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Le Venezuela est le pays d’Amérique latine avec le...

Le Venezuela est le pays d’Amérique latine avec le plus d’émigration en 2019

La migration vénézuélienne a connu une augmentation importante au cours des dernières années. En 2005, moins de 500 000 Vénézuélien.ne.s vivaient en dehors du pays. En 2018, il s’agissait de deux millions et demi de personnes. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), depuis le début de l’année 2019, ce nombre a de nouveau augmenté pour atteindre plus de quatre millions; d’ici à la fin de l’année, plus de cinq millions de personnes auront quitté le pays.

Les raisons qui ont poussé plus de quatre millions de Vénézuélien.ne.s à émigrer sont nombreuses : parmi celles-ci, la dégradation des salaires, désormais insuffisants pour subvenir aux besoins de la famille, l’accès difficile aux ressources alimentaires, l’insécurité, l’hyperinflation et l’absence d’accès aux soins de santé.

Les classes populaires émigrent aussi

En 2005, la majeure partie des flux migratoires correspondait aux classes moyenne et aisée qui ne partageaient pas les politiques d’Hugo Chávez. Or, depuis 2015 – et plus particulièrement au cours des deux dernières années – ce sont les populations à faible revenu qui laissent leur foyer et leur travail et partent, avec peu de ressources et de planification, chercher une meilleure qualité de vie.

Selon le HCR, la Colombie abrite la concentration la plus importante de Vénézuélien.ne.s – presque 1,3 million de personnes – suivie du Pérou, avec 768 000 réfugié.e.s, du Chili (288 000), de l’Équateur (263 000), de l’Argentine (130 000) et du Brésil (168 000). Le Mexique et les pays d’Amérique centrale et des Caraïbes accueillent aussi un grand nombre de réfugié.e.s et d’immigrant.e.s du Venezuela [1].

Cependant, sortir du pays n’est ni facile ni accessible. Le voyage par voie terrestre coûte entre 300 et 500 dollars américains selon la destination. De plus, le passage par la Colombie implique de rester entre 12 et 24 heures pour faire estampiller son passeport et enregistrer son entrée au bureau de la migration colombienne. C’est ce que Tibisay Guillen, migrante vénézuélienne, a réalisé lors de son passage à la frontière entre le Venezuela et la Colombie, alors qu’elle voyageait depuis Caracas et faisait escale en Colombie à destination de l’Équateur.

Le 27 août dernier, la représentante adjointe du HCR en Colombie, Yukiko Iriyama, a souligné que parmi les migrant.e.s vénézuelien.ne.s se trouvent des femmes enceintes, des enfants souffrant de malnutrition et des personnes en situation de handicap, ce qui représente une charge pour l’État colombien.

Le thème de la migration soulève aussi celui des disparités de genre. Si les hommes migrent pour avoir accès à de meilleurs salaires et envoyer de l’argent à leur famille, les femmes, en plus de sortir du pays pour des raisons économiques, le font aussi pour mieux mener à terme leur grossesse. Plusieurs d’entre elles partent pour donner naissance dans un autre pays, car le système de santé au Venezuela ne garantit pas les conditions minimales de santé nécessaires à un accouchement par voie basse ou par césarienne; il n’y a pas d’accès à la santé sexuelle et reproductive dans les centres de santé au niveau national. En Colombie, un recensement de migrant.e.s vénézuélien.ne.s réalisé par le gouvernement durant le premier semestre de 2018 a ainsi dénombré plus de 8000 Vénézuéliennes enceintes.

Un voyage risqué vers un futur incertain

En raison de l’urgence migratoire, les personnes qui fuient le Venezuela ne tiennent pas toujours compte des conditions de vie dans le pays de destination, ni des difficultés qui les attendent à l’arrivée.

