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Retour sur le Forum social mondial : initiatives de mobilisation collective et de résistance vis-à-vis des entreprises transnationales d’extraction

Cet article dresse une synthèse des échanges tenus le 11 août 2016 entre des défenseur-e-s des droits sociaux, environnementaux et du travail de trois régions (Afrique, Amériques et Caraïbes) au sein d’un atelier organisé dans le cadre du Forum social mondial 2016 à Montréal. Cet atelier émane d’un partenariat établi entre le Service de la solidarité internationale de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), le Syndicat des Métallos, l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal (ÉRIUM) et le Groupe de recherche sur les espaces publics et les innovations politiques (GREPIP). Luc Martinet, du Secrétariat confédéral de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Mariama Penda Diallo, syndicaliste et ancienne ministre d’État chargée de la Fonction publique, de la Réforme administrative, du Travail et de l’Emploi sous le gouvernement de transition en 2010 en Guinée Conakry, Nixon Boumba, coordonnateur du Collectif Justice Mines en Haïti (KJM en créole), Jorge Luis Quezada Liñan, syndicaliste et directeur intérimaire du Centro de Desarrollo y Asesoría Laboral (CEDAL) du Pérou et Martine Ouellet, ex-ministre des Ressources naturelles du Québec, ont pris part aux discussions.

Grâce au partage de leurs expériences, ces invité-e-s ont dégagé des zones d’apprentissage autour de fronts de résistance qui se sont déployés sous les efforts de différents acteurs de la société civile pour mieux encadrer les activités des sociétés minières canadiennes dans leur région respective. Sur le plan des divergences d’abord, ces témoignages nous ont offert des vignettes contrastées quant aux acteurs ayant mis en branle ces initiatives de résistance collective (tantôt des syndicats, tantôt des groupes marginalisés, à l’instar des femmes, des communautés autochtones et autres groupes d’intérêts) et quant à leurs capacités à instituer des coalitions susceptibles d’impulser des réformes aux niveaux législatif ou normatif. Ensuite, en ce qui a trait aux convergences, plusieurs des cas évoqués dans le cadre de ces discussions ont eu cours dans un contexte institutionnel très rigide (souvent post-dictature) et ont entraîné des réponses très diversifiées sur le plan des mobilisations collectives face aux sociétés minières.

En première partie d’atelier, les participant-e-s ont été sondés quant aux enjeux soulevés par les activités d’extraction dans leur pays respectif. De manière transversale, ces derniers ont fait état de l’imposition, sur le plan économique, d’un modèle néolibéral fondé sur l’exploitation des ressources naturelles dont les visées en matière de développement ne coïncident pas avec une vision socialement responsable de l’industrie minière. À leurs yeux, cette mondialisation économique a essentiellement contribué à la montée en force de plusieurs phénomènes préjudiciables aux travailleuses, aux travailleurs et aux communautés touchés par les activités des sociétés minières partout dans le monde, à savoir : la privatisation des entreprises d’extraction au profit d’investisseurs étrangers, provenant par ailleurs massivement du Canada; la flexibilisation et la précarisation exacerbées d’une écrasante majorité d’emplois dans le secteur extractif; la création d’enclaves ou de poches de pauvreté ceinturant les sites d’exploitation minière avec son lot de problématiques sous-jacentes (violence faite aux femmes, prostitution, alcoolisme, trafic d’êtres humains, etc.); la perte d’influence de l’État au moment d’exiger le paiement des redevances minières, de veiller à appliquer les lois en vigueur et à assurer leur suivi en ce qui a trait au Code minier, à l’encadrement des rapports collectifs de travail et à la protection de l’environnement, notamment des communautés riveraines; la déforestation et l’absence de délimitation des zones d’exploitation minière et de critères fixes d’évaluation en ce qui a trait aux impacts des projets miniers dans le cas des pays fragiles comme le Pérou, Haïti et la Guinée; l’absence d’exigences de transparence (ex. : reddition de comptes) à l’endroit des sociétés minières, notamment sur le plan des redevances et de leur diffusion auprès du grand public; l’absence de consultations publiques et citoyennes pour véritablement démasquer les sommes générées par l’industrie minière et préciser l’ampleur de l’exode fiscal grâce à la publication de la liste des sociétés-écrans présentes dans le secteur; et nous en passons.

