Catégorie : Volume 32

Vaincre la peur par la radio dans un pays violent

Je me suis remis à regarder les photos prises, il y a deux ans, dans la communauté autochtone d’El Taragual, dans la municipalité de La Iguala, Lempira, dans l’ouest du Honduras, où a été inaugurée la Voz de la Vida le 3 mai 2015, Journée mondiale de la liberté d’expression. Le peuple autochtone lenca a été humilié pendant des siècles par d’ambitieux accapareurs de terres – des minorités blanches métissées, essentiellement racistes, et des religieux et religieuses au service de politiciens autoritaires et corrompus –, mais il a résisté avec sa spiritualité ancestrale, son savoir et son courage. Il y avait un vrai manque de moyens d’expression de la communauté, car personne ne voulait écouter la parole des leaders locaux contre l’imposition de la Loi d’ordre territorial (Ley de Ordenamiento Territorial) qui « oblige » les municipalités à diviser en parcelles le territoire ancestral des Autochtones. Depuis son entrée en vigueur en 2006, cette loi donne aux municipalités le pouvoir de mesurer, d’attribuer, et de vendre les terres communautaires et les territoires autochtones, pour ensuite attribuer des concessions ou vendre ces terres à des groupes privés incluant des blanchisseurs d’argent du crime organisé qui veulent s’accaparer les ressources naturelles pour ensuite les exploiter de manière implacable. La loi entre en opposition avec les droits intrinsèques des peuples autochtones qui construisent des relations de collaborations solidaires, de libre échange de biens, d’utilisation commune du territoire pour l’agriculture, la chasse et la pêche, et qui construisent des formes d’autogouvernement fonctionnant par assemblée. Ainsi, le 3 mai, la dignité communautaire et la fierté collective d’une visibilité régionale a brillé à travers ceux et celles qui ont appuyé l’idée de la Radio Taragual, au 106.7 FM. Évidemment, la présence de la radio a également présupposé le silence des incrédules et des adversaires qui ont exercé durant des siècles le monopole de la parole, plus particulièrement le prêtre, le chef politique ou le propriétaire des terres. Trois ans plus tôt, un des leaders autochtones de la communauté, Emeterio Pérez, avait souvent fait appel au programme Resistencias que je diffusais alors via la Radio Globo, à partir de la capitale Tegucigalpa, pour demander un appui au rêve communautaire. En juin 2013, quatre ans après le coup d’État, l’Association de médias communautaires du Honduras (Asociación de Medios Comunitarios de Honduras, AMCH) est née, faisant partie des multiples réponses face à l’invisibilité des acteurs sociaux au débat national. L’AMCH est également apparue comme moyen de résistance face à l’exclusion de voix critiques au discours hégémonique imposé par les moyens de communication urbains contrôlés par des pouvoirs en réalité liés à l’État. Et c’est dans ce mouvement que se trouvait Taragual pour revendiquer sa station de radiodiffusion. Dans les années précédentes, les permis pour les compagnies de communication à but lucratif et pour les moyens de communication propagandistes gouvernementaux avaient été sujets au système inégal de mise aux enchères et aux influences des deux partis politiques traditionnels, des deux religions historiques, de l’armée recevant des investissements privés et des entreprises médiatiques transnationales, incluant celles de téléphonie. Cette façon de profiter commercialement du patrimoine national qu’est le spectre radioélectrique a exclu le citoyen et la citoyenne de la fondation et de l’opérationnalisation d’entreprises de production de l’imaginaire. Plus concrètement, cela a exclu les organisations de paysan.ne.s, de femmes, de défenseur.e.s des droits humains, de jeunes revendiquant une participation sociale et politique, et finalement d’Autochtones et de Garifunas depuis toujours dépeints de manière folklorique et comme étant pauvres dans les moyens de communication urbains. Ces acteurs se voyaient refuser un espace en ondes pour aborder leurs réalités, et ce, non seulement pour des raisons économiques, mais également politiques et idéologiques. Les chiffres noirs de la liberté d’expression L’adoption de lois restrictives, les cachotteries lors du processus de transition numérique de la télévision et de la radio, la non-autorisation de fréquences radio aux secteurs sociaux organisés, l’utilisation de programmes d’espionnage électronique, la criminalisation de l’exercice de la libre expression, ainsi que l’assassinat de personnes actives dans les moyens de communication, est lamentablement l’image du Honduras dans le reste du monde. En moins de huit ans, 60 journalistes urbain.e.s et travailleurs.euses de la communication œuvrant dans des secteurs communautaires ont été assassiné.e.s, selon les registres du Comité por la Libre Expresión (C-Libre), qui indique 56 menaces de mort et 13 attentats auxquels ont survécu les victimes, ce qui m’inclue[1]. Entre 2009 et 2017, la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a octroyé 46 mesures préventives au Honduras, dont la majorité était dans l’intérêt de groupes ou communautés collectives. Les statistiques du Comité des familles des personnes détenues et disparues du Honduras (Comité de Familiares de Detenidos-Desaparecidos en Honduras, COFADEH), soutiennent que 17 % de ces mesures visent les journalistes et les travailleurs.euses en communication, alors que le reste vise les Autochtones, les paysan.ne.s, les environnementalistes et la population LGBTQ. Créé en 2016, le Système national de protection (Sistema Nacional de Protección) avait pour sa part reçu un total de 60 demandes de protection jusqu’en juin 2017. Au moins 10 concernent des journalistes; le reste concerne des défenseur.e.s de droits humains. La caractéristique principale dans quasiment la totalité des crimes est l’impunité, en raison de l’absence d’institutions capables de traiter les dénonciations, d’enquêter sur les incidents, de rassembler des preuves techniques et scientifiques crédibles, et de sanctionner les responsables[2]. Les attaques contre les travailleuses