Le Réseau international « Union latino-américaine de femmes » (Red latino-americana de mujeres, Red ULAM) est une alliance d’organisations populaires de femmes défenseures de la vie, des territoires, des biens communs, des droits et de la Terre-Mère fondée en 2008 dans la ville de Cuenca, en Équateur. La Red ULAM est actuellement composée d’associations qui travaillent dans des zones affectées par l’industrie minière et d’autres industries extractives au Venezuela, en Équateur, au Pérou et en Bolivie.
Au cours de cette première décennie d’existence, nous avons créé des liens et des alliances avec diverses organisations à l’international. C’est ainsi que nous avons forgé, depuis longtemps déjà, un lien étroit avec le Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL), ainsi qu’avec d’autres organisations canadiennes. Cette relation nous a, entre autres, permis de participer à la Rencontre internationale « Femmes en résistance face à l’extractivisme » qui a eu lieu en avril 2018 à Montréal, où était présente la défenseure de droits humains Elsa Merma Ccahua, actuelle vice-présidente de la Red ULAM.
En ces dix années de trajectoire, nous avons parcouru un chemin difficile. Nous nous trouvons néanmoins dans un moment de consolidation majeure, malgré les obstacles internes et externes que nous avons dû surmonter. C’est dans cette optique que nous considérons qu’il est important de partager quelques-unes des expériences vécues à travers ce processus d’organisation, en tant que femmes d’organisations populaires qui affrontons au quotidien les attaques des entreprises et qui sommes directement affectées par tout le conflit socioenvironnemental généré par l’extractivisme, particulièrement par l’industrie minière. Nous parvenons malgré tout à résister, en unissant nos efforts et notre solidarité au sein de la Red ULAM.
Contexte dans lequel émerge la Red ULAM
Depuis la fin du XXe siècle, l’expansion de l’industrie extractive en Amérique latine a mis de grandes parcelles du territoire entre les mains des entreprises sous la forme de concessions, à des fins d’exploration et d’exploitation de minéraux, du pétrole, du bois, et pour la construction de barrages hydro-électriques et d’autres méga-infrastructures. L’arrivée intrusive des entreprises, pour la plupart transnationales, a généré des conflits socioenvironnementaux qui ont contribué à ce que les pays hôtes adaptent leurs législations afin de faciliter l’invasion des territoires. Ceci s’est fait en violant des droits considérés comme fondamentaux par les peuples autochtones, comme celui de l’autodétermination et de la consultation préalable, libre et éclairée.
Les populations vivant sur les territoires sous concession, tout comme celles qui ont commencé à mettre en évidence les impacts socioenvironnementaux de l’extraction des ressources et de l’exploitation des biens communs, ont mis en place des processus de résistance qui constituent actuellement un des mouvements les plus dynamiques en Amérique latine. Nous, les femmes, avons toujours été aux premières lignes de la résistance, jouant un rôle majeur au sein de ces mouvements. Ce rôle a toutefois été rendu invisible par les leaderships masculins. Dans plusieurs cas, le rôle joué par les femmes a été nié, et leur participation entravée et réprimée par le poids des structures patriarcales qui prévalent toujours, lesquelles sont renforcées par l’extractivisme, générant encore davantage de violence, y compris dans notre vie privée (familiale) et dans la sphère communautaire.
C’est dans ce contexte que nous, des femmes de partout en Amérique latine, nous sommes mises en quête d’espaces qui nous soient propres, afin de nous exprimer avec plus de force et nous unir pour renforcer la défense des droits et celle de la Terre-Mère. Ainsi, diverses initiatives sont nées dans toute la région. La Red ULAM est l’une d’entre elles. Pour les organisations communautaires de femmes dont nous faisons partie, elle est devenue un élément fondamental dans notre lutte et notre résistance.
Fondation de la Red ULAM
La Red ULAM a été créée lors de la Rencontre latino-américaine de femmes leaders « Pour le droit à défendre nos droits », qui a eu lieu dans la ville de Cuenca, en Équateur, du 27 mars au 1er avril 2008. Femmes du Guatemala, du Venezuela, du Pérou, de la Bolivie et de l’Équateur, nous, qui étions présentes lors de la rencontre, avons décidé de former une instance de coordination de nos luttes et de nos idéaux, que nous avons nommée « Union latino-américaine de femmes, pour le droit à défendre nos droits ».
