La mort du rossignol

Pour Aylan Kurdi [1]

Faites rouler les pommes jusqu’au ruisseau
Que personne ne goûte leur douceur
Faites taire les oiseaux, faites disparaitre les papillons
Mettez des pierres à bouillir dans la marmite
Fermez les fenêtres… aujourd’hui je veux de la noirceur

Je veux extraire cette douleur de l’âme
Que l’on écoute les sanglots de la mer
Il n’y a rien comme une mer qui pleure,
Laissez-moi aussi pleurer…

Il y a un enfant sans vie sur la plage
Quelqu’un a dit…un rossignol

Le monde entier est en train de le pleurer
L’humanité s’est échouée sur la rive!, la multitude se déchire

Nous voulons couvrir et réchauffer son corps
Remédier à la peine pour ceux qui par milliers nous glissent entre les doigts
Des milliers qui parviennent à la rive de ce monde frontière
L’âme et le corps saignant sous la violence de la guerre,
la dépossession, l’impunité, la pauvreté, l’horreur et l’indifférence

Nous voulons nous rebeller contre le puissant pouvoir de « ne pas pouvoir » qui nous gouverne

Nous voulons oublier qu’on a perdu le sourire
Oublier que nous l’avons oublié
Oublier ce que nous avons oublié,
Nous rappeler que nous l’avons oublié
Indispensable exercice de mémoire…

Pour garder nos enfants sains et saufs,
qu’ils foncent dans la vie libres et heureux
qu’ils fassent le plein d’eau claire et de fruits frais

Retrouver le bon sens…
Nourrir à nouveau nos âmes avec leur joie

 

Traduction : Pierre Bernier

 


Note 

[1] Aylan, trois ans, son frère Galip, cinq ans, ainsi que leur mère, ont perdu la vie en 2015 dans les eaux de la Méditerranée alors qu’ils tentaient de fuir de l’horrible guerre syrienne. La photo de l’enfant noyé a été prise par le journaliste turc Nilufer Demir, de l’agence Reuters. Elle a parcouru la planète et a frappé les cœurs.

Le roman de l’écrivaine états-unienne Harper Lee intitulé To kill a mocking bird (traduit en français par Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur et paru en espagnol sous le titre Matar a un ruiseñor, soit « Tuer un rossignol, ndlr) dénonce la violence d’une société à travers l’histoire d’une enfant. Cette œuvre, très critiquée il y a un demi-siècle, est citée ici.

Des milliers de personnes en Europe, aux États-Unis, au Canada et dans le monde entier ouvrent leur porte aux réfugié.e.s de la guerre, aux communautés déplacées par le pillage et la dépossession de leur territoire et par la pauvreté, devançant les décisions que les gouvernements ne finissent pas par prendre pour faire face au drame que représentent les migrations.

 

Elizabeth Peredo Beltrán
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Elizabeth Peredo Beltrán est psychologue sociale, chercheure, écrivaine et militante bolivienne. Son travail et ses écrits portent notamment sur la justice économique, les droits de l’eau et les droits environnementaux. Elle collabore avec l’Observatoire bolivien sur le changement climatique et fait partie de plusieurs réseaux et collectifs de travail pour le Bien commun. Elle a créé le blogue Trenzando ilusiones pour soutenir la transition d’une société de croissance infinie à une société centrée sur le Bien commun et le soin de la vie.