et travailleurs de la communication au Honduras, incluant les activistes, sont liées aux publications concernant des conflits territoriaux contre des compagnies minières ou l’utilisation de la monoculture, l’accès à la terre, les revendications sociales diverses et en particulier étudiantes, la défense de l’environnement, ainsi que la délinquance organisée et sa collusion avec les autorités policières, militaires ou fonctionnaires civiles des trois pouvoirs de l’État. En mai 2015, dans la communauté de La Asomada, Gracias, Lempira, le directeur de l’émission Soltando Nudos, diffusé par Voz de Puca, radio communautaire fondée en 2013, s’est vu obliger de cesser son émission à cause de menaces de mort de la part d'instances locales du Partido Nacional, au pouvoir. Au début de 2016, le fondateur de Radio Taragual, de la municipalité de La Iguala, fut convoqué à un cabinet d’avocat privé à Gracias, le chef-lieu départemental de Lempira. Celui-ci s’est fait avertir que son nom, ainsi que ceux des directeurs de Radio Tenan, de la municipalité de San Marcos Caiquin et de Hijos de Puca y Los Chuñas, de San Juan de Opoa, figuraient comme opposants au gouvernement sur un registre du service d’intelligence du président Juan Hernández. En mars 2016, à La Esperanza, Intibucá, la leader autochtone lenca reconnue mondialement et fondatrice de stations communautaires autochtones, Berta Cáceres, fut assassinée. Deux mois plus tard, le 2 mai, la veille de la Journée mondiale de la liberté d’expression, moi, Félix Molina, ai survécu à deux attaques à main armée à Tegucigalpa, alors que je faisais le suivi d’un crime dit politique impliquant les Forces armées, le parti politique au gouvernement et l’élite financière nationale. La distribution de la télévision numérique[3] Grâce à l’argent, l’influence patrimoniale et la négociation, les groupes médiatiques – essentiellement politiques, associés aux partis légaux et aux autres centres de pouvoirs – réussirent une répartition anticipée de la télévision numérique en 2016 au Honduras, selon l’Observatoire régional de la communication (Observatorio Regional de la Comunicación). Les nouveaux groupes de contrôle furent les suivants : TVC (Rafael Ferrari et associés, alliés au Partido Liberal et au Partido Nacional) : 96 permis TV Azteca-Honduras (Ricardo Salinas) : 1 fréquence nationale et 10 relais Albavisión (Ángel González et compagnie) : 1 canal national et 46 permis Iglesia Evangélica : 22 permis Iglesia Católica : 18 permis Grupo OPSA (Jorge Canahuati Larach) : 2 canaux régionaux Grupo PUBLYNSA (l’ex-président Carlos Flores Facussé) : 2 permis régionaux Avancées et reculs normatifs[4] En décembre 2011, le Congrès national a adopté la Loi spéciale pour l’intervention des communications privées (Ley Especial para la Intervención de las Communicaciones Privadas), permettant à l’Unité d’intervention des communications (Unidad de Intervención de las Comunicaciones, UIC) d’avoir accès aux appels téléphoniques, plateformes Web et messagerie cellulaire, non seulement des personnes inculpées, mais de toute personne considérée « sous enquête », une catégorie créée par cette même loi et dans laquelle toute personne peut être placée. Cette loi est envahissante et viole le droit à la vie privée protégé par l’Article 16 de la Déclaration universelle des droits humains. Plus encore, elle rend d’autant plus vulnérable la sécurité des défenseur.e.s des droits humains et éventuellement des victimes de violations. En juillet 2013, CONATEL a recanalisé le spectre radioélectrique pour libérer 160 fréquences radiophoniques FM et canaux télévisuels. Or, seulement 19 des fréquences radiophoniques et deux canaux de télévision ont été accordés à des opérateurs de services de diffusion à des fins communautaires (Radios Comunitarias); le reste a été vendu aux enchères à des fournisseurs privés qui les remirent ensuite à des églises et des politiciens liés au gouvernement à travers des processus opaques, le tout pour un montant allant jusqu’à 4 millions de Lempiras (200 000 $) chacun. En revanche, CONATEL a refusé les demandes de fréquences aux secteurs sociaux connus pour leurs postures critiques envers l’État, bien que ces demandes étaient non seulement remplies à temps, mais plus encore, étaient parmi les premières à répondre aux exigences de la Normativa selon les archives de l’AMCH. COFADEH, l’Alliance civique pour la démocratie (Alianza Cívica por la Democracia) et COMUN Noticias ne sont que quelques exemples. Le 3 août 2013, le journal quotidien CONATEL a publié le Règlement sur les services de diffusion à des fins communautaires (Reglamento de Servicios de Difusión con fines Comunitarios) qui contient les exigences administratives relatives à la demande de fréquences radio pour les organisations sociales, populaires, paysannes, autochtones, Garifunas et de droits humains, ainsi que pour les églises, mais omis l’article 23 paragraphe E qui interdit la diffusion d’information d’intérêt public et qui autorise l’Ente Regulador à limiter le droit des radios communautaires à émettre des opinions politiques et idéologiques. En janvier 2014, le Congrès national a adopté la Loi pour la classification des documents publics liés à la sécurité et la défense nationale (Ley para la Clasificación de Documentos Públicos relacionados con la Seguridad y Defensa Nacional) limitant la portée de la Loi sur la transparence et l’accès à l’information publique (Ley de Transparencia y Acceso a la Información Pública), ainsi que la fonction de l’Institut d’accès à l’information publique (Instituto de Acceso a la Información Pública), accordant au Conseil national de défense et de sécurité l’autorité de classifier l’information publique sous quatre catégories de confidentialité : réservée, confidentielle, secrète, et ultra secrète, avec des termes de restrictions entre 5 et 25 ans, et la possibilité d’augmenter le terme à la discrétion du Conseil national de défense et de sécurité. Cette loi viole le droit de la population au libre accès à l’information d’intérêt public; diverses sont les voix qui exigent son abrogation. Le 7 