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Stratégies de la solidarité en sol québécois: l’expérience de la Bolivie

Le Comité de solidarité avec le peuple bolivien (CSPB)[1] fut fondé en janvier 1974 par quatre personnes exilées boliviennes afin de dénoncer le massacre de centaines de paysan-ne-s par la dictature du général Hugo Banzer Suarez (1971-1978). Le Comité se proposait de diffuser l’information sur les violations des droits humains en Bolivie et sur les luttes menées contre cette dictature.

Ce récit est un retour, en trois étapes, sur les actions et les stratégies qui définissent l’action du Comité. La première comprend la période des dictatures militaires (1974-1982); la deuxième se rapporte aux premières années de retour à la démocratie (1982-début 1990) et la troisième, touche les luttes contre les tentatives de privatisation des ressources naturelles, telles que les dénommées « Guerre de l’eau » et « Guerre du gaz » (2000-2002).

L’époque des dictatures : construire les réseaux de solidarité pour promouvoir les droits humains

Initialement menées par seulement quatre personnes, les actions du Comité ont été modestes face à l’énorme tâche de dénonciation de la dictature de Banzer Suarez. Les souvenirs des fondateurs sont gravés de nuits passées à rédiger des textes de dénonciation, de longues journées à présenter nos pétitions à signer aux organisations syndicales (CSN, FTQ et CEQ), ainsi qu’à chercher des organismes qui voulaient bien polycopier[2] les pamphlets et les distribuer.

Ce travail de longue haleine a cependant permis de faire connaître le CSPB et de tisser des liens avec d’autres militant-e-s québécois, grecs, portugais et de l’Amérique du Sud.

C’est en 1978 que le travail du Comité connut un tournant important. La grève de la faim de quatre femmes de mineurs secouait les fondements de la dictature militaire (décembre 1977). Les premières heures ont été décisives, puisque pesait une menace d’expulsion ordonnée par le dictateur : vite fait et « Aquí no ha pasado nada ». Ces événements nous menèrent à solliciter les centrales syndicales pour l’envoi d’un télégramme de solidarité.

Des responsables de la CSN et de la FTQ ont envoyé rapidement un télégramme de solidarité. Lors de la visite à Montréal en 1981 de l’une des grévistes, Domitila Chungara, celle-ci raconta l’importance de ces premiers télégrammes qui, selon elle, avaient permis d’arrêter l’assaut imminent des militaires pour expulser les femmes réfugiées dans les locaux de l’église avec leurs enfants.

Les membres du Comité ont été invités à parler de la grève à une instance de la CSN. À cette occasion, Marcel Pépin, alors président de la Confédération mondiale du travail, réunit le groupe de militant-e-s latino-américain-e-s et nous suggère alors de réunir nos forces. C’est ainsi qu’est née la « Plateforme latino-américaine de solidarité », organisation associant des personnes d’origine argentine, bolivienne, chilienne, haïtienne et uruguayenne.

La Plateforme a permis la coordination des actions avec les autres comités et le développement d’une stratégie au sein du CSPB afin de sensibiliser l’opinion publique à la réalité bolivienne. Ainsi, nous avons pu réaliser :

  • une rétrospective à la Cinémathèque québécoise sur le cinéma militant bolivien;
  • un diaporama destiné à la sensibilisation des jeunes au secondaire en collaboration avec le Club 2/3 et Développement et Paix;
  • un programme d’activités dans différentes instances de la CSN, de la FTQ et de la CEQ avec des dirigeants syndicaux de la Centrale ouvrière bolivienne;
  • une tournée auprès des groupes communautaires et des organisations de femmes avec Domitila Chungara, leader du Comité de amas de casa de las minas, et deux soirées de solidarité réunissant, chacune, autour de 400 personnes;
  • une visite de Jaime Paz Zamora, élu à la vice-présidence en Bolivie et évincé par un coup d’État en 1980. Cette visite visait à sensibiliser la classe politique du Canada et du Québec, et à empêcher la reconnaissance de la dictature de Garcia Meza par le gouvernement canadien. Dans le cadre de ces activités, nous avons obtenu une longue entrevue à l’émission de télévision « Le 60 » diffusée à heure de grande écoute à Radio-Canada.

 

L’appui au retour à la démocratie : construire sur nos acquis

En 1982, une fois le processus démocratique implanté, les membres du Comité de solidarité ont décidé d’appuyer l’Asamblea por los derechos humanos de Bolivia, organisation pluraliste ayant une grande crédibilité internationale.