Dans le même sillage, les intervenantes et intervenants n’ont pas manqué de souligner que les pays du Nord, notamment les organisations syndicales, ont la responsabilité d’adopter une position citoyenne exempte idéalement de toute forme de corporatisme sur l’ensemble de ces enjeux afin que l’exploitation des ressources non renouvelables puisse davantage bénéficier aux populations locales touchées par les activités minières et financer les services publics des pays en cause. À titre d’exemple, toutes et tous ont évoqué la possibilité que les entreprises utilisatrices des produits reposant sur le secteur extractif (ex. : téléphones portables) soient tenues solidairement co-responsables des conséquences sociales, humaines et environnementales liées à l’exploitation minière. Ces choix de société, si jamais ils étaient adoptés, coïncident avec une volonté d’en finir avec l’asymétrie des rapports de force prévalant actuellement entre les acteurs et les pays. Ces déséquilibres se confirment par le renforcement du positionnement des entreprises comme nouvel agent de régulation d’ordre privé et par l’affaiblissement plutôt généralisé des syndicats qui, dans plusieurs pays, ne peuvent plus être considérés comme étant la locomotive des changements sur les plans social et du développement : nous pensons au cas du Pérou, notamment.
En deuxième partie d’atelier, les participants ont été emmenés à prendre position quant aux stratégies pour revamper les capacités d’intervention des acteurs de la protestation sociale et mieux faire face à la conjoncture présente dans le secteur extractif. L’accent a d’abord été mis sur l’importance de renforcer les obligations de transparence et l’imputabilité des sociétés minières au Québec comme à l’étranger. De telles dispositions permettraient de minimiser les risques de corruption et de collusion, et de favoriser l’exercice d’un rapport de force davantage équilibré et plus éclairé entre les acteurs (notamment les syndicats et les citoyens) face aux sociétés minières, peu importe le pays considéré. Il s’agit ici, en somme, de s’assurer que tous les acteurs, dans leur ensemble, puissent disposer d’informations pertinentes pour être en mesure d’intervenir au moment opportun. Ces interventions pourraient prendre des formes diversifiées : procéder à des analyses éclairées des informations rendues accessibles pour ensuite permettre leur vulgarisation; instituer des mécanismes de concertation inter-acteurs aux niveaux local, régional et national; utiliser les médias sociaux pour mettre sur pied des campagnes de mobilisation destinées à sensibiliser le grand public autour d’enjeux inhérents à l’industrie minière au Québec comme ailleurs dans le monde; etc. La transparence apparaît ainsi comme le fondement de la capacité des citoyennes et des citoyens à se doter de leviers de pouvoir novateurs dans leurs efforts de mobilisation et de protestation collective au moment, entre autres, de démystifier l’ampleur du lobbying exercé par les entreprises du secteur et de dénoncer de manière éclairée les menaces posées à l’endroit de leur territoire.

Sans grande surprise, pour agir, encore faut-il être au courant! Cela signifie comprendre notamment : l’importance de la solidarité pour développer un rapport de force inclusif, de portée sociétale; les impacts des projets miniers, ainsi que ceux liés à leur fermeture; les lois censées baliser les activités de l’industrie; tout type d’informations susceptibles d’être utiles en ce sens au niveau transnational, et ce, malgré la présence de certaines barrières (ex. : de langue, de culture, médiatiques, etc.); les phénomènes de l’évasion fiscale pour mieux en dénoncer les conséquences; les modes de redistribution des richesses à préconiser pour améliorer les conditions de vie, d’emploi et de travail dans le secteur; etc. Ces points réitèrent donc la nécessité de : former des leaders dans la société civile pour encourager la syndicalisation et diminuer le précariat dans l’industrie; sensibiliser les travailleurs, les communautés locales, les femmes, les jeunes et les groupes d’intérêt, souvent marginalisés, quant à leurs droits et à l’application des lois censées les protéger; enfin, renforcer la collaboration intergroupe pour faire de la société civile un acteur de contre-proposition unifié et porteur de propositions qui concurrencent le modèle de développement néolibéral en place, avec toutes les conséquences qu’on lui connaît.

