Salut à toi, qui tiens ce numéro de Caminando entre tes mains!
Mais qu’as-tu, exactement, entre les mains?
L’aboutissement d’une œuvre collective. Un tissage de paroles. Un chemin en train de se faire. Une fenêtre. Un miroir. Une invitation.
Ce 33e numéro de Caminando est l’aboutissement d’un processus qui a commencé aux lendemains de la Rencontre internationale « Femmes en résistance face à l’extractivisme » qui a eu lieu en avril 2018 à Montréal.
Nous avons d’abord lancé un appel : appel à poursuivre, enrichir, illustrer les réflexions, expériences et solidarités que cette rencontre a permis de partager et de construire.
De la Bolivie, du Pérou, du Brésil, de la Colombie, du Panama, du Honduras, du Mexique, du Canada, du Québec, de la France, des Philippines, nous avons reçu des textes, des photos et des illustrations. Nombreuses sont les organisations et les personnes qui ont répondu à l’invitation. Défenseures des droits humains, journalistes, poètes, militantes, chercheures, paysannes, artistes, étudiantes, représentant.e.s et travailleurs.euses d’organisations et de réseaux de femmes et de peuples autochtones.
Chacun.e avec son regard, sa sensibilité, ses expériences, ses connaissances qui, mises ensemble, nous permettent de saisir la profondeur, la gravité, la violence et les ramifications de l’extractivisme actuel et la façon dont ce projet, ce modèle capitaliste profite des structures de pouvoir patriarcales tout en contribuant à les reproduire et à approfondir les inégalités structurelles entre les hommes et les femmes. Un pillage contemporain qui s’appuie sur des structures de pouvoir qui ont leurs racines dans la colonisation.
Comme nous l’a rappelé notre compañera Diana : « la richesse des empires a été générée par l’exploitation des corps et de la terre. L’extractivisme est le véhicule du capitalisme qui utilise toutes les formes d’oppression pour avancer ».
Mais les femmes résistent, partout! Et elles font entendre leurs voix, leurs analyses, les sagesses leur ont été transmises par les aîné.e.s et les ancêtres, leurs aspirations de liberté, d’autodétermination et de justice pour elles-mêmes, leurs communautés, leurs peuples, pour leurs enfants et pour celles qui viendront après… Les femmes sont au-devant de la lutte, elles mettent leurs corps sur la ligne de front et souvent, doivent le payer de leur vie.
Il y a des amies, des mères, des sœurs, des compagnes qu’on ne reverra plus. Mais dont les voix résonnent encore. Ne cessent de s’amplifier.
Rivières qu’ils n’ont pas réussi à faire taire.
Il y a aussi des paroles qui ne se sont pas rendues jusqu’à nos pages. Paroles de femmes dont les territoires et les communautés sont assiégés. Qui n’ont pas trouvé l’espace et le temps nécessaires pour écrire. Car les femmes n’arrêtent pas. Elles veillent. Sur la terre, sur leurs communautés, sur leurs sœurs. Elles se battent, elles sèment, elles enseignent. Et ce sont leurs mains qui préparent la nourriture, soignent les enfants, elles accompagnent les naissances. Des mains, donc, qui n’ont pas pu prendre la plume. Nous saluons chacune de ces femmes. Et nous vous invitons à découvrir la parole de certaines d’entre elles dans notre série de baladodiffusion « Luttes pour le territoire : Voix de femmes en résistance ».
Nous saluons aussi toutes celles et ceux – et il n’y a qu’à jeter un coup d’œil aux « crédits » dans la page de garde pour se rendre compte qu’il y en a plusieurs – qui ont donné du temps à la traduction des textes et à la révision linguistique, et ont permis que ce Caminando voit le jour.
Caminando porte si bien son nom. Cette revue est bel et bien le reflet d’un chemin en marche, d’un chemin en train de se faire. Comme le disent les célèbres vers de Machado : « Caminante, no hay camino / se hace camino al andar (Toi, qui marches, il n’y a pas de chemin / le chemin se fait en marchant) ». Ainsi en est-il de tout projet de création. De toute lutte de libération. De la révolution à laquelle nous sommes convié.e.s collectivement pour sortir de l’extractivisme et se défaire des formes de domination et d’oppression avec lesquelles il va de pair.
Nous aurons sans doute besoin de courage. Il y en a, entre ces pages. Le courage qui vient du cœur. De l’amour de la terre, de la révérence pour les rivières. Des liens qui nous lient à ce qui nous est cher et à ce qui nous dépasse : au territoire vivant, habité; aux humains et non-humains qui sont nos compagnons et nos compagnes de vie. Proches et lointains. Du respect et de la dignité.
Peut-être aussi cela prendra-t-il un peu de courage pour écouter ce que nous disent celles et ceux qui ont écrit les textes que nous vous présentons. Car ce numéro de Caminando est aussi une fenêtre sur la violence, le saccage et les profanations en cours. Fenêtre et miroir. Car une partie de nous est partie prenante de la perpétuation des systèmes de pouvoir en place. L’admettre, sans se terrer dans la culpabilité. Et regarder plus loin. À l’horizon. Puis sortir! Se mettre en marche. Rejoindre les autres. Sentir la terre. Agir. Prendre soin. Résister. Créer.
Bonne lecture!