Les Accords de paix de 1996 visaient à mettre fin, non seulement à 36 ans de conflit armé entre les groupes de la guérilla et la dictature militaire, mais aussi, et surtout à l’exclusion politique et socio-économique de grands pans de la société guatémaltèque. Ces accords prévoyaient notamment une grande variété de mesures pour établir les fondements d’une démocratie consensuelle, basée sur la participation des populations marginalisées et le respect de leurs droits fondamentaux et ainsi, remédier à l’exclusion qui fut à l’origine du déclenchement du conflit armé.
Une fois les Accords de paix signés, ce fut toutefois un tout autre modèle de gouvernance et de développement qui fut promu et appliqué par le gouvernement au pouvoir. 2005 fut une année charnière avec l’adoption de plusieurs politiques qui ont initié un virage néolibéral, dont la Ley de Minería (1997) qui incluait une baisse du taux de redevances et d’autres dispositions ayant préparé le terrain pour l’accroissement de l’investissement direct étranger dans le pays.
C’est aussi en 2005 que les citoyens de la région de San Marcos ont pris conscience de la présence du projet minier Marlin, une mine d’or à ciel ouvert sous la propriété de Goldcorp. Des centaines d’habitants des municipalités dans les environs de la mine se sont alors rassemblés dans la rue pour exprimer leur opposition à l’activité extractive sur leur territoire. Ce fut le début du mouvement de défense du territoire face aux projets miniers qui a pris de l’ampleur dans les mois et années qui ont suivi. D’autres mouvements de défense du territoire face aux projets miniers ont émergé aux quatre coins du pays, et notamment dans les régions de Santa Rosa, de Guatemala et d’Izabal. Ces mouvements sont articulés autour d’un refus net de l’activité minière sur leur territoire. Ce refus est motivé par plusieurs facteurs, mais le facteur principal et le plus souvent cité par les militants rencontrés concerne les impacts de l’exploitation minière sur l’environnement et la Madre Tierra. Les expériences vécues dans d’autres pays et même au Guatemala au sujet de la pollution et de la destruction de l’environnement causées par des mines, poussent les militant-e-s à agir publiquement pour empêcher qu’une telle expérience se reproduise dans leur région. Leur militantisme en tant que défenseur-e-s du territoire a connu des hauts et des bas et ce, dans un contexte particulièrement hostile au travail des défenseur-e-s des droits humains. Dans ce texte, il sera question de quelques-uns des défis et des succès rencontrés par le mouvement de défense du territoire en relation avec l’activité minière depuis son émergence.
Diffusion nationale et transnationale du savoir et rôle-clé des ONG : récits de quelques succès
L’apprentissage et la collaboration à l’intérieur et à l’extérieur des frontières
La tenue d’évènements régionaux, nationaux et continentaux a été une des occasions importantes pour les divers mouvements de défense du territoire au Guatemala d’apprendre des expériences d’autrui et de tisser des liens de collaboration. Deux exemples de succès à ce niveau se trouvent dans la préparation de consultations communautaires, ainsi que dans le partage d’informations et l’expression d’une forte solidarité lors de l’Encuentro Continental contra la Minería y por la Soberanía Popular.
Les échanges transnationaux du savoir-faire ont été un élément important pour les militants lors de l’organisation des premières consultations communautaires dans la région de San Marcos, contre le projet minier Marlin. Bien que les communautés autochtones aient des formes de consultations qui datent de plusieurs siècles, la structure des consultations communautaires organisées dans la région de San Marcos a été directement inspirée de l’expérience péruvienne où l’opposition exprimée par la population rurale à l’endroit d’un projet minier, lors d’une consultation, a mené à l’annulation dudit projet. Cette expérience vise à organiser une consultation communautaire sur la base de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Elle a donné des outils au mouvement naissant de défense du territoire pour s’organiser et exprimer son refus de l’exploitation minière sur son territoire. Javier De León, militant de la Asociación para el Desarrollo Integral San Miguelense (ADISMI), affirme que lorsqu’il a lu dans un journal qu’une mine allait exploiter des métaux précieux dans sa région, « on ne savait rien sur le thème de la mine. On a commencé à connaître l’expérience du Pérou […]. On a fait un échange au Pérou […] [et] l’on a conclu que la mine n’est pas un modèle de développement ». C’est lors de cet échange et de cette transmission de l’expérience péruvienne que la communauté de San Marcos a pu organiser une, puis plusieurs consultations communautaires dans la région, leur donnant une assise juridique.