Pour ce faire, nous avons présenté des projets à plusieurs organismes de coopération internationale et collecté des fonds. L’intense vitalité du Comité entre 1977 et 1982 avait réussi à construire un réseau de contacts facilitant ces activités.

En 1985, le gouvernement émettait un décret mettant de l’avant des réformes structurelles majeures, et permettant, dans les années 1990, la privatisation des entreprises gouvernementales et des ressources naturelles. Ce décret a mené, entre autres, à la mise à pied de vingt-cinq mille mineurs boliviens qui ont répondu en convoquant la « Marche pour la vie » dont le but était de sensibiliser l’opinion publique aux enjeux politiques et économiques de la fermeture des mines et de réclamer la récupération de leurs emplois.

Dans ce contexte, des activités de financement et une panoplie d’activités culturelles ont servi à appuyer les radios des mineurs et la construction de serres permettant de cultiver des légumes.

Peu à peu dans les années 1990, les activités de solidarité avec la Bolivie se sont estompées, le Comité devenait inactif en quelque sorte.

La lutte contre le néolibéralisme en Bolivie : se tourner vers les médias, élargir nos réseaux de solidarité

Les réformes néolibérales des années 1990 ont élargi l’écart entre les riches et les pauvres, et appauvri la population bolivienne. Les principales entreprises étatiques ont été privatisées sans beaucoup de transparence. C’est dans ce contexte qu’a éclaté la « Guerre de l’eau » en l’an 2000, une des plus importantes mobilisations que la Bolivie ait connue, provoquant un état de siège qui a duré 11 jours et qui a fait un mort et 88 personnes blessées.

Le gouvernement bolivien avait signé un contrat avec l’entreprise étrangère Aguas del Tunari pour la gestion du Service municipal d’eau potable et l’exécution d’un projet pour augmenter les réserves d’eau de Cochabamba[3]. Parallèlement, le gouvernement promulguait une loi qui permettait d’octroyer le monopole de la dotation d’eau, obligeant la connexion au réseau du concessionnaire de toutes les sources fournissant l’eau dans la région.

Le contrat prévoyait une augmentation moyenne de 35 % des tarifs de l’eau, mais en janvier 2000, les tarifs de l’eau avaient augmenté, dans certains cas, de plus de 100 %. Cela a provoqué une vague de protestation généralisée qui a reçu l’appui de l’Église et de larges secteurs de la population. La protestation a été dirigée par la « Coordination pour la défense de l’eau », composée de tous les groupes sociaux, à laquelle se sont ajouté-e-s les paysan-ne-s. La revendication était claire : modifier la loi afin de se conformer aux us et coutumes de l’utilisation de l’eau à la campagne, et mettre fin à sa privatisation.

En avril, devant l’ampleur de la protestation, le gouvernement décrétait l’état de siège. Au lieu de calmer les esprits, de nouvelles couches de la population se sont jointes au mouvement, et le gouvernement a dû négocier. Toutes les propositions apportées par la Coordination furent acceptées et la compagnie Aguas del Tunari a dû quitter le pays.

Pour réfléchir aux actions et à la stratégie à mettre en œuvre devant cette conjoncture, quelques militant-e-s du CSPB et des personnes solidaires de Montréal se sont concerté-e-s pour créer le « Collectif d’information sur la Bolivie ». Celui-ci s’est concentré sur la diffusion plus large de l’information et l’appui aux mouvements sociaux et autochtones qui luttaient contre les réformes néolibérales. Plusieurs activités ont eu lieu en lien avec le Festival autochtone de Montréal. Aussi, à partir de sources sérieuses, le Collectif a rédigé un article bien étoffé qui a été publié par Le Devoir. S’ensuivirent plusieurs demandes d’entrevues radiophoniques, et même télévisuelles. Le Collectif a été approché par des organismes qui se battaient pour préserver les droits de l’eau au Québec. Avec eux, nous avons organisé des ateliers au « Sommet des peuples » à Québec sur cet enjeu.

Plus tard, lors d’un autre grand conflit sur la vente du gaz naturel en Bolivie[4], un autre article du Collectif est paru dans Le Devoir; ce qui a aussi généré des demandes pour des articles sur le sujet, et des entretiens à la radio et à la télévision.

