La fraîche brume matinale et la faible lumière de l’aube couvrent la montagne et l’on entend au loin des sons de marimba mélangés à ceux d’une vieille radio : « Bonjour à toute la collectivité de Chamtaqá, nous commençons à l’instant la retransmission de la radio Kamolbé 93.1 ».
Quelques heures plus tard, près de la mer et des palmiers, là où l’humidité annonce les grandes chaleurs quotidiennes, on entend une bachata et la radio : « Buiti Binafi, nous sommes de retour ». Il s’agit de la radio communautaire Waruguma, à Trujillo.
L’une est au Guatemala; l’autre, au Honduras. À première vue, il semblerait qu’elles n’ont rien en commun. Au contraire, elles font toutes deux partie du Réseau mésoaméricain de radios communautaires, autochtones, garifunas et féministes, créé en 2009.
Travailler en réseau pour un soutien mutuel
Le Réseau mésoaméricain est un réseau stratégique de partenariats naturels qui réunit plusieurs radios communautaires et dont la mission est de renforcer les luttes des organismes sociaux et des peuples de la région. Actuellement, il compte 20 radios communautaires et 9 organismes pour la défense du territoire et des droits humains. Le maintien de la diffusion de ces radios demande un effort considérable et beaucoup de détermination puisqu’elles sont autonomes et se contentent du travail des bénévoles et de l’engagement social de la communauté et des personnes qui y participent quotidiennement.
L’objectif principal du Réseau mésoaméricain est d’unir les efforts des projets de communication des organismes qui partagent les mêmes visions de lutte, pour s’élever au-delà des frontières culturelles, religieuses et ethniques. Ainsi, le Réseau devient actif et opérationnel, capable de s’articuler et de répondre conjointement; un espace d’appui mutuel et de solidarité.
Quel est le contexte?
Tout cela a un lien de causalité bien précis. En effet, si l’on jette un coup d’œil à la situation des droits humains, plus particulièrement à la liberté d’expression dans cette région, nous faisons face à des faits préoccupants :
Au Guatemala, la majorité de la presse écrite est contrôlée par le groupe familial Marroquín qui possède aussi 41 postes de radio d’Emisoras Unidas. Même si la radio est moins sous le monopole que les autres médias (environ 55 % des 550 postes appartiennent à neuf conglomérats d’entreprises), il est important de noter que ceux qui contrôlent plus de la moitié des postes de radio sont aussi ceux qui contrôlent la presse et la télévision. De plus, les postes de radio s’achètent aux enchères, ce qui rend l’accès égalitaire entre les médias communautaires et les grandes entreprises de communication presque impossible.
Au Honduras, 69 journalistes et membres des médias sociaux ont été assassiné.e.s depuis 2001, selon les statistiques du bureau de la Commission nationale des droits humains (Comisionado Nacional de los Derechos Humanos, CONADEH). Or, seulement 6 sentences ont été prononcées, ce qui signifie que 91 % de ces actes demeurent impunis.
Considérant ces problèmes (nous pourrions en nommer bien plus) et réalisant une veille des médias commerciaux (médias oligarques qui n’agissent que pour des intérêts économiques très précis et qui sont contrôlés par une poignée de gens), nous constatons comment leurs messages criminalisent les mouvements sociaux, ridiculisent et folklorisent la spiritualité et la culture, encouragent la migration et le sexisme, et promeuvent les projets d’extraction et de pillage pour « favoriser le développement ».
Tous ces messages sont remplis de fausses informations lancées aux communautés. Celles-ci doivent avaler l’information sans consultation ni préavis, comme si elles étaient des dépotoirs où s’accumulent les déchets sans contrôle.
C’est pour cela que les communautés se sont levées contre les médias commerciaux et contre la contamination de leurs terres et de leur territoire par des mégaprojets. C’est ainsi qu’est née la nécessité de créer leurs propres médias avec une identité qui leur est propre. Des médias où l’appropriation de la technologie est un processus en soi pour lequel se forment les médias communautaires qui, comme leur nom l’indique, proviennent de la communauté et sont créés grâce à la force du tissu social qui les pousse à aller de l’avant.
En ce sens, il est important de donner à TERRITOIRE une signification plus complète que celle de la terre. Il faut aussi lui ajouter le sens de corps, identité, culture, spectre radioélectrique, etc. Il est donc logique que la première ligne de défense du territoire soit LA PAROLE. C’est pourquoi les membres des médias communautaires utilisent la radio comme moyen de renforcer leur message et leurs droits en tant que communautés, leur personnalité et leurs sentiments uniques, dans le but de défendre leur territoire.
Que se passe-t-il avec les radios communautaires?
Voici ce qui se passe avec la radio Waruguma, à Trujillo, qui fait partie du Réseau de radios communautaires garifunas. En 2008, la collectivité de Guadalupe, dans la baie de Trujillo située sur la côte nord du Honduras, a intenté une action contre le Canadien Randy Jorgensen (aussi connu sous le nom de Roi du Porno) pour avoir acheté illégalement des terres dans cette même collectivité. Son but était d’ouvrir un passage entre le port de croisière Banana Coast et le projet Alta Vista, un énorme complexe touristique situé sur des terres communautaires. Les radios communautaires, avec l’aide de l’Organisation fraternelle noire du Honduras (OFRANEH), ont organisé la lutte et ont sensibilisé la société, ce qui a entraîné plusieurs menaces et de nombreux attentats envers les leaders communautaires et journalistes. Le 18 mai dernier, leur collègue César Geovany Bernardez, journaliste communautaire et membre de la coordination générale de l’OFRANEH, a été détenu et accusé d’usurpation d’un terrain qui, selon le titre communautaire obtenu, appartient à la communauté de Guadalupe. Même si le juge a ordonné sa remise en liberté, ce défenseur des droits humains a été soumis à des mesures de substitution.