Une autre réussite des mouvements de défense du territoire au Guatemala a été la tenue d’évènements dans le pays pour partager les expériences et établir des stratégies communes de lutte. Un de ces évènements a été l’Encuentro Continental contra la Minería y por la Soberanía Popular qui a eu lieu en mars 2015 dans la municipalité de Mataquescuintla. Pendant près d’une semaine, des centaines d’activistes venant de différents pays ont échangé sur la problématique minière. Des activistes du Canada comme de l’Afrique du Sud ont pu parler de leurs efforts de mobilisation et des difficultés rencontrées pour influencer les décisions du gouvernement en la matière. Les participants ont également eu l’occasion de se rendre à un endroit, parmi les deux sites proposés, de résistance contre l’activité minière où des militants guatémaltèques ont partagé leur expérience. Cet évènement a permis à ses participants de nouer des liens, de connaître les stratégies utilisées dans des contextes particuliers, ainsi que d’exprimer leur solidarité et de réaffirmer leur conviction en faveur de la défense du territoire.
Le rôle-clé de coordination et d’information des ONG guatémaltèques
Les organisations de la société civile guatémaltèque ont joué un rôle-clé dans la coordination et la transmission d’informations sur l’enjeu minier. Les organisations sociales Centro de Acción Legal Ambiental y Social de Guatemala (CALAS) et Madre Selva ont joué un rôle de premier plan pour informer la population des nombreux impacts de l’activité minière. Le Conseil du Peuple Maya (CPO) a également été très important pour unifier le mouvement de défense du territoire dans l’Occident du pays, où la lutte est articulée sur la base de l’identité ethnique. Il a grandement contribué à l’organisation des consultations communautaires, à l’établissement des stratégies communes de lutte et à la défense légale des défenseur-e-s du territoire qui ont été victimes d’une politique informelle de criminalisation par l’État et les compagnies minières.
Les succès présentés ci-dessus n’ont pas abouti à la fin de l’activité minière au Guatemala, qui est l’objectif principal et final des militant-e-s. Il ne s’agit pas pour autant d’un échec, car ces échanges d’expérience ont eu un impact fort positif sur l’unification et la force du mouvement de défense du territoire face à l’industrie minière. Toutefois, de grands défis persistent en la matière.
Spécificité autochtone et rapport inégal de force : de grands défis continuent d’exister
L’identité autochtone : entre volonté d’affirmation et source de division
Durant ses premières années, le mouvement de défense du territoire au Guatemala était profondément imprégné de la question identitaire, liée aux droits collectifs des populations autochtones. Malgré la solidarité exprimée par les militant-e-s autochtones envers les mouvements de défense du territoire qui ont émergé dans des régions à majorité ladina[1], ces militant-e-s tiennent à affirmer la spécificité de leur lutte et à différencier les deux types de mouvements sociaux. Comme commenté par un leader du CPO, « nous sommes solidaires de leur lutte, mais c’est différent. Leurs consultations sont faites sur la base d’une loi municipale alors que nos consultations se basent sur les droits humains et la Convention 169 de l’OIT ». Ainsi, selon lui, les consultations communautaires des populations non autochtones n’ont ni la même légitimité ni la même valeur que celles tenues par les communautés autochtones qui sont, elles, reconnues par le droit international.
