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Être femme Apolat Talpan Tajpiani. Femmes autochto...

Être femme Apolat Talpan Tajpiani. Femmes autochtones, métisses. Femmes communautaires

Je t’envoie un texte. Avec mon cœur et ma pensée.

En espérant qu’un peu de nous, de nous toutes, puissent se rendre jusque là-bas. Mais surtout pour faire savoir aux femmes de ces terres que pour être femme défenseure du territoire, il n’est pas nécessaire de cesser d’être femme.

Nous ne sommes pas en train de laisser derrière ou de mettre de côté ce que nous sommes, ce que nous faisons, ce que nous voulons faire ou ce que nous avons fait.
Nous apprenons les concepts spécifiques au sujet de la défense du territoire.

Nous redonnons de la valeur à la communauté, la solidarité, la communication, la confiance en l’autre. À la responsabilité, la gratitude, la spiritualité.
Et nous avons vu et on nous a enseigné.

Que toutes ces valeurs et ces façons de vivre se retrouvent dans les cultures originelles, celles-là mêmes que nous vivons, parfois inconsciemment. Celles que nous délaissons parfois. Et alors nous les reprenons, nous les revalorisons, et nous les vivons.

Que nous allons, que nous vivons en marchant, protégées par nos grands-mères, accompagnées par nos mères et nos sœurs, en plus d’être guidées par nos filles.
Car ce que nous faisons, nous le faisons en grande partie pour celles qui s’en viennent, qui déjà sont en marche.

***

Oui, nous nous portons à la défense de la vie, c’est dans notre nature.

En tant que mères, vocation vivante dans notre cœur, mission choisie. En tant qu’épouses.

Celles d’entre nous qui célébrons et accomplissons la parole, résolues à protéger la vie, la protéger de la mort, de ces projets de mort qui ne peuvent qu’être combattus et vaincus en célébrant la vie elle-même.

Professionnelles, intellectuelles, paysannes, jeunes femmes, petites filles, grand-mères, femmes de communauté… Chacune en faisant le travail qui est le sien, pas plus importante l’une que l’autre, l’une complétant l’autre… Celles qui marchent, celles qui cuisinent, celles qui prient, celles qui enseignent, celles qui souffrent, celles qui sont heureuses.

Doña[2] Margarita repoussant férocement les ingénieurs de San Juan Tahitic, quelle force de femme, quelle intelligence.

À Xalacapan, avec cette femme qui nous offre l’itacate[3] en sachant que ça nous donnera des forces, et sa fille qui nous réchauffe l’âme par son intérêt et son travail à l’assemblée, servir pour apprendre et apprendre en servant.

À Xochiapulco, doña Gloria accomplissant son rôle de figure d’autorité; et la maîtresse d’école, nous ouvrant les portes de sa maison, hôtesse incomparable, qui sait cette chose importante : qu’on défend la vie en honorant nos nourritures et nos boissons les plus sacrées.

« Les femmes » de Cuauximaloyan, la ruse inégalable de chacune d’elles, et évidemment doña Evencia, la juge de paix, figure d’autorité de la communauté. Femme qui dirige, car elle est ainsi, exerçant le pouvoir au service de son peuple, comme on le lui a demandé; elle sait obéir, elle défend ce qu’on lui a confié.

Talcozaman : avec ses femmes dont la sagesse est grande, qui savent écouter, qui savent qu’on ne peut plus attendre, car la vie, si on n’en prend pas soin, meurt, ou alors elle peut tomber gravement malade et rester ainsi affaiblie. Que le vent appelle à l’aide, et qu’il est inconcevable que le territoire soit exilé sur sa propre terre, par des acheteurs qui voient de la marchandise en toute chose, ou parce qu’il est symbole de pouvoir pour d’autres.

Huahuaxtla et Cuautapehual : là-bas, des femmes coopératrices, entrepreneures, travailleuses, « battantes », comme on dit ici.

Las Lomas : je me demande, en voyant cette dame, la mère du maître d’école : est-ce que cette femme n’est pas à l’origine du fait qu’on soit ici, aujourd’hui, est en train de défendre la vie? Et la réponse vient, immédiate : mais oui, évidemment, c’est elle qui l’a enseigné!

Tecuicuilco : c’est l’amour d’une terre qui enlace, la décision d’une femme qui est un exemple pour nous toutes, qui sait ouvrir si grand les bras, qui embrasse le monde, au-delà de sa famille ou de ses propres problèmes, de ces problèmes dont on peut presque mourir. Reyna et son grand cœur fort comme les pierres de la rivière Apolat, qui savent laisser glisser l’eau de la vie mais qui restent fermes pour veiller sur son cours.

Nos pères, frères, amis, compagnons, fils, filleuls, neveux, compères. Ils ne forment qu’un avec nous, il manquerait un morceau à notre territoire ou un battement à notre cœur si j’oubliais de les nommer. Si nous sommes, c’est avec eux. S’ils sont, c’est avec nous.

Nous sommes celles-là et d’autres encore, nous sommes si nombreuses que mon texte – tellement limité par ces codes écrits – ne parvient pas à les dire toutes, ne leur rend pas justice. Toutes celles qui soutiennent, construisent et sont la raison d’être de nos foyers, et qui construisent à leur tour notre grande maison commune, notre territoire, sans lequel n’existeraient pas les femmes Apolat Talpan Tajpiani.

 

Traduction par Pierre Bernier, Joëlle Gauvin-Racine et Emma Saffar

 

Photo : Les terres et les rivières appartiennent aux peuples autochtones et non aux gouvernements. Photographie par Miriam Bautista Gutiérrez

 


Notes

[1] Apolat Talpan Tajpiani signifie « gardien.ne.s des terres de l’Apolat ». C’est le nom d’une organisation qui rassemble différentes communautés autochtones et métisses de la cuenca de la rivière Apulco (Apolat) dans la Sierra Norte de Puebla, au Mexique (voir l’article que l’auteure cosigne avec Pierre Beaucage, dans ce même numéro).
[2] Traitement de respect en langue espagnole.
[3] Provisions de nourriture qu’on emporte ou qu’on nous offre pour le voyage. Le mot vient du náhuatl ihtacatl.

Claudia Marina Olvera Ramírez
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Claudia Marina Olvera Ramirez est une jeune militante métisse de Talcozaman, dans la vallée du haut Apulco. Elle est responsable de la pastorale sociale de la Sierra Nororiental de Puebla. En plus de ses occupations agricoles et de son engagement au sein d’Apolat Talpan Tajpiani, elle chante et écrit de la poésie (voir le texte Être femme Apolat Talpan Tajpiani, dans ce même numéro).