
Je suis cette femme
11 novembre 2024
La migration et le tissu social autochtone nasa en Colombie : culture, conflit et territoire
29 mai 2025Chères lectrices, chers lecteurs,
Depuis la dernière décennie, nous observons une montée des extrêmes droites à travers le monde, qui s’articule par une multiplication en puissance des discours haineux et une augmentation des pratiques xénophobes face à l’immigration à l’échelle mondiale. Cette réalité provoque une crise de l’hospitalité telle que nous la connaissons actuellement, qui s’exprime notamment par le durcissement des politiques migratoires, le renforcement des contrôles frontaliers par les agences fédérales et policières, la restriction progressive du droit d’asile, ainsi qu’à l’accès aux soins de santé et au logement pour les personnes migrantes, notamment de l’Amérique latine. Celles et ceux qui sont forcé·es de migrer, dans l’espoir d’offrir une vie meilleure à leur famille ou d’échapper à la violence et aux changements climatiques dans leur pays d’origine, sont confronté·es à une exploitation capitaliste et au racisme systémique. D’un côté, les personnes migrantes sont vues comme une marchandise exploitable aux yeux des États et des entreprises, et de l’autre, elles deviennent les boucs émissaires de tous les maux de la société capitaliste pour détourner l’attention de la véritable source des problèmes structurels.
Devant cette fermeture des frontières et les déportations massives, des voix s’élèvent aux quatre coins du continent et se rejoignent pour former ce numéro de Caminando, ainsi que pour dénoncer les politiques migratoires inhospitalières. Cette édition comporte des analyses sur les migrations Sud-Nord et les conséquences des politiques d’hostilité, des récits de vie de personnes migrantes vivant avec un statut précaire ou sans statut, des réflexions sur la discrimination raciale et la criminalisation de la migration. Nous retrouvons également des histoires de résistances, où la solidarité et l’entraide se renforcent face à cette chasse aux personnes migrantes et leur invisibilisation historique.
De nombreux articles présentés dans ce numéro analysent les migrations du Sud vers l’Amérique du Nord. Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, en janvier 2025, a ravivé les inquiétudes concernant les politiques migratoires, en particulier à l’égard des personnes migrantes latino-américaines à la frontière du Mexique. L’histoire nous rappelle toutefois que le racisme et la vision de la personne immigrante comme criminelle existaient bien avant l’arrivée au pouvoir de Trump. Parallèlement au renforcement des frontières, les pays du Nord global ont aussi développé des techniques pour retarder l’arrivée des personnes migrantes, voire les décourager ou les inciter à l’immobilité, en offrant l’option de faire les démarches d’immigration et la demande d’asile sans mettre les pieds sur leur territoire. Les politiques de contention de la migration se retrouvent dans des programmes politiques comme l’application CBP One, mise en place par l’administration Biden, et l’initiative Quedate en México par l’administration Trump. Les casas de migrantes situées à la frontière mexicaine se transforment en lieu d’attente et d’hospitalité pour des milliers de personnes. La plupart de ces refuges ont été mis en place par des organisations de la société civile ou des congrégations religieuses en réponse à l’insécurité et la précarité vécues par les personnes migrantes et demandant l’asile qui attendent de pouvoir entrer légalement aux États-Unis. Dans ce numéro de Caminando, nous pouvons justement en apprendre davantage sur les défis affrontés par les organisations travaillant pour la reconnaissance des personnes migrantes et documenter les violations de droits humains.
Les poèmes sur la frontière Mexique–États-Unis qui accompagnent ce numéro sont à la fois porteurs d’espoir et d’incertitude. La poésie illustre de quelle manière une traversée périlleuse à la frontière transforme rapidement ce fameux « rêve états-unien » en un réel cauchemar.
Quelques articles portent plus particulièrement sur la situation au Québec. On peut lire notamment à propos du durcissement des politiques migratoires sous le gouvernement de François Legault, entre autres par sa tentative d’annuler 18 000 dossiers d’immigration, la fermeture du chemin Roxham ou encore le maintien des permis fermés pour les travailleur·eurs étrangers·ères temporaires. Selon le Regroupement des organismes en hébergement pour les personnes migrantes, les discours anti-immigration se reflètent notamment dans la discrimination en matière d’accès au logement ou au travail, vécue par les personnes nouvellement arrivées. Sur une note plus positive, le Projet accompagnement solidarité Colombie, un collectif anticolonial et féministe basé à Montréal, nous partage leur récente initiative d’éducation populaire qui porte sur la justice climatique afin de sensibiliser les jeunes personnes québécoises au lien entre le racisme environnemental et les injustices liées à la migration.
Quelques articles analysent comment les crises climatiques, politiques et économiques en Amérique latine, ainsi que le renforcement des dynamiques extractivistes impulsées par le Nord global, entraînent des millions de personnes à émigrer dans un pays voisin du Sud global. En Argentine, le président Javier Milei diabolise la migration et affirme que les personnes migrantes profitent du système afin de justifier la hausse des frais migratoires et des procédures pour la résidence temporaire et permanente dans un contexte de chômage et de réduction des politiques sociales. Au Brésil, des personnes migrantes vénézuéliennes sont relocalisées de force dans l’État de Roraima, dans des hébergements temporaires où ont été observées de graves violations de droits humains perpétrées par des autorités locales et internationales. En Colombie, le déplacement forcé du peuple Nasa-Paéz, dans le Département du Cauca, s’inscrit dans un processus colonial et de dépossession du territoire. Cette population autochtone nous offre toutefois un exemple de résistance et de reconstruction du tissu social autour de la préservation de la mémoire collective, de la lutte pour la récupération de leur territoire ancestral et la protection de la Terre-Mère.
Nous aimerions remercier la contribution de toute personne ayant rendu possible le développement, la promotion et la diffusion de la revue : auteur·trices, poètes, illustrateur·trices, traducteur·trices, réviseur·es, membres du comité éditorial, médias alliés québécois, libraires, ainsi que nos partenaires financiers. Enfin, la superbe couverture de ce numéro a été réalisée par Liana Perez Tello et nous la remercions pour sa créativité et son engagement solidaire.
Ce numéro représente une lecture essentielle pour comprendre les enjeux actuels dans les Amériques et la solidarité des organisations qui parviennent à cultiver l’hospitalité dans un environnement de plus en plus restrictif. Nous espérons qu’il générera une discussion sur les inégalités engendrées par la logique de sécurisation des frontières et mobilisera vers des actions concrètes. Le Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL) reste engagé envers les luttes sociales qui nous unissent depuis bientôt 50 ans. Les liens tissés continueront d’inspirer les générations futures et de renforcer les mouvements sociaux d’ici et d’ailleurs.
Bonne lecture!