mars 2014, dans le quotidien La Gaceta, Diario Oficial, CONATEL a publié une réforme de la Loi sur les télécommunications (Ley de Telecomunicaciones) portant sur les TIC, du décret no 325-2013. L’article 14, numéro 13 accorde un pouvoir excessif à CONATEL pour « [r]églementer, administrer et contrôler les moyens de numérotation des domaines et adresses IP publiques ou privées, ainsi que toute autre ressource utilisée pour opérer des services de télécommunications et applications diverses des TIC ». Cette réforme est mise en place à la suite d'une décision du Conseil national de sécurité et de défense « en tant qu’organe suprême permanent chargé de diriger, concevoir et superviser les politiques générales en matière de sécurité, de défense nationale et de renseignements ». C’est ainsi qu’au nom de la sécurité, l’État du Honduras viole la liberté d’expression et limite toute forme de communication à travers l’Internet, les lignes téléphoniques, ainsi que les plateformes publiques et privées. De nos jours, de la pression est exercée sur l’Université nationale et le Réseau de développement durable (Red de Desarollo Sostenible) pour qu’ils transmettent les adresses IP des utilisateurs du .hn au gouvernement. Vérité et réconciliation En 2012, en se penchant sur les causes du coup d’État qui a donné lieu à une crise politique et sociale encore jamais vue au Honduras, la Commission de la vérité et de la réconciliation a assigné une responsabilité importante au monopole du spectre radioélectrique pour avoir créé une cassure dans la société et a recommandé de démocratiser l’accès aux fréquences radiophoniques et télévisuelles, ainsi qu’à Internet[5]. Dans cette vague de discussion nationale, environ 40 collectifs locaux et régionaux se sont levés pour exiger aux décombres de l’État hondurien et à la communauté internationale une législation inclusive. En août 2013, une proposition administrative formulée par l’AMCH a été approuvée, ce qui a ouvert la porte aux acteurs sociaux. Actuellement, 25 stations de radio communautaires sont en activité à travers le pays et deux stations de télévisions à des fins communautaires ont été approuvées. Un exemple de ce processus de changement horizontal peut être constaté dans le quartier de San Antonio dans le village El Taragual, à l’ouest du Honduras, une région appauvrie que des groupes du crime organisé se sont appropriée à des fins de trafic de drogues et de blanchiment d’argent. Cette communauté autochtone lenca a une identité ancestrale liée au concept du territoire. Cette identité est menacée par la division des terres en parcelles exigée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) afin d’augmenter les actifs du pays fortement endetté qui a été secoué par l’ouragan Mitch de 1998 et le coup d’État de 2009. « Nous refusons la division de notre territoire en propriété, car cela nous cause des conflits de vente et d’achat avec des personnes que nous ne connaissons pas et nous nous retrouvons sans forêts, sans minéraux et sans rivières. Pour ces raisons, nous avons besoin de la radio, pour éduquer notre peuple », expliqua Emeterio Pérez, leader du quartier où est née l’idée. En 2006, un groupe d’environ 80 à 100 hommes s’est joint à Emeterio – qui a reçu des enseignements de base de prêtres jésuites à El Progreso, dans le département de Yoro – pour travailler une journée par semaine dans des fermes de café et dans des zones de culture de grains afin de payer le total des frais de son journal au Comité de gestion de la radio communautaire. Un groupe de femmes a fait de même en vendant du pain artisanal, des nacatamales et des friandises. Le 3 mai 2015, avec l’argent amassé durant un an et avec l’appui technique de l’AMCH, ces femmes et ces hommes ont pu mettre en ondes leur émission au 106.7 FM. Afin de solliciter l’opération « légale » de la station auprès de l’État, la communauté a formé l’Association autochtone pour le développement intégral de El Taragual (Asociación Indígena para el Desarollo Integral de El Taragual), qui a obtenu une personnalité juridique en 2016. La demande est toujours en attente d’une réponse formelle, mais pendant ce temps, la station opère grâce à la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui accorde aux peuples autochtones le droit de gérer leurs propres modes de communication au sein de leurs territoires selon leur cosmovision. Deux ans après les premiers mots au microphone, les 27 femmes et hommes du Comité de gestion, incluant des jeunes, se sont allié.e.s avec des acteurs et actrices clés des municipalités voisines de Gracias, la capitale du département, et de San Rafael et La Unión, les villes les plus proches. L’AMCH leur a donné une formation technique pour opérer la station et produire du contenu, leur permettant de former des alliances régionales et générer des ressources, ainsi qu’un appui légal pour la défense et la promotion du droit à la communication et à la libre expression, en plus d’une formation sur l’usage de techniques de base pour la sécurité personnelle et collective en cas d’urgence. « Nous pouvons dire qu’avec la radio, nous avons pu vaincre notre peur d’être appelés des “ indiens ignorants malpropres ”. Nous avons appris à lire rapidement et à porter un regard égal à toute personne, sans accorder d’importance à son niveau d’éducation ou sa situation », explique Hermilo Pérez, opérateur-producteur de Radio Taragual. Il est sans doute difficile pour une communauté appauvrie de maintenir en ondes une station de radio qui consomme de l’énergie électrique et téléphonique, et qui génère des coûts d’entretien, mais la détermination d’exercer le droit à la liberté d’expression sur son territoire est plus fort que toute l’adversité à laquelle fait face ce pays centraméricain géostratégique, situé entre les pays les moins sécuritaires au monde en ce qui a trait à l’exercice du droit à la liberté d’expression.   Traduction par Marie Eveline Touma Photo : Dans cette maison rustique, construite de terre, pierre et bois, Dieu, Peuple, Voix, Radio et Vie fusionnent au service de la communauté. Photographie de Félix Molina.  