En concomitance, le rôle de l’État a été souligné à maintes reprises en ce qui a trait à l’amélioration des conditions de vie, de travail et d’emploi, la promotion d’une industrie minière de transformation et l’implantation de diverses mesures de sécurité sociale. Certes, à titre d’exemple, une expertise citoyenne peut être développée pour contrer l’évasion fiscale; veiller à ce que soit publiée la certification indépendante de comptes et protéger les lanceurs d’alerte; et exiger que les ressources collectives (ex. : mines, rives, sols et eau) ne soient pas extraites ou contaminées de manière inconsidérée face au bien commun à protéger. Il incomberait ainsi à l’État d’être plus actif pour que les citoyennes et les citoyens disposent de toutes les informations nécessaires pour qu’ils soient en mesure d’interagir au nom du principe du libre consentement préalable éclairé (LCPE). Il s’agit là d’un passage obligé pour véritablement contribuer au renforcement des capacités d’intervention et de contre-proposition de tous les acteurs de la société civile et amoindrir l’asymétrie des rapports prévalant entre les entreprises et les États. Les débats s’intensifient aujourd’hui au sujet du principe du LCPE dans plusieurs communautés locales et autochtones à travers le monde, ainsi que dans les salles de planification de nombreuses compagnies minières et pétrolières, de la Banque mondiale, de la Société financière internationale (SFI), comme au sein de plusieurs organes des Nations Unies. D’ailleurs, à ce titre, la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du Travail (OIT) prévoit que :

Les consultations effectuées en application de la présente convention doivent être menées de bonne foi et sous une forme appropriée aux circonstances, en vue de parvenir à un accord ou d’obtenir un consentement au sujet des mesures envisagées.

Dans cette perspective et si l’on pousse l’analyse un cran plus loin, des régulations davantage coercitives pourraient également être mises en place au niveau transnational de manière à permettre l’émergence d’une véritable prise en charge par les pays du Nord de leurs responsabilités face aux pays du Sud quant aux conséquences de l’exploitation des ressources non renouvelables et de la pollution qui en découle. À cet effet, il revient notamment aux syndicats du Nord de permettre à leurs alter egos du Sud de se renforcer par la mise en place d’un partage systématique d’informations, de stratégies de collaboration et d’efforts de mobilisation collective d’envergure transnationale, comme ce fut le cas en Guinée-Conakry en 2011 dans le cadre de la révision du régime minier. On voit donc qu’il est possible de faire émerger un véritable rapport de force intersyndical, pour ne pas dire inter-acteurs, convaincant et inclusif.

En somme, cet exercice ne visait pas à prescrire des lignes de conduite précises ou des pistes à suivre de façon absolue, quel que soit le niveau d’action privilégiée. Il cherchait plutôt à dégager dans la pratique des zones d’apprentissage collectif susceptibles d’induire des cadres d’action collective novateurs et féconds en termes de retombées futures, notamment en ce qui a trait au renforcement de l’imputabilité des sociétés minières canadiennes au chapitre de la responsabilité sociale. Aussi, les pistes d’action collective dégagées ont permis d’enrichir les recherches en cours et d’entamer des discussions plus larges sur les stratégies mondiales dans le cadre des Assemblée de convergence au FSM 2016 dans la série « Les peuples et la planète avant le profit ». Le vieil adage Quand on veut, on peut ! s’est ainsi vu confirmé au sortir de ces discussions… Reste à voir s’il continuera d’inspirer les luttes à venir.

 

Photo : Échanges entre défenseur-e-s des droits sociaux, environnementaux et du travail de trois régions du monde (Afrique, Amériques et Caraïbes). Photographie des auteur-e-s

Mélanie Dufour-Poirier
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