Je viens d’une ville qui fut l’un des laboratoires du système capitaliste et patriarcal. Une ville qui a subi la guerre. Une guerre que nous n’avons pas voulue. Une guerre qui, en quatre ans, a rempli les rues de sang. Qui, en quatre ans, a tué 11 000 de nos fils et de nos filles. Une ville marquée par la militarisation et la violence extrême contre les femmes, par les féminicides.
Si je dis « Juárez », les gens pensent immédiatement aux croix roses et à la violence. Mais je suis ici pour vous transmettre les paroles de tant de femmes qui ne peuvent être ici physiquement avec moi, mais qui le sont en esprit et en pensée : elles m’accompagnent avec leurs luttes. Je suis ici pour vous dire que nous, les femmes de Ciudad Juárez, valons plus que des croix roses dans le désert. Que nous sommes des combattantes, des créatrices, que nous donnons la vie au milieu de tant de désolation, de tant de morts, de tant de destruction.
Nous sommes des femmes qui allons travailler jour après jour et subvenons aux besoins de notre ville. Nous aimons, nous rêvons, nous recherchons le bonheur et malgré tout, nous rions encore. Nous ne sommes pas les mortes de Juárez comme les systèmes capitalistes et patriarcaux ont voulu nous faire croire, cherchant avec cette image à nous voler notre force, à nous dérober la possibilité de continuer à nous battre et à nous organiser.
Nous ne sommes pas mortes, non. Nous sommes les héritières des luttes de celles qui nous ont précédées, de celles qui nous ont ouvert la voie, pour que nous puissions continuer à cheminer. Nous sommes les héritières des mères qui ont défendu la mémoire de leurs filles contre vents et marées.
Pourquoi ? Pour que nous n’oublions pas leurs visages. Pour que nous n’oublions pas leur histoire, leurs rêves, leurs désirs brisés par les hommes de la mort. Nous suivons les traces de ces femmes qui nous ont donné du courage, qui nous ont montré le chemin, qui nous ont appris à nous battre. Nous ne sommes pas mortes. Nous ne sommes pas les mortes de Juárez. Nous sommes des femmes au combat. Et je vous demande de vous faire entendre, comme moi, pour que nous continuions à dénoncer, mais aussi à rêver… pour que nous puissions continuer d’avancer. Pas une de plus !
Ce texte est la transcription du discours présenté par Itzel González le 10 août 2016 lors du spectacle « Les peuples et la planète avant le profit! Voix des résistances et des alternatives » à Montréal à l’occasion du Forum social mondial 2016. La présentation est disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=hVY573S2V5g.
Traduction par Valérie Martel
Photographie de l’auteure
Itzel González
Itzel González est défenseure des droits humains et militante féministe depuis 15 ans. Elle coordonne le dossier d’accompagnement et de recherche du Red Mesa de Mujeres, une organisation défenseure des droits des femmes à Ciudad Juárez.