En juillet 2015, je me suis rendue au Chiapas, dans le sud du Mexique, dans l’intention de prendre part aux Brigades d’observation des droits humains (BriCOs) du Centro de Derechos humanos Fray Bartolomé de las Casas (FRAYBA). Les BriCOs sont nées d’une collaboration entre les communautés zapatistes et le FRAYBA et permettent de mettre à profit leurs réseaux de solidarité internationale dans la lutte pour le respect de leurs droits fondamentaux. Ce texte consiste ainsi en un témoignage de mon expérience au sein des BriCOs.
Un mouvement toujours aussi vivant
Le soulèvement zapatiste de 1994 a reçu beaucoup d’attention médiatique et a inspiré plusieurs autres mouvements de lutte pour l’autonomie à travers le monde. Aujourd’hui, le mouvement demeure présent sur la scène politique mexicaine, plus de 20 ans après l’insurrection. À titre d’exemple de la force qui anime encore ce mouvement social, le 21 décembre 2012, près de 40 000 autochtones ont fait irruption dans des lieux importants du pouvoir chiapanèque. Le choix du 21 décembre s’explique par la commémoration du massacre d’Acteal ayant eu lieu le 22 décembre 1997. Dans les mots de Raúl Zibechi, journaliste et écrivain mexicain :
Convaincante, silencieuse, disciplinée, bien plus massive que le soulèvement armé du 1er janvier 1994 qui avait fait connaître au monde l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), cette mobilisation a démontré que le mouvement zapatiste n’est pas à bout de souffle en dépit de sept années sur la défensive[1].
En effet, le mouvement zapatiste est encore en pleine effervescence, comme en témoigne l’expérience de La Escuelita, une série de cours offerts dans les cinq Caracoles[2], ouverts aux allié-e-s solidaires à travers le monde et visant à faire connaître la réalité des communautés zapatistes[3]. Cela ne signifie toutefois pas que celles-ci ne sont plus victimes d’atteintes à leurs droits fondamentaux. Les déplacements forcés ainsi que l’intimidation du gouvernement, parfois par l’entremise de tiers, sont au nombre des difficultés quotidiennes auxquelles les familles zapatistes doivent faire face. Pour cette raison, les communautés continuent de demander l’appui des BriCOs. Les bénévoles des BriCOs se rendent donc dans les communautés sur la demande de celles-ci et ce sont les familles zapatistes elles-mêmes qui sont derrière cette prise de décision.
La rencontre avec les familles zapatistes
Après avoir suivi une formation dispensée par d’anciennes participantes des BriCOs, je me suis rendue aux locaux du FRAYBA à San Cristobal de Las Casas afin de rencontrer les autres observateurs bénévoles avec qui j’allais passer plusieurs semaines. Deux jours plus tard, je me retrouvais propulsée dans la réalité que j’avais tant étudiée à distance. Les communautés zapatistes sont autonomes, ce qui signifie qu’elles refusent toute aide financière de la part du gouvernement et disposent de leurs propres écoles. Le tout est administré par des Caracoles. Notre première destination comportait ainsi un arrêt dans un Caracol, afin de s’identifier et d’exprimer nos motivations. À notre arrivée au Caracol, j’ai pu constater la vitalité de la lutte zapatiste. Il faut mentionner que tout ce que j’avais appris sur le mouvement zapatiste par le passé m’apparaissait très loin de ma propre réalité. Ayant grandi dans une société où le capitalisme est bien peu souvent mis en doute, je me retrouvais dans une toute nouvelle conception du monde. Ce sentiment de surprise et d’admiration m’a accompagné au cours de mes deux séjours dans les communautés. Au contact des familles zapatistes, j’ai été intimidée de me trouver face à la volonté et la résilience dont j’avais entendu parler. Le contact avec les familles était souvent maladroit puisque notre simple présence était tout ce qui était attendu de nous et que les responsables du FRAYBA nous avaient demandé de nous concentrer sur notre rôle d’observateurs et de demeurer neutres.
