Il y a 40 ans, je me suis établi dans un écohameau où le partage, l’entraide et le respect de la nature sont les valeurs qui relient notre communauté. J’ai fait le choix, à partir de mes privilèges, d’un mode de vie qui tend vers l’indépendance et l’autosuffisance, tentant de vivre le plus possible au rythme des saisons et de la nature. Croyant qu’un retour à la terre et une reconnexion à la nature sont nécessaires, j’ai été l’instigateur d’un organisme Écoagir visant à partager les expériences d’agriculture écologique, d’énergies renouvelables, ainsi que les réflexions philosophiques que mon mode de vie m’a amené à développer. Pour moi, les migrations modernes sont loin d’être naturelles, tout comme l’environnement urbain et artificiel que les êtres humains ont construit pour y vivre.
Une raison profonde des migrations modernes, selon moi, est une recherche d’une liberté perdue sur les territoires pillés et modifiés par les colonisateurs. C’est une recherche de liberté face à la domination et à l’exploitation de ses multiples formes sur la nature, les femmes et les peuples.
L’origine des migrations n’est-elle pas à la base une réponse à des besoins fondamentaux comme manger, boire, socialiser, se reproduire, se protéger? En observant ceux et celles qui vivent encore près de la source – la source étant les cultures en lien avec la nature – il est possible de comprendre que l’origine des migrations, ainsi que les raisons qui ont poussé l’humain à vivre dans l’artificiel, ne sont pas naturelles et sont issues de systèmes complexes d’exploitation. Nous, les humains, nous sommes éloignés de la nature, ce qui nous a rendus déséquilibré·e·s, dans notre propre corps, mais aussi entre nous, au sein de nos communautés et nos sociétés. Remonter à la source et voir ce qui l’a contaminée permet de cesser les pratiques qui entretiennent sa pollution, les abus de nos corps et de la nature.
La colonisation a basé son exploitation des peuples et de la nature sur une technologie extractive qui ne profite qu’à une minorité aux dépens de la majorité et qui peut sembler spectaculaire, mais qui est dispendieuse en regard de ses impacts sur l’environnement, parce qu’elle épuise complètement les ressources et bouleverse les lois de la nature. Les colons de l’empire européen ne se sont pas adaptés aux cultures autochtones et au nouvel environnement; au contraire, ils ont pris seulement ce qui leur a permis d’établir leur propre modèle de domination et de surexploitation, reproduisant celui qui avait surpeuplé et épuisé l’Europe auparavant.
Destruction des cultures originelles
L’image de l’arbre nous permet de comprendre les conditions essentielles à la vie. Les mots et la culture forment un arbre dont les racines et le feuillage sont intimement liés. Les racines en question sont l’environnement naturel et les conditions climatiques auxquels se sont adaptés les peuples, avant que les colonisateurs ne viennent les exploiter et leurs technologies déconnectées des conditions environnementales les pervertir. La perversion est une pratique qui épuise et intoxique la nature et les êtres vivants qui, une fois dépendants des technologies, participent à étendre cet empire parasite. Les êtres qui se nourrissent des aliments venant de l’abus, sans connaître dans quelles conditions ils sont produits, ne peuvent être conscients de la souffrance imposée à ceux et celles dépossédé∙e∙s de leur dignité et territoire qui ont permis cette production.
Au sein des réserves, territoires restreints où les communautés autochtones ont été confinées, les tentatives de sauver les langues et cultures autochtones ne sont que cosmétiques, car les peuples ne peuvent y exprimer leur culture sans leur territoire et en dehors de leur mode de vie traditionnel. Offrir des compensations aux peuples dépossédés, c’est comme offrir des cadeaux pour qu’ils obéissent aux intérêts d’une élite. La dépossession des peuples se trouve parmi les causes fondamentales des migrations.
La technologie moderne et ses outils performants subjuguent et donnent l’illusion d’être fort. Néanmoins, la force véritable est la santé et l’héritage génétique reçus par une lignée d’ancêtres qui ont vécu en harmonie avec la/leur nature. Le maintien et le développement des conditions artificielles et complexes sont dispendieux et de ce fait insoutenable, et comme nous le constatons présentement avec la disparition de la biodiversité, l’épuisement et l’intoxication de l’environnement, ce qui mène vers la faillite. La vision économiste est une ultime tentative par un pouvoir artificiel de déconnecter la vie de ses racines, de forcer les gens à migrer, parce qu’on détruit et pille la base qui soutient leur vie. Partout sur la planète, une culture parasite a pris la place de la culture originelle, sa tendance ambitieuse exacerbée se propage au-delà des capacités de la mère planétaire. Cette culture parasite torture et abuse de la terre-mère, forçant les peuples à se déraciner et à migrer vers d’autres lieux.