NOTES 1 Giorgio Trucchi (2016). « Atentan contra la vida del periodista Félix Molina », Rel-Uita, 3 mai, en ligne : http://informes.rel-uita.org/index.php/sociedad/item/atentan-contra-la-vida-del-periodista-felix-molina. 2 Wendy Funes (2016). « Estado de Impunidad en Agresiones contra Periodistas y trabajadores/as de Medios de Comunicación en Honduras», Comité por la libertad de expresión, avril, en ligne : http://www.clibrehonduras.com/content/informe-sobre-el-estado-de-impunidad-en-agresiones-contra-periodistas-y-trabajadoresas-de. 3 Actualidad – Honduras (2016). « Honduras prevé el ingreso de nuevos canales de TV en los próximos meses », Osbervacom, 2 novembre, en ligne : http://www.observacom.org/honduras-preve-el-ingreso-de-nuevos-canales-de-tv-en-los-proximos-meses/. 4 [Cette chronologie fut reprise en partie d’un rapport conjoint présenté pour le deuxième examen périodique universel à l’État hondurien] El Comité de Familiares de Detenidos-Desaparecidos en Honduras, COFADEH, La Asociación para una Ciudadanía Participativa, ACI-PARTICIPA, Casa Alianza Honduras, Alternativas en Comunicación, ALTER-ECO (2014). « Informe conjunto presentado para el segundo examen periódico universal al Estado de Honduras », Upr-info,org, septembre, en ligne : https://www.upr-info.org/sites/default/files/document/honduras/session_22_-_mai_2015/js8_upr22_hnd_s_main.pdf. 5 [Voir Recommandations, page 47, numéros 70 à 82] Informe de la Comisión de la Verdad y la Reconciliación (2011), « Hallazgo y recomendaciones : Para que los hechos no se repitan », juillet 2011, en ligne : https://www.oas.org/es/sap/docs/DSDME/2011/CVR/Honduras%20-%20Informe%20CVR%20-%20RECOMENDACIONES.pdf.abc

Se raconter à nouveau : la construction de la communication identitaire mapuche au Chili et en Argentine

Le territoire ancestral du peuple mapuche occupe pratiquement la totalité du sud du continent, dans la région centre-sud de ce qui est aujourd’hui le Chili, les pampas et la Patagonie de l’Argentine actuelle. Avec une population qui aujourd’hui compte près de 1 600 000 personnes selon les chiffres officiels, c’est l’un des peuples originaires le plus nombreux du continent. Contrairement à la majorité des peuples de la région, les Mapuche résistèrent à l’invasion espagnole, puis à travers une série de pourparlers, des zones frontalières avec la Couronne furent déterminées; et ce fut juste après la formation des États-Nations qu’advint sa défaite militaire. Au Chili, le procès ironiquement connu comme Pacification de l’Araucanie commença en 1861, lorsque l’armée traversa la frontière du fleuve Bio-Bio et commença à construire des forts vers le sud, jusqu’en 1883 avec la refondation de Villarrica, au centre du territoire mapuche. Dans le cas de l’Argentine, la Conquête du Désert, dont le nom laisse déjà supposer l’idée créole que les pampas et la Patagonie étaient des territoires vierges, débuta formellement après la promulgation de la Loi Nº947 et se considéra achevée suite à la capture des caciques Inacayal et Sayhueque en 1885. Les deux conquêtes eurent comme résultat la colonisation de millions d’hectares de terre et la mort de milliers d’Autochtones, et avec eux leurs modèles culturels. Ceci constitue un élément significatif : la colonisation chilienne et argentine impliqua non seulement un génocide, mais également la perte d’une série d’éléments symboliques du peuple mapuche, comme l’était sa capacité à intervenir dans l’espace public. À partir de cette période, ce que signifiait être mapuche se retrouva entre les mains des colonisateurs par le biais de leurs discours et médias (où les journaux jouèrent un rôle fondamental). Les Mapuche perdirent ainsi la possibilité de se raconter dans l’espace public, de raconter leur propre histoire. Leur représentation resta en dehors de leur espace symbolique. Depuis lors, des organisations et communautés se sont mobilisées pour ériger divers processus de lutte pour la survie. Cela s’intensifia durant les dernières dictatures civiles-militaires (1973-1990 au Chili; 1976-1983 en Argentine), lorsqu’eut lieu une réorganisation interne mapuche sans précédent au cours des cent dernières années. En lien avec un processus de reconstruction culturelle, politique et historique, une récupération et une revalorisation des figures et pratiques culturelles ancestrales se sont mise en œuvre à partir desquelles s’est constitué un réseau d’organisations validées par le peuple même, organisations qui ont émergé lors de la querelle politique des nouvelles démocraties en Argentine et au Chili. Même si la lutte territoriale demeure la plus visible, différentes demandes ont été articulées dans le discours public mapuche tout au long de cette période. La discussion