La création du parti politique Convergencia CPO-CRD, comme véhicule du mouvement social pour poursuivre la lutte au sein des institutions représentatives, affirme également cette différence comme le désir de poursuivre la lutte sous le prisme de l’identité autochtone. La création de ce nouveau parti politique, dans un contexte électoral caractérisé par la fragmentation des forces progressistes et par la candidature de leaders du mouvement non autochtone de défense du territoire au sein d’autres partis politiques de gauche, vient diviser le mouvement social et peut constituer un défi majeur à l’unification et à la force du mouvement. La focalisation autour de l’identité autochtone n’est pas une mauvaise stratégie en soi, mais dans le contexte politique actuel du Guatemala, elle représente un défi de plus pour assembler toutes les forces nécessaires afin d’arriver au pouvoir et ainsi, changer les politiques économiques.
Un rapport de force inégal entre les militant-e-s et les entreprises minières
Les pouvoirs économique et politique, intimement liés dans le contexte guatémaltèque, sont répartis de manière très inégale dans la société. On observe une forte inégalité au niveau du revenu, du degré de concentration de la terre et dans tous les indicateurs sociaux du pays[2]. Ces multiples inégalités ne sont pas étrangères à la forte présence, dans tous les rangs, de la corruption dans le pays. Ainsi, seule une minorité a un pouvoir économique et peut jouir des services sociaux[3].
Cela se traduit, dans le cas du mouvement de défense du territoire, par une très faible confiance des militant-e-s envers l’État qui souffre d’une crise de légitimité. En raison de la faible transparence et légitimité de l’État, causée en partie par la corruption, les militant-e-s croient fermement que les décideurs politiques sont corrompus par l’entreprise minière. L’acceptation des projets miniers par les maires et le Ministère de l’Énergie et des Mines est interprétée par les militant-e-s comme étant une preuve de la corruption, surtout dans les cas où la population a prononcé son opposition à l’activité minière lors d’une consultation communautaire : « Tout le monde sait qu’il y a un prix à payer pour obtenir le permis d’exploitation. Il y a beaucoup de corruption », affirme Morales, leader de l’organisation Comité en Defensa de la Vida y de la Paz.
Les entreprises minières ont également un grand pouvoir de persuasion en achetant de nombreuses publicités qui mettent en valeur les bienfaits de l’activité minière. En parcourant les deux quotidiens les plus distribués dans le pays, Prensa Libre et le Nuestro Diario, on tombe sur plusieurs publicités des compagnies minières. Les organisations sociales et les militant-e-s ont quant à eux peu de moyens financiers pour pouvoir accéder à un tel espace. Ils ont donc une faible capacité à faire valoir leur position auprès de la population.
Ces deux défis, l’un interne et l’autre externe au mouvement de défense du territoire, ne sont pas insurmontables, mais ils demeurent néanmoins des entraves à l’unification et à la force du mouvement de défense du territoire au Guatemala. Le portrait politique du pays est peu reluisant pour le moment. Cependant, de grandes avancées ont été faites au courant des dix dernières années et certaines opportunités se dessinent, particulièrement sur le plan juridique. Les militant-e-s doivent continuer de bâtir sur leurs apprentissages et consolider leurs liens de solidarité avec les militant-e-s et organisations qui luttent pour la même cause. C’est seulement ainsi qu’il sera possible de faire respecter l’opinion et les droits de la population et mettre un terme à l’exploitation minière.
Photo : Encuentro Continental Contra la Minería Photographie de la Red Nacional de Defensoras de Derechos Humanos en Honduras (redefensorashn.blogspot.ca)
Références
[1] Ladina : personne métisse.
[2] Banque mondiale (1995). « Guatemala: An Assessment of Poverty », en ligne : http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/TOPICS/EXTPOVERTY/EXTPA/0,,contentMDK:20207581 ~menuPK:443285~ pagePK: 148956~piPK:216618~theSitePK:430367,00.html.
[3] Bertelsmann Transformation Index (2014). « Guatemala Country Report », en ligne : http://www.bti-project.org/en/reports/country-reports/detail/itc/gtm/ity/2014/itr/lac/ (page consultée le 20 juin 2014).
Stéphanie Bacher
Stéphanie Bacher est étudiante au doctorat en science politique à l’Université d’Ottawa. Elle travaille sur la participation des défenseur-e-s des droits humains en Amérique latine et dans les Caraïbes.