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Lorsque terre rime avec vie : la perspective des f...

Lorsque terre rime avec vie : la perspective des femmes sur la question des terres et des eaux au Guatemala

De l’énergie pour quoi? Et pour qui?

Durant des siècles, la rivière protégea nos ancêtres; en échange, ceux-ci se chargeaient également d’en prendre soin, créant ainsi un parfait équilibre. La rivière était notre source de vie et la vie appartenait à la rivière. – Les voix de Rio Negro : pousses de mémoire, un nouveau jour brille[1]

La communauté de Rio Negro est paisiblement installée au sommet de la montagne, surplombant la rivière du même nom. Tranquillement, les générateurs au gaz et les panneaux solaires désormais désuets se voient remplacés par des lignes électriques. Presque trente-cinq ans ont passé depuis les massacres de Rio Negro. Ces massacres ont permis de libérer l’espace nécessaire à la construction du plus grand barrage du Guatemala, à seulement quelques kilomètres, mais la communauté vient tout juste d’être connectée au réseau électrique étatique.

La communauté moderne Maya Achi qui a habité cette zone pendant plus de deux cents ans, alors que les Mayas y ont résidé durant des millénaires, a été presque entièrement éliminée au début des années 1980 par le biais d’une série de massacres perpétrés par les forces de sécurité de l’État, dans le but de faire de l’espace pour le barrage hydroélectrique de Chixoy. Ce projet était en grande partie financé par la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement et aujourd’hui, ce projet est présenté par l’Institut national d’électrisation (INDE) comme le principal exemple d’énergie renouvelable et verte au Guatemala, malgré les violences extrêmes qu’il a engendrées, notamment des viols, de la torture et des meurtres, et l’absence de justice pour les victimes[2].

Le 12 septembre 2012, la Cour interaméricaine des droits humains a ordonné le versement de compensations pour les survivants et les victimes de Rio Negro et le US Consolidated Appropriations Act de 2014 a exigé que l’État guatémaltèque mette en œuvre un système d’indemnisations avant que l’aide militaire ne soit complètement remise en place[3]. Le 15 d’octobre, finalement, le gouvernement guatémaltèque a commencé à payer les réparations alors que le barrage Chixoy continue à produire 35% de l’électricité du pays, sans aucune conséquence[4].

Où va toute cette électricité ?

Le matin lorsque je quitte ma demeure, je demande à Dieu de me protéger. C’est tout ce que je peux faire. – Crisanta Pérez[5]

À deux cents kilomètres de là, Gregoria Crisanta Pérez prépare de la nourriture destinée à être vendue devant l’école primaire de sa communauté. Sa maison compte quatre lampes et Crisanta cuisine au bois. À un kilomètre de sa demeure, l’entreprise canadienne Goldcorp Inc. exploite la plus grande mine du Guatemala, produisant de l’or, de l’argent et d’autres métaux précieux, 24 heures sur 24. En 2012 et en 2013, la mine Marlin se classait au troisième rang des plus importants consommateurs d’électricité au pays[6].

Bien que la mine à ciel ouvert ne produise plus à sa capacité maximale, des tunnels sillonnent toujours le sous-sol de toute la communauté, notamment sous la demeure de Crisanta. En juillet 2015, Goldcorp a annoncé des records en matière de production d’or, grâce à Marlin et à ses nombreux autres projets situés aux quatre coins des Amériques[7].

Quand elle n’est pas occupée à préparer des collations faites principalement à partir de maïs bouilli ou frit, Crisanta s’occupe de ses enfants et petits-enfants et assiste à des réunions communautaires. Elle vit à Agel, dans la région de San Miguel d’Ixtahuacan, où elle est vice-présidente du conseil de développement local et présidente du comité de la communauté dédié à l’eau.

Je fonds en larmes lorsque je pense que mes filles et mes petites-filles ne pourront pas bénéficier des remèdes que j’ai jadis utilisés. Ils ne sont plus disponibles pour elles. La montagne où nous allions cueillir les plantes pour soulager les douleurs des femmes venant d’accoucher n’existe plus. Toute cette richesse est disparue avec la montagne.

Crisanta, qui était au Canada en juin 2015, se souvient qu’elle amenait le mouton de la famille sur la montagne pour paître. « Je pouvais passer des journées entières assise sur le flanc de la montagne avec le mouton, parlant à la montagne, à ses arbres, à ses fleurs. Ils l’ont détruite. Nous avons perdu cette connexion avec la Terre Mère ».

