo-no-muerde, (page consultée en août 2015).
[3] Efe- agencia (2013). « El cambio climático hace más pobres a los pobres ». Los Tiempos, 16 novembre, en ligne : http://www.lostiempos.com/diario/actualidad/vida-y-futuro/20131116/el-cambio-climatico-hace-mas-pobres-a-los-pobres_235369_510578.html (page consultée en août 2015).
[4] Federici (2013). « Revolución en punto cero, Nueva York, Traficante de Sueños », mai, p. 176.
[5] Opinion (2014). « Graves daños en los cultivos de Cochabamba », 7 avril, en ligne : http://www.opinion.com.bo/opinion/articulos/2014/0407/noticias.php?id=124742 (page consultée en août 2015).
[6] Mena Molina, M. I. (2011). « Cochabamba atraviesa una etapa crítica en su producción agrícola », Opinion, 20 février, en ligne : http://www.opinion.com.bo/opinion/informe_especial/2011/0220/suplementos.php?id=215 (page consultée en août 2015).
[7] Entrevue avec Eliseo Barriga, conseiller municipal de Pasorapa, Pasorapa, 2010.
[8] Smith, M. (2014). « Los 10 países en mayor riesgo por el cambio climático », CNN, 31 mars, en ligne : http://cnnespanol.cnn.com/2014/03/31/los-10-paises-en-mayor-riesgo-por-el-cambio-climatico/ (page consultée en août 2015).
Leny Olivera Rojas
Leny Olivera Rojas est une activiste féministe bolivienne qui a étudié la sociologie et qui est engagée depuis 2005 dans un groupe de femmes autonomes qui luttent contre la violence faite aux femmes. Elle travaille au Centre pour la démocratie (Centro para la Democracia) et est co-auteure du projet « Le changement climatique, c’est… parler des femmes » (Cambio climático es… hablar de mujeres).