Éditorial

Depuis plusieurs années, les territoires de l’Abya Yala sont pillés par l’industrie minière canadienne. Près de la moitié des actifs miniers détenus à l’étranger par les entreprises minières canadiennes se trouvent d’ailleurs en Amérique latine et dans les Caraïbes. La présence de ces sociétés minières sur les territoires ne signifie pas seulement une extraction effrénée des ressources par des agents externes ; elle signifie aussi la pollution de la terre, de l’air et des eaux, la violence et le déplacement de communautés entières, ainsi que la perte d’autonomie et le dépouillement communautaire, pour ne citer que quelques-unes des conséquences vécues par les populations et les territoires affectés par l’industrie minière.

Il est très difficile pour les communautés d’empêcher le passage dévastateur des compagnies minières sur leur territoire. L’industrie minière est très bien protégée politiquement et économiquement. Les gouvernements locaux et étrangers ont mis en place des cadres juridiques qui facilitent l’extraction des ressources et privent les communautés de mécanismes de réclamation. À l’heure de la transition énergétique, source de fierté pour les pays riches, les minerais et les terres rares viennent remplacer les hydrocarbures polluants, et l’extractivisme ne fait que croître. Devant les conséquences « sales » de l’exploitation minière canadienne en Amérique latine, des voix s’élèvent des quatre coins du continent et se rejoignent pour former ce numéro de Caminando.

Il existe de nombreux pays où les entreprises canadiennes détournent les législations et bénéficient d’un appui politique des gouvernements. En Équateur et au Pérou, les militant·e·s s’inquiètent pour leur santé et les effets néfastes de l’extractivisme sur celle-ci, car les gouvernements ne sont attentifs qu’aux intérêts des entreprises. Le survol des dossiers contre la société Hudbay Minerals au Guatemala, ainsi que le projet Volta Grande au Brésil en témoignent également. Ces deux cas nous montrent que la négligence et l’impunité persistent, que les mécanismes de réclamation pour les communautés sont, bien souvent, non contraignants, et que les réparations imposées ne sont pas renforcées par les autorités locales. En Colombie, pour les mineurs artisanaux employant des pratiques ancestrales, « l’or ne vient pas tout seul ». À cause de la voracité des compagnies minières et du soutien qu’elles reçoivent des gouvernements, les problèmes sociaux et environnementaux ne tardent pas à se manifester lorsque des minerais sont découverts sur le territoire colombien.

Au Canada comme ailleurs dans le monde, la dépossession des territoires non cédés sur lesquels les entreprises extractives s’installent représente un nouveau visage du colonialisme en recréant des techniques d’assimilation chez les populations autochtones et afrodescendantes qui y vivent. Cette invisibilisation historique des communautés dans la prise de décisions des États s’inscrit dans un racisme systémique et engendre de graves problèmes sociaux et des conflits internes. Face à cette situation, les femmes autochtones ont toujours joué un rôle essentiel dans la résistance. En tant qu’actrices de changement, au Guatemala, elles orientent leurs revendications vers l’autodétermination des peuples au regard des questions extractives et la défense de la Terre-mère.

En Argentine, l’exploitation minière canadienne tente également de s’imposer en bafouant les droits des populations qui défendent leurs territoires, comme c’est le cas à Andalgalá et au Chubut. Au nord du Chili, les communautés aymaras font preuve de résilience face à une société minière qui menace une montagne sacrée et l’équilibre environnemental de la région.

La poésie qui accompagne ce numéro témoigne de la profondeur des inégalités et de la destruction égoïste de l’extractivisme imposées par les pays du Nord sur les populations du Sud. Les poèmes sont à la fois porteurs d’espoir et d’incertitude. Le poème sur la situation au Pérou nous rappelle d’ailleurs que le capitalisme mondialisé défend un statu quo mortel où la croissance économique est considérée comme plus importante que la protection des droits humains et de l’environnement.