La vie n’a pas été facile pour Crisanta et lorsqu’elle a commencé à soulever des questions concernant la mine et ses opérations, la compagnie a tenté de la soudoyer[8]: la compagnie avait besoin de ses terres pour y ériger des pylônes électriques à haute tension destinés à approvisionner la mine. Elle a refusé et a alors été considérée comme un risque pour l’entreprise. Crisanta a été menacée et harcelée, et a dû rapidement répondre à des accusations criminelles selon lesquelles elle aurait coupé l’alimentation électrique de l’usine de traitement[9]. Bien que les charges aient finalement été abandonnées, Crisanta a dû faire face à plusieurs poursuites, et la possibilité d’être emprisonnée était une menace constante. Certains de ses frères se sont retournés contre elle et elle a dû s’exiler au Mexique malgré ses sept mois de grossesse. Cependant, malgré toutes ces embûches, elle a tenu bon et n’a pas abandonné sa lutte. Ces évènements l’aidèrent également à affirmer davantage son identité en tant que femme Maya-Mam.

Cette lutte m’a permis d’approfondir mes liens avec ma nature Maya. Je comprends maintenant qu’on m’a donné la responsabilité de défendre la Terre Mère. Les gens peuvent être en désaccord avec moi, mais je dois demeurer courageuse et forte. Nous défendons notre territoire, notre vie. – Crisanta Pérez

Rio Negro, encore un barrage

Le Guatemala est un pays qui possède un important bassin de ressources naturelles renouvelables, qui à leur tour, possèdent un important potentiel énergétique. – L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

Le modèle intensif d’extraction des ressources du Guatemala exige de nouvelles ressources énergétiques. Qu’ils soient encouragés par les marchés nationaux et internationaux ou encore par les banques et l’ONU, la réalité demeure la même : les ports, les aéroports, les mines et les installations d’exploitation de pétrole, de gaz, de sucre et de biocarburants ont tous besoin d’électricité pour fonctionner. Les barrages fournissent de l’énergie propre et permettent au gouvernement de respecter son engagement face aux sociétés transnationales qui investissent au Guatemala, soit de les alimenter en électricité. De nombreux projets de barrage aux quatre coins du pays ont été soumis aux instances guatémaltèques. L’un des plus importants est celui de Xalala, dans le nord du pays, encore une fois le long du Rio Negro.

Le projet Xalala inonderait des communautés dans les municipalités d’Ixcan, d’Uspantan et de Coban, détruisant des terres agricoles et forçant la délocalisation de 58 communautés Maya Qeqchi[10]. Le projet de barrage fait partie du Système d’Interconnexion électrique pour des pays de l’Amérique centrale (SIEPAC), une initiative agressive du Projet d’intégration et de développement mésoaméricain. Xalala a fait face à une énorme opposition[11]. Les résidents locaux ont manifesté leur désaccord en rejetant le projet de barrage à 90% lors de consultations populaires à Ixcan en 2007[12] et à Uspantan en 2010.

En mai 2015, Erick Archila a démissionné de son poste de ministre de l’Énergie et des Mines du Guatemala alors qu’un scandale de fraude et de corruption impliquant des fonctionnaires d’État et l’armée battait son plein. Les membres du Congrès et les communautés affirment que les irrégularités survenues dans le processus d’approbation de l’étude de faisabilité concernant le projet de Xalala est également à l’origine de sa démission[13]. Le gouvernement guatémaltèque a permis à l’entreprise brésilienne Intertechne de compléter l’étude sans avoir recours à un processus d’appel d’offres, justifiant ce manque de transparence par l’urgence nationale[14].

Dans une vidéo réalisée par FIAN International, une résidente locale, Fabiana Jimenez, affirme :

Nous sommes contre le barrage de Xalala. Nous vivons de la terre. J’ai mal quand je pense à nos enfants. En tant que femmes, nous avons besoin de nos terres, car elles nous nourrissent, nous avons grandi à leurs côtés et c’est grâce à elles que nous nous soignons… Ces événements me brisent le cœur. Si nous perdons notre terre, nous perdons la vie.

Dans la même lignée, lorsqu’interviewée par The Guardian, Emilia Xico réaffirme la position des femmes de sa communauté.

Ce barrage n’est pas synonyme de développement pour nous. Nous sommes conscientes des choses que nous n’avons pas et, bien sûr, je désire pouvoir offrir la meilleure éducation possible à mes enfants – ce qui leur revient de droit – mais nous ne négocierons pas avec notre territoire et nos ressources naturelles sacrées. C’est tout ce que nous avons[15].

Le prix de la résistance

Je remercie Dieu de vivre ici, c’est ici à Rio Negro que je lutte avec ma communauté. – Doña Maria[16]

Partout dans le nord du Guatemala, les barrages et les projets miniers menacent les vies et les moyens de subsistance des communautés autochtones. Lorsque les entreprises sont confrontées à de la résistance, la criminalisation et les menaces sont utilisées pour écraser l’engagement communautaire, comme ce fut le cas pour Crisanta Pérez[17]. Dans Huehuetenango, des prisonniers politiques font actuellement face à de longues sentences criminelles pour des crimes qu’ils nient catégoriquement avoir commis[18]. Ils affirment que les charges sont motivées par des raisons politiques, conséquences de leur résistance au projet de barrage espagnol Hidro Santa Cruz.