Accélération du mouvement
Le mouvement accéléré est l’une des causes de l’abus et il semble difficile de l’admettre, car nous en sommes devenus dépendant·e·s. La technologie moderne nous permet de communiquer et nous déplacer rapidement et de plus en plus loin, mais qu’en est-il des conséquences négatives qui deviennent de plus en plus préoccupantes? L’extraction est un mécanisme naturel d’appropriation que les êtres pratiquent instinctivement lorsqu’ils se reproduisent. Accaparer des ressources pour grandir et vivre sa vie demande une capitalisation de ressources alimentaires et matérielles. Mais, dans nos sociétés modernes, cet instinct a été récupéré et les moyens pour le satisfaire ont été dénaturalisés. Il devient difficile, et pour certains impossible, de modérer le besoin d’appropriation lorsque les moyens d’exagérer sont accessibles, d’où le parasitisme qui en découle. Il y a un savoir sur la nature humaine/animale en lien avec l’alternance de la pénurie et de l’abondance qui est utilisé par l’élite pour diriger la consommation de ressources dans le but d’en profiter. Les besoins fondamentaux sont ainsi récupérés par l’élite par une manipulation de l’approvisionnement pour en contrôler le débit et/ou les conditions pour se les procurer dans le but d’accroitre les profits. Certains peuples se retrouvent dans des conditions de pénurie quasi permanentes, où ils n’arrivent plus à répondre à leurs besoins fondamentaux. Nul autre choix que de quitter cet endroit où la souffrance a pris trop d’importance.
La surexploitation des ressources par l’accélération et l’amplification de nos sociétés modernes se reflète au sein de l’économie par des montées spectaculaires suivies de dépressions marquées. Tout comme l’individu qui abuse d’aliments riches en glucides vit dans son corps des hauts et des bas vertigineux d’hyper et d’hypo glycémie, les sociétés voient le même phénomène se refléter au sein de leur économie. Rien de tout cela ne peut être géré par les mécanismes naturels et ceux-ci en sont épuisés et intoxiqués.
Priver les populations pour ensuite les contraindre est une technique transmise par et pour les élites du pouvoir patriarcal qui se sont succédé depuis sa prise de pouvoir sur les femmes et la nature. L’émergence du patriarcat semble historiquement liée à l’exploitation par l’humain de son environnement. Des liens intrinsèques s’observent dans la reproduction des abus sur les femmes, les populations autochtones, les personnes migrantes, la nature. L’exploitation et la domination sont à la base des systèmes capitalistes et patriarcaux. Les hommes doivent agir vite et violemment pour établir leur domination, le temps est pour eux leur talon d’Achille.
La nature se rebelle
Rares sont ceux et celles qui voient la Terre comme un être vivant doué d’une conscience, encore moins qui la croient dotée d’une mémoire. Pourtant, malgré le fait qu’elle ne nous ressemble pas, elle a comme nous des mécanismes qui réagissent face à des situations qui l’affectent. Ce sont les peuples considérés primitifs et ignorants qui voient la planète et sa nature comme étant la mère de la vie qui l’honore tout en la respectant, en tentant de la traiter de manière à ne pas outrepasser ses limites pour bénéficier de ses ressources de façon durable. Quelles sont les réactions climatiques extrêmes qui, de nos jours, préoccupent les scientifiques? Une fièvre planétaire? Quelles sont les raisons qui font que l’humain moderne se ferme les yeux devant l’évidence des conséquences négatives de ses abus? C’est qu’il refuse d’abandonner les avantages qu’il croit avoir ainsi gagnés, qui sont en fait ce qui lui fera tout perdre. La technologie moderne nous permettra-t-elle en fin de compte de voir en direct sur grand écran en haute définition et avec un son stéréophonique notre propre faillite? L’être humain aura ainsi fabriqué la corde qui servira à le pendre.
L’humanité n’est qu’une partie de l’ensemble du vivant. Nous avons chassé une majorité d’espèces de leurs territoires, tout comme les entreprises le font avec les communautés autochtones et paysannes partout dans le monde. Les pays capitalistes, soi-disant développés, n’ont pas les moyens d’entretenir leurs engagements sans avoir recours à l’esclavage et cela s’est perpétué avec les travailleurs et travailleuses migrant·e·s et saisonniers·ères. Le mécanisme d’asservissement utilisé est celui de ne réduire à presque rien les opportunités pour les forcer à adhérer à celles proposées par les esclavagistes. Un entonnoir administratif et structurel dont le goulot s’amenuise force les personnes migrantes à l’emprunter pour avoir des conditions de vie minimales, puis à accepter des emplois peu payés et plus durs et dangereux, n’ayant pas ou peu accès aux services essentiels promis, tels le logement, la santé et l’éducation. La place que cette société leur réserve est celle de personnes marginalisées, illégales, sans statut.
Jean-Pierre Houde
Jean-Pierre Houde, né à Montréal, est de la génération de la contre-culture des années 1970; de la génération du magazine Mainmise, qui témoignait du foisonnement intellectuel et créatif qui animait le Québec à cette époque. Il s’est établi à La Patrie en 1980 et y réside depuis selon un mode de vie écologique. Il y a trouvé l’inspiration pour le projet Écoagir. Une partie des textes issus de cette philosophie se retrouvent sur le lien suivant : www.angenia.ca