pour le droit à la communication, abordé dans le présent article, est devenue pertinente dans la mesure où les diverses organisations et communautés mapuche ont pris en charge la gestion médiatique en tant que nécessité afin de pouvoir exposer leurs demandes dans la sphère publique. L’exercice du droit à la communication mapuche Aux traditionnelles formes de communication qui existaient et qui existent, comme le werken, principal agent de la communication mapuche, le trawün comme espace de rencontre, l’échange épistolaire, le weupife comme dépositaire de la tradition orale, les instruments musicaux tels la trutruka et le kul kul, les danses cérémoniales ou les récits comme le epew et le konew[1], s’ajoutent les nouvelles pratiques médiatiques mapuche apparues à l’issue de l’appropriation des technologies de l’information et des communications par divers organismes et collectifs. La communication médiatique mapuche naît à la suite de ces expériences. Au Gulumapu, le territoire mapuche sous administration chilienne, se démarquent le journal Aukiñ, du Consejo de Todas las Tierras, édité de manière ininterrompue de 1990 à 2000, l’émission radiophonique Wixage Anai qui débuta ses transmissions en 1993, le portail électronique Mapuexpress en ligne depuis l’an 2000, le journal Azkintuwe qui circula entre 2003 et 2010, et s’ajoute la réalisation de plus de 10 documentaires où se distinguent les collectifs Lulul Mahuida et Ad Kimvn. Au Puelmapu, le territoire mapuche à l’est de la cordillère, se démarquent le Centre de Communication Mapuche Kona, né en 2000 sous l’aile de la Confédération Mapuche de Neuquén, le portail avkinpivkemapu.com.ar de 2003, des radios telles FM de la Terre, Petü Mogeleiñ et AM Wajzugun, et finalement, le premier canal de télévision autochtone en Argentine, Wall Kintun TV[2]. Le processus de consolidation de ces médias a mené à la mise en place de divers espaces d’expression de communicateurs et communicatrices qui ont suscité une forte revendication pour le droit à la communication. Pour le référent de Mapuexpress, Alfredo Seguel, ce droit est « interactif, dynamique, égalitaire et non discriminatoire, motivé par les besoins sociaux au lieu des intérêts commerciaux ou politiques. L’exercice du droit à la communication doit représenter les demandes et les aspirations des peuples par rapport à leurs droits humains collectifs, tels que l’autodétermination, les terres, les territoires, les ressources naturelles, le bien-vivre et le bien-être social, le développement, l’économie, la société, la culture, l’environnement, etc., et peu ou rien de cela ne se voit au Chili. Notre vision du droit à la communication se base sur la reconnaissance de la dignité et des droits égaux et inaliénables de tous les peuples à l’intérieur d’un État »[3]. Comme le souligne Seguel, au Chili, ce droit protégé par diverses conventions internationales n’apparaît même pas dans les nouvelles législations communicationnelles, comme c’est le cas pour la Loi N°20.433 de 2010 qui a créé les services de radiodiffusion communautaire citoyenne. Par contre, en Argentine, l’expérience de la Loi 26.522 sur les Services de communication audiovisuelle, adoptée le 10 octobre 2009, reconnaît en plusieurs points le droit à la communication des peuples autochtones, tout comme la promotion de ses valeurs, sa langue et son identité. La loi prévoit « une fréquence radio AM, une FM et une fréquence de télévision pour les peuples originaires dans les localités où chaque peuple sera établi »[4]. Elle permet le financement au moyen d’allocations venant du budget de l’État, de la vente de publicité, de la vente de contenus de production originale, de donations, de soutiens ou de parrainages et de ressources spécifiques allouées par l’Institut national des affaires autochtones[5]. L’adoption de cette loi fut toute une avancée puisque des communicateurs.trices autochtones de différents espaces – et provenant également des médias communautaires – participèrent à sa rédaction, en établissant leur vision de la communication identitaire[6], dans leur quête pour déterminer quelles sont les caractéristiques mapuches qui émergent de la communication mapuche. Gerardo Berrocal de AdKimvn signale que « la communication identitaire est un concept auquel nous avons donné forme lors de différentes rencontres, comme au Réseau des communicateurs mapuche, et qui a été également discuté par les peñi (frères) au Puelmapu. C’est un concept distinct parce qu’à la différence des autres expériences qui peuvent exister, il met l’emphase sur la dimension spirituelle du processus de communication. Contrairement aux autres processus, la dimension spirituelle de chaque lof (communauté) se renforce; nous