En Colombie, beaucoup d’immigrant.e.s vivent dans la rue et reçoivent peu de soutien du gouvernement, en particulier les personnes qui voyagent illégalement et n’ont pas les moyens de payer un passeport qui, au Venezuela, vaut environ 7 $, mais peut coûter plus de 1000 $ sur le marché noir. En conséquence, certaines personnes se tournent vers la prostitution ou la délinquance. Selon l’Institut de la médecine légale de la Colombie, entre janvier et juillet 2019, 233 Vénézuélien.ne.s ont été assassiné.e.s en territoire colombien [2]. Ces faits mettent aussi en lumière l’absence de réaction du gouvernement de Nicolás Maduro, alors qu’il est chaque jour plus coûteux pour les citoyen.ne.s d’obtenir des papiers d’identité de leur propre pays.

Le risque existe aussi pour celles et ceux qui veulent partir aux Îles de Curaçao et Trinité-et-Tobago. Ces personnes voyagent sur des bateaux de pêche qui, dans bien des cas, transportent trop de passagers, dans des conditions inadéquates et à des heures qui permettent de passer sans être remarqués.

Entre avril et juin 2018, trois bateaux ont fait naufrage, pour un total de plus de 80 personnes disparues. Le député à l’Assemblée nationale, Robert Alcalá, a dénoncé le 25 avril la disparition d’un bateau avec 33 personnes – neuf d’entre elles ont été secourues. Plus tard, le 19 mai, il a fait savoir qu’un canot qui était parti de Güiria, dans l’État de Sucre, en direction de Trinité-et-Tobago, a fait naufrage en haute mer avec 29 passagers et passagères. Le troisième naufrage a été dénoncé par le député Luis Stefanelli : il s’agissait d’un canot parti clandestinement d’Agüide, un village côtier dans l’État de Falcón, le vendredi 7 juin en direction de Curaçao, et qui transportait entre 30 et 35 personnes.

Pour les Vénézuélien.ne.s, quitter le pays implique la plupart du temps de vendre leurs maigres possessions afin de financer ces voyages à haut risque et au futur incertain.

Risques pour les femmes migrantes

Pour les femmes migrantes, le risque est encore plus élevé. Une étude réalisée au Chili en 2018 par l’Association des municipalités du Chili intitulée « Femmes migrantes : défis et réflexions » montre les difficultés auxquelles les femmes migrantes font face, même lorsqu’elles ont un visa de travail. Dans ce cas-ci, les femmes ont dénoncé être victimes de plusieurs types de discrimination, d’abus et de violence. La majorité d’entre elles travaillent comme domestiques, qui est l’emploi le plus répandu pour les femmes migrantes. Seulement 55,1 % des femmes ont accès à un emploi, comparativement à 75 % des hommes [3]. Au Chili, de toutes les femmes migrantes, les Vénézuéliennes forment le troisième groupe numérique le plus élevé.

Restrictions face à la vague migratoire vénézuélienne

Afin de contrôler la migration de Vénézuélien.ne.s, au moins sept pays d’Amérique latine restreignent l’entrée sur leur territoire. Parmi eux, depuis 2017, le Guatemala, le Panamá, le Honduras et le Costa Rica exigent un visa particulier dit « visa consultada » qui requiert un examen préalable par les autorités migratoires. Depuis le 15 juin dernier, le Pérou exige un « visa humanitaire »; le Chili, quant à lui, exige un « visa de responsabilité démocratique » pour obtenir une résidence temporaire d’un an et, depuis le 26 août, l’Équateur exige un « visa exceptionnel démocratique » avec lequel il espère freiner l’exode.

D’après des migrant.e.s bloqué.e.s en Colombie parce qu’ils et elles n’ont pas le visa de l’Équateur, il peut en coûter 400 $ pour l’obtenir. De manière générale, beaucoup de migrant.e.s demeurent bloqué.e.s à la frontière à cause de ces mesures; la plupart de ces personnes étaient en transit par transport terrestre lorsque l’annonce de ces mesures restrictives a été faite. Ce type d’actions rend les migrant.e.s qui quittent le Venezuela encore plus vulnérables et les expose à l’extorsion de la part de personnes qui leur offrent des moyens d’acquérir les documents ne pouvant plus être obtenus en suivant les démarches habituelles dans le pays.

