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Rompre le silence Déclaration du réseau de Periodistas de a Pie suite à l’assassinat de Javier Valdez

Un assassinat ébranle le collectif. Un de plus qui s’ajoute à une quantité macabre – car impuni – et douloureuse.

Un assassinat de plus s’ajoute à une somme monstrueuse de cas douloureux non résolus, cinq depuis le début de l’année : Cecilio Pineda, Ricardo Monlui, Miroslava Breach, Maximino Rodríguez et aujourd’hui, Javiez Valdez. Oui, Javier Valdez, l’auteur courageux de Los Morros de Narco, Miss Narco, Con une granada en la boca, MalaYerba, entre autres, et fondateur du média électronique, Rio Doce.

Cette année, la statistique se maintient : chaque 22 heures en moyenne, un.e journaliste est agressé.e dans l’exercice de ses fonctions d’interroger, d’enquêter et d’informer. De plus, chaque 22 jours, un.e journaliste est assassiné.e. À ce chiffre, s’ajoute 32 cas si l’on considère les six années de présidence du priista, Enrique Peña Nieto : Gregorio Jiménez, Moisés Sánchez et Ruben Espinosa sont trois exemples significatifs, non seulement parce qu’ils étaient journalistes originaires de Veracruz, la région comptant le plus d’attaques à sa liberté d’expression dans les dernières années sous le mandat de l’ancien gouverneur Javier Duarte, mais également parce que dans les deux premiers cas, il s’agissait de journalistes de plus petits médias. Ils devaient donc combiner leurs activités de journalisme à d’autres formes de rémunération pour subvenir à leurs besoins : Goyo étant photographe pour des mariages, Moisés conduisant un taxi.

Et le troisième, Rubén, que les assassins ont suivi de Xalapa, Veracruz jusqu’à un appartement du quartier Narvarte, au cœur de la ville de Mexico, et l’ont couvert de balles. À lui s’ajoutent quatre femmes : Nadia, Yesenia, Alejandra et Mile.

Si nous étendons le compte à partir de l’année 2000, les statistiques prudentes nous indiquent 105 cas. Il n’y a pas assez d’espace dans ce texte pour nommer autant de morts, chacun.e d’eux et d’elles ayant un impact, un coup de couteau contre une démocratie fragile qui cherche laborieusement une bouffée d’oxygène et qui ne rencontre que du plomb.

En 2011, lorsque Javier Valdez Cardenas a reçu le Prix mondial de la liberté de la presse du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), je disais : « À Culiacán, Sinaloa, il est dangereux d’être vivant et de faire du journalisme. C’est marcher sur une ligne invisible marquée par ces mauvaises personnes du narcotrafic et du gouvernement, un plancher au rebord tranchant et couvert d’explosifs. Cette situation se vit dans presque tout le pays, on doit se méfier de tout ».

Je disais aussi que « ceci est une guerre, certes, mais pour le contrôle du trafic de la drogue, et c’est nous, les citoyen.ne.s, qui en sommes les victimes. Les gouvernements du Mexique et des États-Unis fournissent les armes, et ceux qui sont cachés et invisibles à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement s’en approprient les gains.

Aucune réponse de l’État n’a fonctionné. À la fin des six années de présidence de Felipe Calderón, la création du Mécanisme de protection pour les personnes défenseures des droits humains et les journalistes a été annoncée. Un éléphant blanc qui a peu ou pas servi la cause pour laquelle il a été créé. Il y a quelques jours Peña Nieto a promis de remplacer le Procureur spécial pour la surveillance des crimes contre la liberté d’expression (Fiscalía Especial para la Atención de los Delitos contra la Libertad de Expresión), un organisme qui, en six ans, a ouvert 800 enquêtes d’agressions contre des journalistes, mais n’en a résolu que trois. Selon une analyse réalisée par l’organisation Article 19 (Artículo 19), ceci équivaut à seulement 0,3 % de crimes résolus.
Au Mexique, il y a 98 % de chance qu’un crime soit impuni, mais dans le cas des journalistes, ce chiffre s’élève à 99,7 %. C’est une des principales raisons pour laquelle la violence contre les journalistes ne cesse : parce que les agresseurs savent qu’ils ne seront pas punis.

Dans chacun des 105 homicides, des 50 disparitions et des dizaines d’attaques contre des journalistes, il y a eu des condamnations par les autorités, incluant le président Enrique Peña Nieto, mais elles ne restent que des paroles.

Les institutions gouvernementales visant à protéger les journalistes ne fonctionnent pas. Par exemple, le budget fiscal de 2017 n’a accordé aucun sou au Mécanisme de protection pour les personnes défenseures des droits humains et des journalistes, et le budget de fonctionnement, qui provient d’une fiducie, s’épuisera en septembre.

Rien dans le scénario à venir n’indique un véritable changement, malgré le changement de fonctionnaires, comme le Bureau du procureur qui a maintenant un nouveau responsable, Ricardo Sanchez Perez del Pozo. Les dossiers continuent de s’accumuler. Le plus récent porte le nom de famille Valdez, le Virgile dans la descente aux enfers du narcotrafic.

Pendant la cérémonie de réception du prix de 2011, Javier disait : « À Río Doce, nous avons expérimenté une solitude macabre, puisque rien de ce que nous publions ne trouve écho et suivi, et cette désolation nous rend encore plus vulnérables ».

Aujourd’hui, je veux croire que nous ne sommes pas seuls, nous, les journalistes. Par contre, dans un acte de transparence, il est certain que le 15 mai 2017 à la mi-journée, alors qu’on allait recueillir des informations sur son assassinat dans une rue de Culiacán, plusieurs d’entre nous se sont senti.e.s abandonné.e.s par la société. Nous sentions qu’elle nous avait laissés à nous-mêmes. Les douze coups dans un supposé vol de voiture résonnent dans nos têtes : non, Javier a été assassiné par des personnes visées par son journalisme sur le narco et l’abus de pouvoir. Ne l’oublions pas.

Nous sommes sortis marcher, nous nous sommes arrêtés un instant pour pleurer, et d’une certaine manière, nous avons demandé à ce que la voix de Javier Valdez Cardenas ne s’éteigne pas. Son travail de faire la lumière sur le crime organisé doit se poursuivre, même s’il est certain que si les réseaux de corruption entre le gouvernement et le crime organisé ont tué Miroslava Breach et Javier Valdez, alors aucun journaliste au Mexique s’engageant de manière éthique au service du journalisme n’est en sécurité.

16 mai 2017

 

Traduction par Alexandra Ferland

Cet article a initialement été publié sur le site Internet de Periodistas de a Pie : http://periodistasdeapie.org.mx/editorial-23.php.

Ernesto Aroche Aguilar
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Fondée en 2007, PERIODISTAS DE A PIE est une organisation de journalistes qui cherche à améliorer la qualité du journalisme au Mexique à travers la formation et l’échange de techniques d’enquête, d’expérience, de stratégie journalistiques, de styles narratifs, et de formes d’approches. Ce réseau est un rêve collectif auquel toutes et tous les journalistes sont invité.e.s à faire partie; c’est un espace commun que nous construisons chaque jour, avec la conviction que la réalité peut être différente et que nous pouvons contribuer à la changer au travers le journalisme.