reading FR

La gestion de la pandémie dans les communautés aut...

La gestion de la pandémie dans les communautés autochtones du Ceará : une relecture du processus colonial

José de Alencar (1829-1877) est considéré comme l’un des écrivains les plus importants du romantisme brésilien du 19e siècle. Dans son livre Iracema – Lenda do Ceará, canonisé comme chef-d’œuvre au pays, l’auteur cherche à représenter les origines de la nationalité brésilienne, pour finir par idéaliser le processus dévastateur de la colonisation en Amérique latine. Bien qu’Iracema soit un personnage fictionnel, elle est décrite comme ayant une appartenance à l’ethnie Tabajara, l’un des peuples originaires de l’État du Ceará. Malheureusement, le manque de respect envers les traditions et les droits de ce peuple n’est pas limité à la fiction et demeure vivant au Brésil jusqu’à ce jour.

Le Ceará est le huitième État brésilien en nombre de population autochtone avec 36 000 personnes et 15 peuples (Anacé, Gavião, Jenipapo-Kanindé, Kalabaça, Kanindé, Karão, Kariri, Pitaguary, Potyguara, Tabajara, Tapeba, Tapuia-Kariri, Tremembé, Tubiba-Tapuia et Tupinambá) vivant dans vingt municipalités [1].

Cet article vise à identifier l’inadéquation et les omissions des mesures gouvernementales en ce qui a trait à la lutte contre la pandémie pour protéger les peuples autochtones du Ceará, ce qui reflète la négligence historique que réserve l’État à cette population.

L’insuffisance de ressources et l’inefficacité du système de santé autochtone au Ceará

Entre le 15 mars et le 22 juin 2020, la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI) [2] a alloué 136 670,37 reals brésiliens (environ 32 300 dollars canadiens) au combat contre la pandémie en terre autochtone au Ceará. Si l’on considère le rapport entre le délai de réponse du gouvernement, s’élevant à environ 100 jours, et le montant investi, cela correspond à un investissement journalier inférieur à 0,05 reals par personne [3] (environ 1 cent canadien par personne). Dans ce contexte de ressources limitées, les cas d’infection par le coronavirus ont continué de grimper chez les Autochtones. Entre mai et juin 2020, le nombre de cas est passé de 23 à 216, une augmentation de 839 % [4]. Au mois de juillet 2020, le Ceará était déjà parmi les États brésiliens les plus affectés par la pandémie [5]. Toujours en juillet, selon le Secrétariat spécial à la santé autochtone (SESAI) le taux d’infection était de 1427,7 personnes autochtones pour 100 000 habitant·e·s, le plus élevé de la région nord-est et le deuxième le plus élevé au pays [6].

En entrevue au journal Diário do Nordeste le 3 juillet 2020, le responsable juridique de la Fédération des peuples et organisations autochtones du Ceará (FEPOINCE), Weibe Tapeba, a affirmé que ce taux élevé pourrait être expliqué notamment par le fait que les ressources pour l’achat d’aliments et de produits d’hygiène ont été envoyées dans un premier temps seulement à certaines communautés dans la région métropolitaine de la capitale et au peuple Tremembé, qui habite la région côtière. Par conséquent, les villages autochtones situés en région n’ont reçu aucune aide en début de pandémie. La situation est devenue encore plus critique du fait que seulement les personnes ayant des symptômes ont été dépistées, étant donné le manque de ressources du District sanitaire spécial autochtone (DSEI).

De même, selon la FEPOINCE, les longs délais et le manque de tests de COVID-19 ont contribué à une forte sous-estimation du nombre de cas réels, comme l’indique le nombre élevé de personnes autochtones ayant reçu un certificat de décès indiquant pour cause de mort une insuffisance respiratoire plutôt que la contamination par COVID-19. Une telle situation rend difficile l’identification des personnes ayant été en contact avec une personne infectée et pouvant donc être contaminées elles-mêmes, qui dans lequel cas devraient être mises en isolement aussitôt que possible, jusqu’à disparition des symptômes.

Le droit autochtone dans les systèmes juridiques national et international

Comme indiqué antérieurement, le taux d’infection par le virus de la COVID-19 chez les peuples autochtones au Ceará est supérieur à la moyenne nationale. Cependant, alors que certains États ont réservé un traitement médical exclusif aux personnes autochtones, offrant par exemple des hamacs au lieu de lits dans le but de mieux les accueillir [7], au Ceará, plusieurs communautés n’ont pas eu accès au Système unique de santé publique (SUS) et de nombreux cas n’ont pas été rapportés, ce qui a contribué à répandre la COVID-19 dans plus de communautés.

Le Ceará dans son ensemble possède 26 cliniques médicales exclusivement pour les populations autochtones, ce qui est considéré comme insuffisant par Weibe Tapeba [8]. Les communautés autochtones situées en région seraient les plus affectées par la structure précarisée, et ce notamment pendant la pandémie de COVID-19.