Le Front de femmes défenseures de la Pachamama (Frente de mujeres defensoras de la Pachamama) a été l’une des organisations qui a initié la tenue de cette rencontre de femmes leaders, dont elle a été l’hôte. La rencontre s’est tenue à un moment crucial de la résistance contre l’industrie minière en Équateur. Celle-ci avait pris de l’ampleur depuis 2004 et d’importantes manifestations avaient eu lieu entre 2006 et 2007, particulièrement dans le sud du pays. Plusieurs membres du Front de femmes défenseures de la Pachamama avaient été criminalisées et faisaient face à des poursuites judiciaires; les femmes de l’organisation ont aussi été stigmatisées, réprimées, agressées physiquement et psychologiquement, détenues et persécutées par les gouvernements d’Alfredo Palacio et de Rafael Correa. Une journée à peine après la rencontre à Cuenca, Francisca Zhagüi Chuchuca, membre du comité de direction des défenseures de la Pachamama a même été arrêtée dans le cadre de manifestations convoquées par la Coordination nationale pour la défense de la vie et de la souveraineté. La Coordination exigeait de l’Assemblée constituante, chargée de réformer la constitution équatorienne, qu’elle fasse la promotion de ce qui était connu comme le Mandat minier.
Le Centre de femmes autochtones Candelaria de Bolivie (Centro de Mujeres Indígenas Candelaria) et les Femmes de l’eau du Venezuela (Mujeres del Agua) sont également des organisations fondatrices de la Red ULAM. Elles ont participé à la Rencontre de femmes leaders de 2008 en Équateur et font toujours partie du réseau. Notre réseau international a éventuellement opté pour la dénomination « Union latino-américaine de femmes » et adopté le sigle aujourd’hui connu, comme la Red ULAM. C’est à ce moment-là qu’a également été formé le premier conseil d’administration, présidé par la défenseure de droits humains Lina Solano Ortiz du Front de femmes défenseures de la Pachamama, de l’Équateur.
Réussites et obstacles au cours de ces dix premières années d’existence
Durant cette première décennie de la Red ULAM, nous avons mis beaucoup d’efforts pour donner de la visibilité au rôle de premier plan que nous, les femmes, assumons dans les mouvements de résistance à l’extractivisme en Amérique latine, particulièrement face l’industrie minière et ce, malgré les risques élevés que cela implique du fait de la violence exercée par les gouvernements, les États, les entreprises et la population appuyant ces dernières. Ce travail nous a permis d’échanger à partir de nos propres réalités, de nos vécus et de nos expériences directes, afin de mettre en lumière les impacts graves et différenciés causés par l’incursion des entreprises minières sur nos territoires.
Une des réalisations que nous pouvons souligner est d’avoir réussi à créer des espaces d’échange et d’avoir fait connaitre et d’avoir diffusé la voix des femmes d’organisations populaires en résistance à l’industrie minière. Nous constatons aussi l’importance du processus de concertation et d’alliance au sein de la Red, stratégie qui nous a permis de renforcer notre présence, notre action militante, notre leadership et la reconnaissance dont nous jouissons aux niveaux communautaire, local, régional et international.
Pour illustrer le fruit du travail accompli par des membres de la Red ULAM, nous pouvons mentionner l’organisation Mujeres del Agua, active à El Pauji dans la région de Gran Sabana au Venezuela. En 2017, une femme autochtone pemon a été élue cheffe (Capitana) de ces communautés, poste traditionnellement occupé par des hommes. La cheffe nouvellement élue a formé un comité de direction composé de sept femmes, dont la vice-présidente, Valdirene Roque da Costa, est également membre de Mujeres del Agua.
Tout au long de notre trajectoire en tant que Red ULAM, nous avons travaillé à la promotion, à la consolidation et à la concertation des organisations populaires de femmes. Cela constitue une tâche extrêmement ardue, dû à la réalité dans laquelle nous vivons, particulièrement dans les zones rurales. Nous en avons néanmoins tiré de grandes satisfactions. Au cours de ces dix ans, nous avons, dans certains cas, réussi à conserver nos propres espaces d’organisation. Dans d’autres cas, nous avons pu stimuler la création et/ou la consolidation d’organisations et avons appuyé et intégré de nouvelles organisations à la Red ULAM.
Un autre élément important de l’expérience que nous avons vécue au cours des dix dernières années est celui de la protection des femmes défenseures à travers la solidarité active et directe. Nous avons exploré différentes manières d’appuyer les défenseures menacées, comme dans le cas de Máxima Acuña de Chaupe, qui a été accompagnée par plusieurs organisations dont l’Association de femmes à la défense de la vie de Cajamarca (Asociación de Mujeres en defensa de la Vida de Cajamarca), organisation péruvienne membre de la Red ULAM. Celles-ci étaient présentes lorsque l’entreprise minière Yanacocha réalisait des attaques et menait sa campagne de diffamation contre Máxima et sa famille. En 2015, Máxima Acuña a été nommée « défenseure de l’année 2014 » par la Red ULAM.