croyons que ce qui donne son identité à la question communicationnelle mapuche est la dimension spirituelle du mouvement politique. Ses processus communicationnels ne se retrouvent pas dans ceux d’autres peuples ». Carlos Catrileo, journaliste à l’agence nationale argentine TELAM, présente la communication identitaire « comme une façon de renforcer l’identité de notre peuple, récupérer ce qui est nôtre et à partir de là, créer une mémoire collective avec notre philosophie et notre cosmovision, ce qui nous amènera à la rencontre de notre propre identité, en comprenant que nous cohabitons avec d’autres cultures et que pour cela nous vivons en ayant à communiquer, mais en sachant parfaitement d’où nous venons, qui nous sommes et où nous voulons que notre peuple aille. Dans ce sens, nous ne sommes ni innocents, indépendants ou impartiaux, nous sommes engagé.e.s dans les processus de notre peuple, dans une lutte et une tension constante, et c’est sur cette base que nous exerçons la communication identitaire ». La communication identitaire mapuche, c’est-à-dire la pertinence culturelle du récit médiatique, le reflet de la situation des différents lof, l’expression communicationnelle de la politique des organisations et la dimension spirituelle de la manière dont on communique, c’est ce qui définit la communication mapuche et qui la différencie des autres modèles de communication comme l’occidental ou celui d’autres peuples autochtones. Le discours public mapuche Que ce soit avec les droits consacrés au niveau de l’État ou non, les moyens de communication mapuche apparaissent comme l’expression publique du mouvement, comme une manière d’amplifier massivement le discours public mapuche. Ce discours se fait dans un contexte d’interculturalisme et est médiatisé; autrement dit, divers acteurs politiques mapuche se sont approprié les nouvelles technologies de l’information afin de pouvoir amplifier leur discours avec le double objectif d’établir leur propre récit et de confronter le discours officiel. La création de médias propres au peuple mapuche n’est pas un fait du hasard. Au discours du mapuche violent, ou de l’ « indien.ne paresseux.euse », s’oppose un autorécit qui conteste les symbolismes créés par le récit hégémonique. Cette polémique sur les significations hégémoniques se manifeste lors de l’étude des discours produits par les médias mapuche. Par exemple, Guadalupe Fernández et Gonzalo Chaet décrivent la radio Petü Mogeleiñ de El Maiten (Chubut) comme une stratégie identitaire mapuche dont l’objectif central est de « construire et actualiser des significations autour de la question mapuche qui les reconnaissent comme des sujets actuels, vivants et présents. Ces significations sont diffusées à partir d’un moyen de communication propre à eux et entrent en conflit avec les significations qui circulent et sont légitimes dans l’espace public »[7]. Ces médias, situés à différents endroits sur le territoire et qui s’expriment par le biais de divers langages communicationnels, se concrétisent dans un projet communicationnel mapuche propre, que Juan Francisco Salazar qualifiait déjà en 2002 de contre sphère publique qui « permet de laisser la place à la création d’un discours mapuche renouvelé qui, depuis le cyberespace, offre une voix divergente et critique à la sphère publique traditionnelle »[8]. Cela a permis à l’autorécit mapuche de pouvoir émerger et d’avoir un espace consolidé dans les médias qu’il s’est approprié : même dans une disparité quant aux médias hégémoniques, leur propre communication commence à contester la signification autour de la question mapuche. Les trois décennies ininterrompues de création de médias mapuche ont permis à cette contre sphère publique de lutter pour des espaces de décolonisation communicationnelle, ce qui permet à ce peuple de se redonner un sens. À la suite de la défaite militaire, ce qui signifiait être mapuche était dans les mains des Autres. Et quoiqu’une colonisation symbolique et physique continue d’exister, elle est actuellement remise en question. La construction d’une nouvelle communication mapuche est un processus qui s’emboîte avec d’autres batailles concernant l’autonomie mapuche comme les récupérations territoriales, la récupération linguistique et la construction d’une historiographie propre. Cette dernière poursuit également un objectif convergent avec la communication : les Mapuche ont recommencé à prendre la parole au niveau public. Aujourd’hui, elles et ils peuvent se raconter à nouveau, conter leur propre histoire.   Traduction par Andrée Boudreau Photo : Manifestation à Santiago au Chili pour exiger justice pour l’assassinat de Matias Catrileo, janvier 2012. Photographie de Amelia Orellana.  
