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Radio Huayacocotla, la voix paysanne, la Bien-aimé...

Radio Huayacocotla, la voix paysanne, la Bien-aimée qui marche avec le peuple

Le bien-aimé :
À ma cavale, quand elle est attelée aux chars de Pharaon, je te compare, ô, mon amie.
Tes joues sont belles au milieu des colliers, ton cou est beau au milieu des rangées de perles.
Nous te ferons des colliers d’or, pointillés d’argent.
– Le Cantique des Cantiques

Le 15 août 2017, notre bien-aimée Radio Huayacocotla, la radio du peuple avec sa voix de femme paysanne mature, de grand-mère, fêtait ses 52 ans.

La fête se fit le 12 août. Très tôt, les hommes et les femmes de Huayacocotla et des communautés voisines commencèrent à arriver pour fêter Radio Huaya, comme on l’appelle affectueusement. Ils avaient emporté des bouquets de fleurs, des photos, des cartes, des ballons et leur joie, pour témoigner à la Bien-aimée, et à ceux et celles qui y travaillaient, de leur affection, de leur respect et de leur admiration.

La célébration commença tôt avec des tamales et du café pour accueillir ceux et celles qui étaient venu.e.s fêter. Le téléphone ne cessa de sonner pour laisser savoir à la Bien-aimée qu’on l’aimait, qu’on la célébrait et qu’on voulait l’entendre pendant encore plusieurs, plusieurs années.

Dès 8 heures du soir, les gens commencèrent à arriver au complexe sportif où l’on organisait une danse afin de poursuivre la fête. La danse dura jusqu’à 3h30 du matin et plus de 2 500 personnes se rassemblèrent pour danser au rythme de la musique du trio, de la bande et de la cumbia. Il y avait des fusées et des pétards qui ont illuminé la nuit et qui manifestaient la joie de tous ceux et celles qui célébraient ensemble l’histoire d’une radio qui maintenait son engagement envers les gens du peuple. Nous dansâmes ensemble, hommes et femmes, pour montrer notre affection à notre bien-aimée.

La Bien-aimée avait commencé ses émissions en tant qu’école radiophonique le 15 août 1965 avec comme objectif d’alphabétiser les gens de la région. Le projet était alors dirigé par deux religieuses.

En 1973, sa voix devint encore plus claire, car sa priorité devenait l’accompagnement des gens de la communauté, des paysan.ne.s de la région et de leurs luttes. À ce moment-là, les membres de l’équipe de la radio élargirent sa mission d’alphabétisation à celle d’éducation populaire.

En 1990, Fomento Cultural y Educativo (Développement culturel et éducatif), une association civile, qui appartenait à la Compagnie de Jésus, prit en main le projet de la radio et le renforça avec la création et l’accompagnement concret de l’Unité de production forestière Adalberto Tejeda.

La violence croissante dans la région motiva également l’expansion du projet avec la création du Comité des droits humains de la Sierra Norte de Veracruz afin de rendre les peuples plus forts et leur permettre de faire face aux injustices qu’ils vivaient.

La Voz Campesina (La voix paysanne) raconta non seulement les histoires d’oppression et d’injustice qui ravageaient les Otomis de Texcatepec, où les éleveurs dépouillaient les Autochtones de leurs terres pour y installer de grands pâturages et les remplir de vaches. Non seulement ils leur avaient enlevé leurs terres, mais plusieurs furent assassinés… La Voz Campesina et les membres de ce qui serait plus tard le Comité des droits humains de la Sierra Norte de Veracruz accompagnèrent le peuple otomi dans sa lutte, qui se solda par l’expulsion des éleveurs et la récupération de 5 000 hectares de terres qui furent retournés à leurs propriétaires originaux.

Ainsi, depuis sa création, la Bien-aimée était proche du peuple « d’en bas » et est devenue un espace unique pour les peuples autochtones si oubliés et maltraités par le gouvernement du Mexique. Radio Huaya permit que la voix de ces peuples de la région (les Otomis, les Tepehuas et les Nahuas) soit entendue. C’est pourquoi elle dérange tant les puissants, le gouvernement qui, bien sûr, ne veut pas les entendre.

 

« Sans donner aucune explication sur
les fautes auxquelles ils faisaient allusion,
trois mois plus tard, ils nous dirent
que nous pouvions ouvrir la radio. »
– Alfredo Zepeda

 

Cette option, celle de donner la parole aux sans-voix, fit que la Bien-aimée fut constamment harcelée par les gouvernements, à la fois les gouvernements régional et fédéral, tous deux craignant que les gens ne se sensibilisent, ne s’organisent et ne se conscientisent. C’est pourquoi ils voulurent faire taire Radio Huaya à plusieurs reprises. L’un des moments les plus tendus fut après le soulèvement zapatiste de 1994, lorsque le gouvernement remplit les montagnes du pays avec du personnel militaire, en particulier dans les zones autochtones.