Leur dernier succès date du 26 juillet dernier lorsque la radio communautaire Warugma a reçu la résolution OD 034-17 émise par la Commission nationale des télécommunications (Comisión Nacional de Telecomunicaciones, CONATEL). Celle-ci déclare que la radio communautaire est « REBELLE ». Selon la Convention 169 de l’OIT relative aux droits des peuples autochtones (qui fait partie d’autres conventions internationales ratifiées par le Honduras), les peuples autochtones ont le droit d’avoir leurs propres médias.
De l’autre côté de la frontière, a eu lieu le 20 mars 2017, la « Marche pour la dignité » à laquelle ont participé les communautés q’eqchi’ d’Alta Verapaz. Cette marche a été organisée dans le but d’exiger que les autorités judiciaires officialisent le droit à la consultation obtenu par la collectivité de Santa María Cahabón. Il y a une forte opposition aux projets hydroélectriques Oxec I et Oxec II dans cette ville puisque leur construction se traduirait par la détérioration de l’écosystème de la région et par la destruction de lieux sacrés aux yeux de la communauté q’eqhi’. De son côté, la radio Kamolbé, de l’Union des organisations paysannes de Verapaz (Unión Verapacense de Organizaciones Campesinas, UVOC), a lancé une campagne d’information et de sensibilisation de la population sur ses ondes. Ils ont ainsi créé un bulletin sur ce sujet à l’aide de communicateurs et communicatrices communautaires du Réseau mésoaméricain[1].
Le samedi 29 juillet dernier, les familles q’eqchi’ de 196 communautés des villages et des collectivités de Santa María Cahabón se sont réunies pour réaffirmer l’importance de reprendre la consultation du 27 août de bonne foi. Elles ont aussi demandé aux organismes, aux collectifs, aux observateurs et observatrices, ainsi qu’aux journalistes de veiller à ce que cette journée se passe dans l’harmonie et sans hostilité et à ce que la procédure établie soit respectée.
Nous n’avons nommé que quelques exemples des nombreuses façons dont la radio communautaire aide les organismes et les communautés à se battre pour la défense des droits humains et de leurs territoires. Finalement, les différents projets de communication et le Réseau mésoaméricain de radios communautaires, autochtones, garifunas et féministes pratiquent quotidiennement le droit à la liberté d’expression en utilisant la parole, notre première ligne de défense face à l’oppression et un outil fondamental pour exercer notre droit à l’information.
Traduction par Valérie Martel
Photographie de COMPPA
Notes
1 Réseau mésoaméricain de radios communautaires, autochtones, garifunas et féministes du Honduras et du Guatemala « ¡Escucha y Aprende! Hidroeléctricas », en ligne : www.radioscomunitarias.info (page consultée en août 2017).
Références
Page du Réseau mésoaméricain de radios communautaires, autochtones, garifunas et féministes du Honduras et du Guatemala : www.radioscomunitarias.info
Comunicadorxs Populares Por la Autonomía (COMPPA). Escuelita de Comunicación Popular de los Pueblos, 2010, en ligne : https://www.comppa.org/materiales-didacticos-comppa (page consultée en août 2017).
Convention 169 de l’OIT relative aux peuples autochtones des pays indépendants (27 juin 1989). Entrée en vigueur : 5 septembre 1991.
Clases de periodismo (2017). « Honduras : 69 periodistas asesinados desde 2001 y una impunidad que indigna », 2 mai 2017, en ligne : http://www.clasesdeperiodismo.com/2017/05/02/honduras-69-periodistas-asesinados-desde-2001-y-una-impunidad-que-indigna (page consultée en août 2017).
Hernández, Rosalinda (2017). « En defensa de la determinación », CIMAC, 21 février 2017, en ligne : http://www.cimacnoticias.com.mx/?q=etiqueta/guatemala&page=2 (page consultée en août 2017).
Morales, Rony (2017). « Consulta comunitaria de buena fe, vital para la vida del río Cahabón », Prensa Comunitaria, 29 juillet 2017, en ligne : http://www.prensacomunitaria.org/consulta-comunitaria-de-buena-fe-vital-para-la-vida-del-rio-cahabon/ (page consultée en août 2017).
OFRANEH (2017). « Amenazan con clausurar la Radio Comunitaria Garífuna Waruguma en Trujillo », 26 juillet 2017, en ligne : https://ofraneh.wordpress.com/2017/07/26/amenazan-con-clausurar-la-radio-comunitaria-garifuna-waruguma-en-trujillo/ (page consultée en août 2017).
Anna Jover Segura
ANNA JOVER SEGURA détient un baccalauréat en publicité et relations publiques et une maîtrise en culture de la paix. Elle est expérimentée en analyse de conjoncture dans les zones de conflit, en droits humains et en dynamique de rétablissement de la paix en Amérique latine. Elle est journaliste indépendante pour les médias alternatifs et donne des formations en communication communautaire et en éducation populaire avec une approche sexospécifique. Elle est actuellement co-coordonnatrice de Comunicadorxs Populares Por la Autonomía (COMPPA), un collectif qui, depuis 15 ans, accompagne les organismes dans leurs processus de communication, de lutte et de résistance pour leur territoire : www.comppa.org