NOTES 1 Les pratiques communicationnelles traditionnelles mapuche sont décrites par Gerardo Berrocal, en ligne : http://adkimvn.wordpress.com/2012/10/19/una-breve-revision-de-la-comunicacion-antes-de-colon-en-wallmapu (page consultée en septembre 2017). 2 Gutiérrez, Felipe (2014). We Aukiñ Zugu: Historia de los Medios de Comunicación Mapuche. Santiago : Quimantú; Yanniello, Florencia (2014). Descolonizando la Palabra. Los medios de comunicación del Pueblo Mapuche en Puelmapu. La Plata : La Caracola. 3 Pedro Cayuqueo « Los medios masivos contribuyen al adormecimiento de la sociedad », en ligne : http://www.agenciadenoticias.org/los-medios-masivos-contribuyen-al-adormecimiento-de-la-sociedad (page consultée en septembre 2017). 4 Services de Communication Audiovisuelle, Loi N° 26.522. ARGENTINE. Article 89, Alinéa e) (2009). 5 Op cit, Art. 152 6 L’application de cette loi est aujourd’hui en litige, à cause des diverses tentatives entreprises par l’administration de Mauricio Macri (2015-) pour y déroger. En outre, sa mise en application durant le gouvernement de Cristina Fernández fut déficiente, dans un contexte de forte cooptation des secteurs autochtones. 7 Fernández, Guadalupe et Chaet, Gonzalo (2012). « Radio Comunitaria Petü Mogeleiñ, La radio como estrategia identitaria mapuche ». Mémoire présenté pour l’obtention d’une maîtrise en communication sociale de l’Université de Buenos Aires. 8 Salazar, Juan Francisco (2002). « Activismo indígena en América Latina: estrategias para una construcción cultural de las tecnologías de información y comunicación ». Journal of Iberian and Latin American Studies. University of Western Sydney, 43 p.abc

Les outils de communication modernes chez les peuples autochtones

La communication autochtone semble s’adapter à l’époque et à l’espace de chaque région. Les acteurs qui explorent actuellement de nouveaux outils de communication audiovisuelle sont nombreux, qu’il s’agisse d’initiatives personnelles ou collectives. Ces outils sont les éléments fondamentaux qui leur ont permis d’occuper une place importante dans le cœur des peuples à travers l’Amérique latine et les Caraïbes. L’existence d’un réseau de communicateurs autochtones comme la Coordination latino-américaine de cinéma et de communication des peuples autochtones (Coordinadora Latinoamericana de Cine y Comunicación de los Pueblos Indígenas, CLACPI) témoigne de l’intérêt considérable que suscite un projet de communication distinct qui permet à ces peuples d’être les protagonistes actifs de leur propre développement. Les premières formes de communication autochtone Afin de bien comprendre le fonctionnement des méthodes et formes de communication des peuples autochtones en général, il faut évoquer les fondations et origines de chacun d’entre eux. Dans cette section, nous nous intéresserons aux processus et à l’évolution de la communication des peuples Tseltales et Choles de la forêt lacandone dans l’État du Chiapas, au Mexique. Les formes de communication de leurs ancêtres immédiats semblent tirées de mises en scène de films des années 1950. L’usage de branches, de marques ou de roches sur un sentier pour y indiquer le passage récent d’une personne est toujours courant. On remarque aussi des méthodes peu orthodoxes pour avertir de son arrivée ou faire une annonce, comme grimper à la colline et souffler à pleins poumons dans un énorme coquillage ou, encore, en l’absence de cet instrument, former une cavité avec la paume des mains pour produire le même son. Alors que s’implantaient les premières villes aux environs de la forêt lacandone, les Autochtones ont commencé à se procurer des appareils de plus en plus complexes, par exemple des récepteurs à ondes courtes et longues, qui leur ont permis d’améliorer leurs façons de communiquer. À terme, cependant, le changement serait drastique et irréversible et ébranlerait les structures des communautés autochtones. De pair avec ce médium sonore, l’intérêt pour les images s’est aussi développé, de sorte que, s’ajoutant aux « images en mouvement[1] », ces médias formeraient le trio incontournable de la communication des peuples. On voit alors apparaître les premières images personnelles, familiales et même rituelles, ces dernières étant pourtant limitées à des espaces restreints en raison de leur caractère solennel. De toute évidence, il s’agira là d’un style nouveau et moderne de communication de ces peuples qui les amènera à découvrir qu’ils sont des sujets de l’histoire, avec des droits reconnus et protégés par la Constitution du pays et par des traités internationaux comme ceux de l’Organisation internationale du travail (OIT). Avec enthousiasme, des jeunes ont peu à peu innové et ont maîtrisé cette nouvelle façon de communiquer pour ensuite explorer d’autres dimensions et naviguer entre elles. L’ère des télécommunications chez les communautés autochtones Le rôle de premier plan exercé par un groupe d’Autochtones qui a pris les armes contre l’État mexicain, enlisé dans l’oligarchie et gouverné par une poignée d’hommes rêvant de vivre dans un pays du « premier monde », a amené de grands bouleversements dans la communication. Les revendications de l’Armée zapatiste de libération nationale[2], formée principalement de peuples autochtones Tseltales, Choles, Tsotsiles et Tojolabales, incluent le droit à l’information, mais également l’accès et l’usage du spectre radioélectrique, celui-ci étant largement contrôlé au Mexique par le duopole de télévision de Televisa et Tv Azteca. Sur un total de 468 stations de télévision, 256 appartiennent au groupe Televisa, et 180 à Tv Azteca. Ces deux consortiums sont donc propriétaires de 93 % des chaînes de télévision au pays. L’État mexicain a mis au point une stratégie de radiodiffuseurs « autochtones » qui n’est pas allée au-delà du discours. Dans la pratique, leur fonctionnement ne ressemble en rien à ce que pourrait être une station de radio exploitée et gérée par les Autochtones. Dans la section Les politiques de communication de l’État