À cette époque, prétextant des défaillances techniques, le gouvernement ferma la radio pendant trois mois, de mars à mai 1995, nous racontait Alfredo Zepeda, directeur du projet, qui y participa durant plus de 30 ans. Il ajouta : « Sans donner aucune explication sur les fautes auxquelles ils faisaient allusion, trois mois plus tard, ils nous dirent que nous pouvions ouvrir la radio ».

En 2005, Radio Huayacocotla reçut du Secrétariat aux communications et aux transports la permission de transmettre au 105,5 FM sous l’acronyme XHFCE « La voix des paysan.ne.s ». À l’heure actuelle, la Bien-aimée a 10 000 watts de puissance et peut s’écouter du sommet de la colline de Viborillas dans toute la zone nord de Veracruz jusqu’aux communautés de l’Hidalgo, de Puebla, de San Luis Potosí, de Querétaro et au sud de Tamaulipas.

Le souvenir le plus lointain que j’ai de La Voz Campesina est une chanson qui jouait à l’émission Noticiero del Campo (Nouvelles de la campagne) qui plus ou moins disait ceci : « Les ravageurs, les ravageurs, ils voulaient avoir le dessus, manger les cultures de ma communauté. J’ai appelé Chonito, j’ai appelé Don Juan et des pauvres ravageurs, il n’en reste plus ».

Actuellement, les nouvelles sont appelées « Mots en l’air », mais continuent de refléter principalement l’actualité des villages de la région et privilégient le contact direct de la radio avec les organisations communautaires.

La radio favorise également le renforcement, la diffusion et la promotion des coutumes des communautés : les danses, les contes et les légendes; les occupations au sein de la communauté, telles que celles des sages-femmes, qui ont été attaquées par le système de santé de notre pays et dont la pratique est constamment menacée.

De la même façon, la radio maintient les contacts entre les gens de la communauté grâce à la section des avis et des communiqués, qui rapporte les animaux perdus, le travail communautaire, les journées de santé, les décès dans la région, les fêtes communautaires, etc., facilitant ainsi l’échange d’informations dans les zones où il n’y a pas d’accès au téléphone.

 

Le dizain de l’Huasteca
c’est l’élégance rimée
de syllabes enchaînées
qui mouille l’âme desséchée
à Tlachi, à Huaya et à Texca
où le peuple marche
toutes les montagnes s’illuminent
la radio d’un peuple en lutte
qui s’écoute dans l’Huasteca
et la voix des paysan.ne.s s’entend
Carlos Hernández Dávila

 

Pour la Bien-aimée, il est essentiel que sa voix s’exprime par le biais d’un éventail de langues, car elle comprend ce que le peuple dit parce qu’elle fait partie du peuple. Ainsi, elle parle otomi, tepehua, nahuatl et espagnol.

Et comme la radio est colorée comme les villages, ainsi en est-il de la musique qui s’y écoute dans sa programmation; il y a de la musique de trios et de bandes caractéristiques de la région, ainsi que les danses des villages qui correspondent à des rituels divers comme les offrandes à l’eau, à la montagne, au maïs. Il y a aussi des rythmes de danse qui sont plus liés aux fêtes, comme des chansons pour le carnaval, les mariages ou le jour des Morts. C’est ce qu’Inocencio Flores Mina, l’animateur tepehua de la radio, nous a raconté.

Et la radio fait tellement partie de la communauté qu’on l’entend où sont ses gens, peu importe la distance. Internet a été mis au service du peuple, car il accompagne les migrant.e.s qui sont partis de ces terres pour aller à des endroits comme New York. Grâce à cela, les familles partagent non seulement des salutations, mais aussi les histoires de ceux et celles qui sont parti.e.s et de ceux et celles qui sont resté.e.s, et l’absence devient plus légère.

La Bien-aimée, bien qu’elle s’écoute au loin et que sa voix soit toujours plus forte, ne délaisse pas son côté communautaire ni son engagement envers « ceux et celles d’en bas ». Elle est consciente que d’assumer ce service fait d’elle, comme les autres radios communautaires du pays, une cible des attaques des puissants qui sont de plus en plus constantes dans un pays secoué par la violence. Cependant, étant une grand-mère et une sage, elle sait que se taire est inutile et qu’en ce moment, sa voix est plus nécessaire que jamais. Elle sait aussi que ce qu’elle a appris et vécu ces dernières années l’a rendue plus forte et que le peuple l’aime et la respecte. Elle se sait Bien-aimée.

 

Traduction par Émilie Noël

Photo : Célébration devant la Radio Huayacocotla. Photographie de Radio Huaya.

Inti Barrios
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INTI BARRIOS est une actrice, scénariste, animatrice de radio et conteuse d’origine mexicaine, qui a passé cinq ans à Montréal. Son travail créatif est lié au travail des organisations sociales et des droits humains. Elle travaille actuellement à Radio Huayacocotla, La Voz Campesina, à la fois dans la production de programmes et dans le travail de la voix avec les animateurs.trices.