En 2006, la Bolivie a élu un gouvernement appuyé par les mouvements sociaux et dirigé par un leader autochtone : Evo Morales. Poursuivant son objectif de diffusion de l’information, le Collectif a organisé des conférences conjointement avec l’Observatoire des Amériques et des organisations de coopération internationale. Des personnalités politiques importantes y ont participé, notamment Alex Contreras, ex-porte-parole du gouvernement Morales5, et le délégué du ministère des Affaires extérieures, Jean-Paul Guevara Avila.

En 2008, à la suite des révoltes organisées par la droite, le Collectif a mené une campagne internationale de signatures d’appui au gouvernement d’Evo Morales. Cette campagne de signatures a notamment eu l’appui de Danielle Mitterrand et de Noam Chomsky, pour ne citer que ceux-là.

Conclusion

L’action du CSPB et du Collectif d’information sur la Bolivie a surtout été centrée sur l’information et la sensibilisation autour des problématiques vécues par notre peuple. Toutefois, nous avons élargi notre champ d’action vers les événements culturels, comme le cinéma et la musique, afin de toucher des publics « non convertis ». Ceci nous a permis, en étant peu nombreux, de toucher un public assez large.

Un regard rétrospectif sur notre travail nous révèle que le choix des alliances avec différents groupes de militant-e-s a été fondamental pour construire et garder une crédibilité qui a été la clé de voûte du succès de nos activités. Nous avons déployé beaucoup d’énergie à comprendre le fonctionnement des institutions, notamment les médias.

L’esprit de solidarité des membres du CSPB – lors de périodes de ralentissement des activités de solidarité avec la Bolivie, ils entretenaient des liens entre eux et avec les autres luttes en cours – a permis de se rajuster au besoin pour restructurer rapidement notre action.

Finalement, nous nous sommes efforcés de relier les enjeux boliviens avec ceux vécus au Québec, particulièrement ceux concernant les ressources naturelles lors des luttes sur l’eau et le gaz.

Photo : Événements organisés par le Collectif / Courtoisie des auteur-e-s


Références
[1] Nous voulons remercier Roxana Paniagua, Manuel de La Fuente, Louise Lavallée, Frida Villarreal et Gumercinda Fernandez pour leurs judicieux commentaires. Nos remerciements vont aussi à Josée Desrosiers pour ses suggestions et pour la correction du texte.
[2] Mentionnons ici les organisations de travailleurs grecs et portugais qui, dès la première heure, se sont solidarisées avec le Comité.
[3] De la Fuente, M., Seifert, A.M., Villarreal, F. (2000). « Bolivie, l’enjeu de l’eau », Le Devoir, 17 juillet, p. A6.
[4] Villarreal, F., Seifert, A.M., Paniagua, R. (2003). « La Bolivie et le gaz naturel : Une population qui ne veut plus faire de cadeaux », Le Devoir, 17 octobre, p. A9.
Paniagua, R., Villarreal, F., Seifert, A.M. (2003). « Raz-le-bol en Bolivie », À Babord, no. 2, novembre-décembre, en ligne : https://www.ababord.org/Ras-le-bol-en-Bolivie.
[5] Le Journal des Alternatives (15 mai 2008). Conférence-débat Bolivie : L’après référendum : http://journal.alternatives.ca/spip.php?article3749
UQAM, Chaire C.-A. Poissant de recherche sur la gouvernance et l’aide au développement (2007). Forum social québécois présenté par le Collectif d’information sur la Bolivie : http://www.poissant.uqam.ca/article47

Ana María Seifert
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Ana María Seifert est fondatrice du CSPB en 1974. Elle a travaillé durant plus de 15 ans en recherche universitaire dans le domaine de la santé au travail, plus spécifiquement pour les femmes. Depuis 4 ans, elle est conseillère syndicale en santé et sécurité au travail à la CSN.

Jaime del Carpio Zuazo
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Jaime del Carpio Zuazo s’engage avec le CSPB dans les années 1980. Il œuvre en coopération internationale depuis plus de 30 ans (Jeunesse Canada Monde, l’OCSD et OXFAM-Québec). Actuellement, il est gestionnaire de programmes pour l’Amérique latine à l’Œuvre Léger.

Gustavo Saavedra
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Gustavo Saavedra est activiste social et fondateur de l’Atelier de Musique Arawi (La Paz, 1981). Dès son arrivée à Montréal en 1985, il s’engage avec le Comité et poursuit ses études en biologie. Sa voix et sa guitare ont fait entendre la voix des peuples, leurs espoirs et leurs peines.