C’est par le travail de mise en lumière, de dénonciation, d’accompagnement, de formation en sécurité et protection, de création d’alliances avec d’autres organisations aux plans communautaire, local, national et international, que nous sommes parvenues à diminuer le niveau de risque pour les femmes et les organisations qui font partie de la Red ULAM. Nous sommes néanmoins encore la cible de la violence du modèle extractif et faisons face à de sérieux obstacles en ce qui a trait à l’accès à la justice. Ceci fait en sorte que demeurent impunies les violations de nos droits commises par les entreprises minières, les gouvernements, ainsi que par la population en faveur de cette industrie.
Ce contexte d’agressions et de violence n’a pas été le seul obstacle auquel nous avons fait face. Nous avons également eu à surmonter les obstacles liés à la dynamique interne de l’organisation et ses conflits permanents. Poursuivre le travail de la Red ULAM constitue ainsi un véritable défi. L’effort que nous devons faire en tant que femmes de collectifs de base pour nous maintenir organisées et concertées se convertit en une tâche supplémentaire qui n’est pas prise en compte et s’ajoute à l’ensemble des responsabilités et défis que nous devons assumer au quotidien.
Considérant tous les éléments mentionnés, l’existence même de la Red ULAM depuis maintenant une décennie est pour nous une énorme réussite. Même s’il nous faut multiplier les efforts afin de répondre tout à la fois aux sollicitations de la vie familiale et communautaire, aux exigences de la lutte contre les entreprises, les gouvernements, les États et aux défis liés à la dynamique interne de nos propres organisations, nous poursuivons tout de même le chemin entamé en 2008 à Cuenca en Équateur.
Conclusion
Ce bref portrait de l’histoire de la Red ULAM montre à quel point ce réseau a permis une transformation radicale de la situation dans laquelle se trouvaient auparavant les organisations populaires de femmes qui en font maintenant partie. Nous avons aujourd’hui acquis une grande expérience qui nous permet de continuer d’alimenter et de renforcer la résistance à l’extractivisme, la défense des droits et de la Terre-Mère, ainsi que d’avoir une meilleure compréhension des impacts de ces types d’industries, surtout en ce qui concerne les défenseures des droits.
Depuis qu’elle a été créée, la Red ULAM est un élément fondamental de notre lutte et de notre résistance. C’est pourquoi nous sommes convaincues qu’il faut continuer de nous accompagner les unes les autres, d’unir nos efforts et de travailler ensemble, en solidarité pour la cause commune que nous défendons.
Traduction par Amelia Orellana
Photo : Assemblée annuelle de la Red ULAM. Cuzco, Pérou. 2017. Photographie par Red ULAM.
Notes
[1] Coordinadora Nacional por la Defensa de la Vida y la Soberanía. « Encuentro Latinoamericana de Liderezas en Cuenca », en ligne : http://nomineria.blogspot.com/2008/03/encuentro-latinoamericano-de-liderezas.html (page consultée en octobre 2018).
[2] Biodiversidad en América Latina y el Caribe. « Declaración del Encuentro de Liderezas Latinoamericanas «Defensoras de la Pachamama» », en ligne : http://www.biodiversidadla.org/content/view/full/40704 (page consultée en octobre 2018).
[3] Coordinadora Nacional por la Defensa de la Vida y la Soberanía. « Urgente : brutal represión contra los luchadores antimineros », en ligne : http://nomineria.blogspot.com/2008/04/urgente-brutal-represion-contra.html (page consultée en octobre 2018).
[4] Red ULAM. « ULAM celebra el Día Internacional de la Mujer en Cajamarca, Perú », en ligne : http://redulam.org/bolivia/ulam-celebra-el-dia-internacional-de-la-mujer-en-cajamarca-peru/ (page consultée en octobre 2018).
Red ULAM
Le Réseau international « Union latino-américaine de femmes » (Red ULAM) est une alliance d’organisations populaires de femmes défenseures de la vie, des territoires, des biens communs, des droits et de la Terre-Mère. Le réseau est actuellement formé d’associations provenant du Venezuela, de l’Équateur, du Pérou et de la Bolivie. Il a été fondé en 2008 dans la ville de Cuenca, en Équateur et son comité de direction actuel est présidé par Rosario Gutierrez Marquez du Centre de femmes autochtones Candelaria de Bolivie.