D’autres pays comme le Canada ont retiré leurs agents du Venezuela, de sorte que les démarches relatives à ce pays doivent se faire de la Colombie, ce qui limite les options des migrant.e.s vénézuélien.ne.s.

Le Venezuela doit être dans le « top 5 » des pires crises migratoires

Le 21 août dernier, le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés a publié une vidéo sur Twitter énumérant les cinq principaux pays d’origine des réfugié.e.s, mais la liste n’incluait pas le Venezuela. Le HCR a placé la Somalie en cinquième position (949 000 réfugié.e.s), puis en quatrième, le Myanmar, avec 1,1 million de réfugié.e.s. En troisième position, le Soudan du Sud (2,3 millions de réfugié.e.s); en deuxième, l’Afghanistan, avec 2,7 millions et en première place, la Syrie, avec 6,7 millions de personnes ayant fui la guerre dans leur pays. Soulignons que, selon les chiffres de cette même organisation, il y a 4 296 777 Vénézuélien.ne.s réfugié.e.s et migrant.e.s partout dans le monde [4].

Selon l’ONU, à la fin de 2019, 5,3 millions de personnes auront quitté le Venezuela. Pendant ce temps, le gouvernement vénézuélien ne fournit pas de chiffres quant aux ressortissant.e.s qui sont parti.e.s du territoire, et qualifie d’exagérées les estimations proposées par les organisations comme le HCR.

 

Traduction : Lauren Fromont

Photographie: Juan Carlos Rosales, journaliste de Radio Fe y Alegría Venezuela

 


Notes 

[1] Alto Comisionado de las Naciones Unidas para los Refugiados (2019). Refugiados y migrantes de Venezuela superan los cuatro millones : ACNUR y OIM, 7 juin 2019, en ligne : https://www.acnur.org/noticias/press/2019/6/5cfa5eb64/refugiados-y-migrantes-de-venezuela-superan-los-cuatro-millones-acnur-y.html
[2] Noticias Canal RCN (2019). « Más de 200 venezolanos fueron asesinados en Colombia entre enero y julio », 24 août 2019, en ligne : https://noticias.canalrcn.com/nacional/mas-de-200-venezolanos-fueron-asesinados-en-colombia-entre-enero-y-julio-346168
[3] El Mostrador Braga (2019). « Ser mujer migrante en Chile : discriminación racial, cosificación sexual y violencia económica », 6 août 2019, en ligne : https://www.elmostrador.cl/braga/destacados-braga/2019/08/06/ser-mujer-migrante-en-chile-discriminacion-racial-cosificacion-sexual-y-violencia-economica/
[4] Même si les Vénézuélien.ne.s sont parmi les populations déplacées les plus nombreuses au monde, le Venezuela ne fait pas partie des cinq pays se trouvant en tête (les « top 5 ») de la classification de l’ACNUR : le cas des Vénézuélien.ne.s qui fuient leur pays n’est pas interprété dans le cadre du système international d’asile (voir : https://www.nytimes.com/es/2019/06/20/migracion-acnur-venezuela/, ndlr).

 

Wirmelis Del V. Villalobos F.
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Journaliste pour Radio Fe y Alegría Noticias Venezuela, diplômée de l’Université du Zulia en 2008, Wirmelis Villalobos fait partie du réseau migration au sein de l’Association latino-américaine d’éducation radiophonique (ALER). Elle travaille à la radio depuis 2005 et fait partie de l’équipe de Fe y Alegría depuis 2008. Elle a réalisé un stage Québec sans frontières à Montréal en 2018 au sein du CDHAL.