Une telle situation de négligence de la part de l’État enfreint plusieurs jalons juridiques ayant trait à la protection des droits autochtones, tant au niveau provincial que fédéral. Par exemple, selon le chef Eduardo Kariri-Quixelô [9], avant la pandémie les habitant·e·s de la communauté Kariri-Quixelô avaient accès à une consultation mensuelle avec une femme médecin de la municipalité de Iguatu. Cette consultation mensuelle a été suspendue en raison de la pandémie et la communauté se trouve actuellement sans accès aux soins de santé de base. Elle doit maintenant se déplacer pour avoir une consultation médicale à 19 km de la communauté.

[citation sans référence] « Nous sommes angoissés. Nous n’avons pas accès ni à la ville ni à personne à l’extérieur de la communauté. La mairie ne communique pas non plus avec nous. La vaccination pour la grippe H1N1 a commencé et nous n’avons même pas été avertis ».

Une telle situation enfreint la Constitution de l’État du Ceará, et plus spécifiquement l’article 245 et les paragraphes III et IV de l’article 246 [10]. Ainsi, le montant dérisoire de moins de R $0,05 par personne alloué par le gouvernement fédéral pour la promotion des mesures de prévention relatives à la COVID-19 chez les communautés autochtones met de l’avant le mépris du président Jair Bolsonaro, non seulement envers les peuples autochtones, mais aussi envers la Constitution brésilienne de 1988, qui définit la santé en tant que droit social fondamental de toutes les citoyennes, tous les citoyens [11].

Il est également important de souligner que plusieurs des leaders autochtones confirment l’inadéquation entre les informations fournies par les établissements de santé locaux, provinciaux (siège administratif de Fortaleza, la capitale de l’État du Ceará) et fédéral (ministère de la Santé). Ces contradictions ont comme conséquence la sous-notification du nombre de personnes autochtones atteintes de la COVID-19.

Une telle situation de précarité dans l’accès à la santé par les peuples autochtones pendant la pandémie enfreint plusieurs traités internationaux pour lesquels le Brésil est signataire, notamment la Déclaration des Nations unies pour les droits des peuples autochtones [12] :

Article 24

  1. Les peuples autochtones ont droit à leur pharmacopée traditionnelle et ils ont le droit de conserver leurs pratiques médicales, notamment de préserver leurs plantes médicinales, animaux et minéraux d’intérêt vital. Les autochtones ont aussi le droit d’avoir accès, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé.
  2. Les autochtones ont le droit, en toute égalité, de jouir du meilleur état possible de santé physique et mentale. Les États prennent les mesures nécessaires en vue d’assurer progressivement la pleine réalisation de ce droit.

 

De plus, le faible montant destiné à la lutte contre la COVID-19 chez les populations autochtones a provoqué l’insécurité alimentaire dans plusieurs communautés. Selon Mateus Tremembé du territoire autochtone Tremembé da Barra do Mundaú situé dans la municipalité de Itapipoca, « les résident·e·s n’arrivent plus à aller à la ville pour acheter des aliments non périssables » à cause de l’isolement « social ». Dans la communauté Jupuara du peuple Anacé, dans la municipalité de Caucaia, où 30 % des familles autochtones subviennent à leurs besoins à travers des activités informelles tels le tourisme et la vente d’artisanat, l’interruption temporaire de ces activités a eu un impact direct sur la communauté qui a provoqué la nécessité d’organiser des campagnes d’aide alimentaire. « Nos terrains pour la pratique de l’agriculture collective sont complets », a affirmé le chef Climério Anacé. Cette situation de perte de moyens de subsistance et d’insécurité alimentaire enfreint l’article 25 de la Déclaration universelle des droits humains :

Article 25

  1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

 

Conclusion

Selon les données de la FUNAI, en 1500 — l’année de l’invasion des colonisateurs en territoire brésilien — la population autochtone s’élevait à environ 3 000 000 de personnes. Le dernier recensement brésilien réalisé en 2010 a indiqué qu’environ 820 000 personnes se sont déclarées comme Autochtones [13]. Le fort impact de la pandémie sur les territoires autochtones au Ceará reflète la continuité de la menace d’extermination des peuples autochtones au Brésil par la négligence du gouvernement aux niveaux provincial et fédéral. Aussi, de par son choix de mettre en deuxième plan une stratégie de prévention efficace pour le contrôle de la propagation de la COVID-19 dans les communautés autochtones, l’État brésilien enfreint plusieurs lois nationales et internationales. Cependant, tout comme il y a eu de la résistance tout au long de la période coloniale, les leaders autochtones continuent à dénoncer les violences juridiques et médiatiques et organisent des barricades sanitaires à l’entrée des villages, cherchant à suivre les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Comme l’affirme Davi Kopenawa Yanomami : « ce n’est pas notre empreinte qui est sur toute cette destruction. C’est celle des blancs, ce sont vos traces sur la terre » [14].