Avec ce nouveau volume de Caminando, le CDHAL poursuit un projet d’envergure qui porte sur l’industrie minière en Amérique latine. Ce projet prévoit deux numéros de la revue et une série de baladodiffusion intitulée « Miner la vie » (Minando la vida) comprenant 4 épisodes en français et en espagnol qui font l’état de la militarisation des territoires, de l’augmentation de la violence et du crime organisé, ainsi que des mobilisations pour l’autodétermination des communautés affectées. Dans un premier temps, l’objectif est de dénoncer le modèle extractiviste canadien en Amérique latine et la complicité du Canada dans la violation systématique des droits humains. Dans ce premier numéro, nous souhaitons documenter ce phénomène dévastateur et les impacts de la présence des entreprises minières canadiennes sur l’environnement, la santé, les femmes et les peuples partout sur le continent. Dans un second temps, ce projet cherche à mettre en valeur les mouvements de résistance menés par les communautés affectées face à cette industrie extractive. Ainsi, dans un prochain numéro prévu pour l’automne 2023, nous nous pencherons davantage sur les initiatives de solidarité et d’espoir qui émergent de la résistance contre l’extractivisme sur les
territoires affectés.

Nous aimerions remercier toutes les personnes qui ont rendu possible la réalisation, la promotion et la diffusion de la revue : auteurs·trices, poètes, illustrateurs·trices, traducteurs·trices, réviseur·e·s, membres du comité éditorial et du comité de développement, ainsi que nos partenaires financiers et de diffusion. Vous pouvez d’ailleurs maintenant trouver cette revue dans une librairie près de chez vous et nous remercions les libraires qui choisissent de nous présenter à leur clientèle. Enfin, la superbe couverture de ce numéro a été réalisée par Liana Perez et nous la remercions pour sa créativité et son engagement solidaire.

Chèr·e·s lecteurs·trices, nous espérons que ce numéro vous plaira, générera une discussion sur les inégalités engendrées par l’industrie minière canadienne et vous mobilisera vers des actions concrètes.

Bonne lecture,

Annabelle-Lydia Bricault-Boucher
et Fernanda Sigüenza-Vidal

Table des matières

Éditorial | Annabelle-Lydia Bricault-Boucher et Fernanda Sigüenza-Vidal

Excès de pouvoir par les voleurs d’or | Audrey-Ann Allen

Andalgalá : Résister face à la dictature minière | Ana Chayle

Un écogénocide en Amazonie : Le cas de la minière Belo Monte Mining Corp. | Alliance pour la Volta Grande de Xingu

Entrevues du Mouvement populaire pour la santé – Canada avec des activistes luttant contre l’industrie minière canadienne en Équateur | Erika Arteaga, Kléver Calle, José Cueva et María Paola Granizo Riquetti

Le Sud, volant | Javi Fuentes

Andex Minerals en territoire aymara : Résistance dans les hauts plateaux des Andes chiliennes | Gabriel Poisson et Isabel Orellana

Abya Yala : Vers un État plurinational guatémaltèque? | Sara Germain

Vingt ans de résistance pacifique : Non à la mine Esquel | Cristina Julia Agüero

À un martyr du Pérou | Alexandre Anfruns

El oro no viene solo : Un projet de recherche-création sur les conséquences du projet minier Gramalote à Providencia, en Colombie | Javi Fuentes Bernal, Sarah Bengle et Gildardo Gomez Maya

Sans territoire, l’Innu n’existe pas | Laura Fontaine et Étienne Levac

Dépasser nos « mains sales » soudées par l’extractivisme néocolonial | Alexandre Maheux Diaz

Pourquoi est-il si difficile d’exiger la responsabilité sociale des entreprises ? La complexité de la gouvernance minière | Aviva Silburt

Les recours non contraignants et contraignants contre les minières canadiennes | Amélie Prévost et Charlotte Volet

 

Illustration : Liana Perez

Fernanda Sigüenza-Vidal
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