
Offre d’emploi : Adjoint·e à la coordination de la Revue Caminando
11 décembre 2023
Éditorial
10 mai 2024Chères lectrices,
chers lecteurs,
Bien que l’élection de Gustavo Petro en Colombie et le retour de Lula da Silva au Brésil ont pu laisser présager un virage à gauche en Amérique latine, l’année 2023 a mis fin à cette illusion. C’est plutôt la tendance au « dégagisme » des élites qui persiste, favorisant l’accession au pouvoir de politiciens « anti-establishment » de droite tels que Daniel Noboa en Équateur, Santiago Peña au Paraguay et Javier Milei en Argentine. L’élection de Bernardo Arévalo au Guatemala, autoproclamé « social-démocrate », confirme la tendance au rejet des figures politiques traditionnelles.
L’année dernière a été marquée par d’importantes confrontations sociales et politiques. Dès janvier, des manifestations ont éclaté contre le gouvernement de Dina Boluarte au Pérou et ont été réprimées sévèrement par les forces de l’ordre. Au Panama, des activistes se sont mobilisés contre le renouvellement d’un contrat d’exploitation minière accordé par le gouvernement à une entreprise canadienne, First Quantum Minerals (Minera Panamá S.A.). Au Guatemala, des milliers de personnes ont manifesté pour réclamer la démission de hauts responsables tentant d’annuler les résultats des élections présidentielles. L’Argentine a également été secouée par des tensions après l’élection du président ultralibéral Javier Milei en novembre, avec une manifestation majeure organisée par le principal syndicat de travailleurs et travailleuses.
Ces mobilisations ont en commun le rejet des classes politiques au pouvoir, tenues responsables de la corruption et de l’insécurité, à l’origine des problèmes économiques et sociaux. C’est dans ce contexte que des figures politiques marginales, le plus souvent sans le soutien d’une infrastructure politique, ont réussi à défier l’hégémonie de partis traditionnels. Plusieurs de ces nouveaux et nouvelles dirigeant·e·s ont fait campagne sur les valeurs de l’ordre, de l’autorité et de la nécessité de combattre le narcotrafic et la criminalité. Mais cette dérive autoritaire préoccupe. En effet, l’Amérique latine a connu la plus forte régression démocratique de toutes les régions depuis le début du siècle.
Face à cette dérive vers l’autoritarisme en Amérique latine et dans les Caraïbes, les réponses sociales qui en émergent et qui se transforment portent sur la résistance, la défense et la reconquête des espaces démocratiques. Dans ce premier numéro du volume 38 de la revue Caminando, différents points de vue nous informent sur le rôle, l’impact, mais aussi les défis des différentes formes de résistance face à l’autoritarisme.
Nous nous penchons sur l’Argentine, qui se retrouve au cœur des débats actuels sur la démocratie et la gouvernance depuis l’élection de Milei. Silva Avalos fait des parallèles dans son article entre ce dernier et le président salvadorien Nayib Bukele, soulignant leur tendance à concentrer le pouvoir et à rejeter des principes démocratiques. L’entrevue avec Dario Aranda, chercheur et journaliste argentin, souligne quant à elle les racines de l’ascension de Milei dans une démocratie défaillante, mettant en évidence les mesures radicales de ce celui-ci qui menacent les droits des peuples autochtones et des communautés paysannes. Puis, le texte de Félix Riopel expose la montée de la droite néolibérale en Argentine, incarnée par Milei, et les défis économiques et sociaux qui en découlent. Ces analyses insistent ainsi sur l’importance d’une résistance continue pour défendre les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux en Argentine.
Longtemps dominé par des régimes autoritaires et soumis à l’influence des pays occidentaux, Haïti se trouve à être aujourd’hui un exemple classique d’État failli. Ce pays est omniprésent dans l’actualité depuis la flambée de violence générée par les gangs armés en mars dernier, après l’évasion massive de détenus ayant contraint le gouvernement à déclarer l’état d’urgence. Ce numéro inclut deux textes sur Haïti, mettant en lumière le rôle de l’histoire néocoloniale, de la présence d’organisations internationales et de la pluralité d’acteurs locaux, entre autres, dans la situation politique actuelle du pays.
Nous examinons aussi dans ce numéro comment la transition démocratique du Chili est encore entachée par les réflexes autoritaires du pinochetisme qui se manifestent notamment lors des mobilisations sociales. Le résultat du plébiscite chilien de 2022 sur le démantèlement de la Constitution mise en place durant la dictature militaire d’Augusto Pinochet fut une défaite importante pour les femmes mapuches, qui continuent de lutter pour leurs droits à travers les mouvements sociaux.
Au Mexique, le zapatisme fait son retour dans les sphères médiatiques et publiques. Le mouvement a récemment annoncé l’adoption de nouvelles formes organisationnelles, tout en maintenant une présence armée dissuasive pour protéger les territoires zapatistes et promouvoir des solutions politiques et pacifiques aux problèmes sociaux et économiques du Chiapas.
Plusieurs articles traitent de problèmes socioéconomiques étroitement liés à l’augmentation de l’insécurité qui contribue à légitimer les dirigeants autoritaires. L’article d’Alexis Legault explore les impacts sociaux et écologiques de la croissance économique, tels que l’accroissement des inégalités socioéconomiques, et propose le rôle crucial d’une éducation à l’engagement écocitoyen. Les thèmes de la migration et des droits des femmes sont aussi abordés ; dans son texte, Gladys Calvopiña rend hommage à Ana Karen, décédée en tentant de traverser la frontière canado-américaine à pied. Le poème inspirant de Mavi Villada, quant à lui, insiste sur l’importance d’unir nos voix et lutter pour que les femmes puissent un jour profiter de la liberté et de leurs droits.
Nous remercions toutes les personnes ayant généreusement contribué de diverses manières à ce numéro : auteurs·trices, illustrateurs·trices, traducteurs·trices, réviseur·e·s, ainsi que les membres du comité éditorial. La magnifique illustration de la couverture de ce numéro a été réalisée par Liana Perez, à qui nous sommes reconnaissantes pour son dévouement et sa créativité. Nous tenons également à remercier tous nos partenaires qui soutiennent financièrement la revue ou nous aident à la promouvoir et à la diffuser.
Nous espérons que ce numéro vous plaira et stimulera votre désir de solidarité envers les peuples et les mouvements sociaux.
Bonne lecture !
Ella Noël
Ella Noël est adjointe à la coordination de la revue Caminando. Elle poursuit actuellement une maîtrise en gouvernance internationale et migrations à Sciences Po Paris. Elle s’intéresse particulièrement aux situations de conflits civils et post-conflits, ainsi qu’au rôle de la communauté internationale dans la promotion de la paix et la reconstruction.