Malgré l’obstacle de la langue et la gêne des familles et la nôtre, les familles zapatistes ont réussi à nous communiquer leurs angoisses et leurs craintes, mais surtout leur volonté d’améliorer l’avenir de leur peuple. Les adultes dont nous avons fait la connaissance font beaucoup de sacrifices au quotidien, afin d’assurer aux générations qui viendront après eux un niveau de vie décent. Ils savent combien la terre est précieuse et qu’il vaut mieux la cultiver que la vendre. Les communautés font face à la dépossession de leurs terres par l’État et mettent à profit toutes les méthodes non violentes à leur disposition pour se défendre.
Au total, j’ai séjourné dans deux communautés différentes, l’une d’appartenance zapatiste et l’autre appartenant à l’organisation Las Abejas. C’est une organisation qui appuie la lutte zapatiste, mais seulement dans ses activités non violentes, ce qui signifie que ses membres se dissocient de l’EZLN. Dans les deux communautés que j’ai pu découvrir, les principales violations dont sont victimes les familles sont de l’intimidation de la part des familles non-zapatistes qui vivent dans les environs. Notre rôle en tant qu’observateurs-trices consistait à documenter ces violations, par des photos et des témoignages, ainsi qu’à transmettre les préoccupations des familles zapatistes au FRAYBA.
La solidarité internationale et les BriCOs
Malgré ma volonté de participer aux BriCOs, j’ai souvent remis en doute l’utilité de ma présence. Mes privilèges en tant qu’occidentale peuvent-ils être réellement mis à profit dans cette relation de solidarité avec les Zapatistes ? C’est en quelque sorte le pari que tentent de relever les différents projets d’accompagnement et d’observation des droits humains tels que les BriCOs. Au cours de la formation, on m’a appris que ces projets se veulent une alternative à la coopération internationale traditionnelle, dans laquelle les communautés concernées ont souvent peu de pouvoir décisionnel. La force des BriCOs vient de la reconnaissance des participant-e-s de leurs propres privilèges, ainsi que du fait qu’elles sont mises en place à la demande explicite des communautés[4]. C’est finalement les familles zapatistes qui m’ont elles-mêmes convaincue. Alors qu’elles partageaient leur quotidien avec nous, les familles zapatistes ont à de multiples reprises exposé leurs craintes pour leur sécurité. Elles nous ont exprimé combien la présence des observateurs et observatrices était importante pour elles et s’inscrivait dans leur stratégie de résistance non violente.
Enfin, j’ai beaucoup appris lors de mes deux courts séjours dans les communautés. Au-delà des différences culturelles qui nous séparent, je ne peux qu’admirer la façon dont chaque personne porte en elle le projet de tout un peuple. Je suis finalement convaincue que les BriCOs sont aujourd’hui encore tout aussi pertinentes qu’à leur création et qu’elles le resteront tant que les communautés zapatistes jugeront qu’elles les aident à assurer leur sécurité.
Photo : Lors de La Escuelita en 2013. Photographie d’Annie Lapalme
Références
[1] Zibechi, Raúl (2014). « La révolution décolonisatrice du zapatisme », Alternatives Sud, vol. 21, p. 85 à 108.
[2] Les Caracoles administrent les différentes facettes de l’autonomie zapatiste.
[3] Schools for Chiapas. « La Escuelita », en ligne : http://www.schoolsforchiapas.org/advances/schools/la-escuelita/ (page consultée en septembre 2016).
[4] Guénette, Laurence (2015). « L’accompagnement international : La solidarité autrement! », Projet Accompagnement Québec-Guatemala, en ligne : http://www.paqg.org/node/407 (page consultée en septembre 2016).
Sophie Demers
Sophie Demers a complété un baccalauréat en Relations internationales et droit international de l’UQÀM ainsi qu’un certificat en Études autochtones de l’Université Laval. Elle poursuit des études en droit à l’Université Laval et s’intéresse aux luttes autochtones au Canada et en Amérique latine. Elle a suivi une formation avec le CDHAL avant d’effectuer un séjour d’observation des droits humains avec le FRAYBA en juillet 2015.