 

Photographie: Femme autochtone Tapeba. Crédit : Érika Fonseca, 2020

 

Traduction par Yussef Kahwage

 


Notes: 

[1] Federação dos Povos Indígenas do Ceará – FEPOINCE. « Povos Indígenas no Ceará », en ligne : https://www.fepoince.org/povos-ind%C3%ADgenas-no-ceará (page consultée en décembre 2020).
[2] La Fundação Nacional do Índio (FUNAI) est l’organisme officiel de l’État brésilien pour les autochtones et est le responsable de la coordination et de la mise en œuvre de la politique pour les peuples autochtones au pays. Sa mission institutionnelle est celle de protéger et de promouvoir les droits des peuples autochtones du Brésil. Pour de plus amples renseignements, visitez : http://www.funai.gov.br/index.php/quem-somos.
[3] Redação (2020). « Cada indígena cearense recebeu menos de R$0,05 por dia da Funai durante a pandemia », Diário do Nordeste, 3 juillet, en ligne : https://diariodonordeste.verdesmares.com.br/regiao/cada-indigena-cearense-recebeu-menos-de-r-005-por-dia-da-funai-durante-a-pandemia-1.2958725
[4] Câmara Municipal de Fortaleza (2020). « Cresce número de casos confirmados de Covid-19-em comunidades indígenas cearenses; há 4 óbitos », 18 juin, en ligne : https://www.cmfor.ce.gov.br/2020/06/18/
cresce-numero-de-casos-confirmados-de-Covid-19-em-comunidades-indigenas-cearenses-ha-4-obitos/

[5] De Lima, Bruno et Campos, Elisa (2020). « Ceará ultrapassa Rio e se torna o 2º estado com mais casos de Covid-19 no Brasil », Época Negócios, 6 juillet, en ligne : https://epocanegocios.globo.com/Brasil/noticia/
2020/07/ceara-ultrapassa-rio-e-se-torna-o-2-estado-com-mais-casos-de-covid-19-no-brasil-veja-situacao-estado-estado.html

[6] Rodrigues, Rodrigo (2020). « Ceará tem segunda maior icidência da Covid-19 entre indígenas do Nordeste », Diario do Nordeste, 24 juillet, en ligne : https://diariodonordeste.verdesmares.com.br/regiao/
Ceará-tem-segunda-maior-incidencia-da-Covid-19-entre-indigenas-do-nordeste-1.2969576

[7] Oliveira, Valéria (2020). « Hospital em RR tem leitos com redes para indígenas infectados pelo coronavírus ». G1 Globo, 23 juin, en ligne : https://g1.globo.com/rr/roraima/noticia/2020/06/23/hospital-em-rr-tem-leitos-com-redes-para-indigenas-infectados-pelo-coronavirus-mantem-cultura-e-ajuda-na-recuperacao.ghtml
[8] Rodrigues, Rodrigo (2020). «  Povos indígenas do Ceará têm problemas agravados com a pandemia de coronavírus ». G1 Globo, 8 avril, en ligne : https://g1.»globo.com/ce/Ceará/noticia/2020/04/08/povos-indigenas-do-Ceará-tem-problemas-agravados-com-a-pandemia-de-coronavirus.html
[9] Redação (2020). « Povos indígenas têm atendimento médico e alimentação precários ». Diário do Nordeste, 8 avril, en ligne : https://diariodonordeste.verdesmares.com.br/regiao/povos-indigenas-tem-atendimento-medico-e-alimentacao-precarios-1.2231724
[10] Constitution de l’État du Ceará. Le 5 octobre 1989. Mise en vigueur : le 17 décembre 2018. Article 245 : La santé est le droit de tous et le devoir de l’État, garantie par des politiques sociales et économiques visant l’élimination des maladies et autres problèmes de santé et l’accès universel et égal à ses actions et services. Article 246. Les actions et services de santé publics et privés font partie du réseau régionalisé et hiérarchisé et constituent un système de santé unique dans l’État, organisé selon les orientations suivantes : III – entièreté de la délivrance d’actions de santé préventives et curatives, adaptées aux réalités épidémiologiques ; IV – soins universels, avec un accès égal pour tous, au niveau de complexité des services de santé
[11] Constitution de la République fédérative du Brésil. Mise en vigueur : le 5 octobre 1988. Art. 196. La santé est le droit de tous et le devoir de l’État, garantie par des politiques sociales et économiques visant à réduire le risque de maladie et d’autres problèmes de santé et l’accès universel et égal aux actions et services pour leur promotion, leur protection et leur rétablissement.
[12] Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le 13 septembre 2007. Mise en vigueur : mars 2008.
[13] Fundação Nacional do Índio – Funai. En ligne : http://www.funai.gov.br/index.php/indios-no-brasil/quem-sao. (page consultée en novembre 2020).
[14] Kopenawa Yanomami, Davi (n.d.).« Toda essa destruição não é nossa marca, é a pegada dos brancos, o rastro de vocês na terra ». Povos Indígenas no Brasil, en ligne : https://pib.socioambiental.org/pt/%22
Toda_essa_destruição_não_é_nossa_marca,_é_a_pegada_dos_brancos,_o_rastro_de_vocês_na_terra%22

Morganna Aparecida Maia Chaves de Lima
+ posts