Les projets de barrage dans le nord de Huehuetenango sont financés par la Banque mondiale, tout comme le barrage hydroélectrique de Chixoy. En mai 2015, l’activiste guatémaltèque Cecilia Merida a condamné la Banque mondiale, à son bureau de Washington, pour son manque de considération en ce qui a trait aux impacts du barrage sur la population locale. « Cette situation n’illustre pas uniquement un cas isolé de quelques individus (persécutés)…mais une attaque de la part d’Hidro Santa Cruz contre toute une population : celle de Santa Cruz Barillas »[19]. Il est difficile de prévoir comment les investisseurs vont répondre à la violence et la répression – semblables à celles vécues en temps de guerre – qui surgissent parfois dans le nord de Huehuetenango.
La persécution politique dans cette région nous rappelle un passé pas si lointain, lorsque la résistance de la communauté de Rio Negro a été contrée par une violence extrême et une quasi-extermination. Aujourd’hui, 15 familles sont revenues dans l’espoir de reconstruire Rio Negro après que la communauté ait pratiquement été rayée de la carte. Elles vivent de la terre : leur sort dépend du territoire sur lequel elles ont vécu pendant des siècles. Avec ou sans barrage, ce territoire est leur maison.

 

Photo : Crisanta Pérez montre l’extérieur de sa maison, Lisa Rankin.

Traduction : Macarena Lara

 


Notes

[1] Centro Histórico y Educativo Riij Ib’ooy Río Negro (2010). Catálogo de la exposición « Voces desde el Rio Negro. Brotando de la memoria, alumbrando un nuevo amanecer », en ligne : http://www.rio-negro.info, p. 11-23.
[2] Ministerio de Energía y Minas (2013). « INDE lanza programa Ruta de la Energía », en ligne : http://www.mem.gob.gt
[3] Human Rights Water (2015). « World Report 2015: Guatemala », en ligne : https://www.hrw.org/world-report/2015/country-chapters/guatemala
[4] « Chixoy Dam Reparations Payment Begins », Mi mundo.org, en ligne : http://www.mimundo.org/2729198-chixoy-dam-reparations-begin#2
[5] Halifax Media Co-op (2015). « Been to Jail for justice? », en ligne : http://halifax.mediacoop.ca/story/been-jail-justice/33648
[6] Centro de medios independientes (2013). « Sin Producción y Transporte Eléctrico no hay Minera », en ligne : https://cmiguate.org
[7] Goldcorp (2015). « Goldcorp Achieves Record Quarterly Gold Production; Updates 2015 Cost Guidance », en ligne : http://www.goldcorp.com
[8] Halifax Media Co-op (2015). Op. Cit.
[9] IC Magazine (2010). Op. Cit.
[10] Acoguate (2015). « Incertidumbre por el proyecto hidroeléctrico Xalalá », en ligne : http://acoguate.org
[11] NISGUA (2014). « Xalalá Dam: Communities maintain opposition as project moves forward », en ligne : http://nisgua.org/R79_XalalaDam2014.pdf.
[12] García, A. (2013). « VI Aniversario de la Consulta Comunitaria de Buena Fe en Ixcan ». Centro de medios independientes, en ligne : https://cmiguate.org/vi-aniversario-de-la-consulta-comunitaria-de-buena-fe-en-ixcan/
[13] Turkish Weekly (2015). « Guatemalan minister of energy and mines resigns », en ligne : http://www.turkishweekly.net
[14] CentroAmericaData.com (2014). « Guatemala: New Drive for Xalalá Hydroelectric Project », en ligne : http://en.centralamericadata.com
[15] The Guardian (2014). « Guatemala’s indigenous community threatened by mega-dam project », en ligne : http://www.theguardian.com
[16] Centro Histórico y Educativo Riij Ib’ooy Río Negro (2010). Op. Cit., p. 20-23
[17] Centro de medios independientes (2014). « El Caso de Saúl y Rogelio : Presos políticos en defensa del Territorio », en ligne : https://cmiguate.org
[18] Nisgua (2015). « Second solidarity festival for political prisoners in Huehuetenango », en ligne : http://nisgua.blogspot.ca/2015/06/this-is-all-of-our-struggle.html.
[19] Centro de medios independientes (2015). Transnacional vrs. Pueblo, en ligne : https://cmiguate.org/transnacional-vrs-pueblo/.

Jackie McVicar
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Jackie McVicar accompagne et relate depuis plus de dix ans les luttes des défenseur.e.s des terres, des peuples autochtones et des mouvements sociaux pour les droits humains en Amérique centrale.