et les peuples autochtones ci-dessous, nous aborderons les modes opératoires de ces chaînes de radio autochtones. Tout comme la radio et les autres médias existants, la télévision diffuse des contenus correspondant aux intérêts de l’État et, plus grave encore, véhicule largement des stéréotypes dénigrant les peuples autochtones. Il était ainsi nécessaire de chercher à mettre sur pied un média alternatif qui aide à comprendre la réalité des peuples tout en leur permettant de rendre visible ce que les médias existants occultent. En plus de ces médias qui ne font que fournir de l’information, la téléphonie satellite a contribué, d’une certaine façon, à moderniser la communication autochtone. C’est ainsi que les communautés ont peu à peu investi le temps et les espaces requis par les grandes innovations. Les politiques de communication de l’État et les peuples autochtones Le secrétariat des Communications et des Transports (SCT), responsable de réglementer l’usage du spectre radioélectrique au pays, rend difficiles les démarches d’obtention d’un permis, un problème qui s’aggrave alors que l’usage de ces fréquences est devenu un mécanisme de contrôle et de pouvoir. Les entités qui détiennent les permis sont les grandes entreprises de télécommunications, qui agissent en collusion avec le système pour gouverner le pays. Un exemple clair est celui du président actuel du Mexique, Enrique Peña Nieto, qui a triomphé aux élections à la suite de la campagne médiatique outrancière autour de son image par le duopole télévisuel de Televisa et Tv Azteca. Le lendemain des élections présidentielles, une revue de distribution nationale affirmait ainsi que : « Le jour des élections, le dimanche 1er juillet, a été en ce qui concerne la Présidence de la République, la finale presque parfaite d’un scénario écrit pour organiser le retour du PRI au pouvoir, dans un mélange de téléréalité et de téléroman, cette fois-ci non plus comme soi-disant ‘représentant’ des masses ouvrières et paysannes, mais bien des deux grandes chaînes de télévision qui imposent à ce pays leurs conditions et celles de leurs bénéficiaires »[3]. Ces deux chaînes de télévision infléchissent les lois en matière de communication comme bon leur semble et selon leurs intérêts. En revanche, les peuples autochtones n’ont pas la moindre possibilité d’obtenir un permis à leur avantage, de là la revendication d’une communication équilibrée, où tous et toutes auraient les mêmes chances de communiquer et de s’exprimer. Faire partie de ces grands médias et y avoir une voix au chapitre n’est pas un caprice individuel ou collectif, mais bien un droit consacré dans les lois du pays, tel qu’indiqué à l’article 6, paragraphes 2 et 3 de la Constitution politique des États-Unis mexicains : « Toute personne a droit au libre accès à une information plurielle et opportune, de même qu’à rechercher, recevoir et diffuser de l’information et des idées de toute nature, par tout moyen d’expression ». « L’État garantit le droit d’accès aux technologies de l’information et des communications, ainsi qu’aux services de radiodiffusion et de télécommunications, incluant les services à haut débit et l’Internet. À cette fin, l’État établira les conditions de concurrence effective dans la prestation de ces services ». La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, à son article 16, stipule par ailleurs que :
Les peuples autochtones ont le droit d’établir leurs propres médias dans leur propre langue et d’accéder à toutes les formes de médias non autochtones sans discrimination aucune. Les États prennent des mesures efficaces pour faire en sorte que les médias publics reflètent dûment la diversité culturelle autochtone. Les États, sans préjudice de l’obligation d’assurer pleinement la liberté d’expression, encouragent les médias privés à refléter de manière adéquate la diversité culturelle autochtone.
Dans le sillage des traités internationaux, l’État mexicain, de façon trompeuse et opportuniste, a créé les radios autochtones tout en les mettant au service de ses propres intérêts. Filtrés à partir d’un centre d’opérations, les contenus parviennent altérés à leurs destinataires alors que les messages et la propagande du gouvernement sont diffusés de façon directe et autoritaire. Il s’agit d’une radio où l’État informe et contrôle, et où il n’y a pas d’espace pour la voix et l’opinion des peuples. Il n’y a pas non plus d’espace pour parler de la répression conçue et planifiée par l’État. Et c’est de là, à partir de ces expériences, que sont nés l’esprit de rébellion et la volonté d’une communication véritable, propre aux peuples et porteuse d’espoir, différente de celle qui partout s’est immiscée dans l’esprit et le cœur des peuples autochtones. La communication autochtone dans la pratique C’est ainsi qu’a commencé une longue aventure dans les sentiers de la communication des peuples. Ce fut toute une aventure que de découvrir, enfin, comment faire fonctionner ces étranges appareils, modernes et sophistiqués comme un outil de communication bien à soi. En tenant compte des expériences d’autres stations de radio autochtones, dont certaines réclamaient, toujours sans succès, un permis d’opération depuis près de 30 ans, on choisira finalement de transmettre sans permis. Cette logique a pris son essor vers la fin des années 1990. La radio est alors devenue un moyen de communication distinctif, car elle permet dorénavant de faire entendre les opinions réelles des peuples. Il est alors devenu possible de partager des expériences communautaires et des propositions qui bénéficient véritablement aux peuples, et de dénoncer les faits qui vont à l’encontre de l’intégrité de la communauté et ravagent leurs droits. Le recours généralisé aux fréquences sans permis a par la suite diminué face à la persécution et au démantèlement des stations par l’État mexicain. Des équipements entiers ont été brûlés, et des communicateurs autochtones ont été réprimés, persécutés, emprisonnés. Certains ont même disparu. Cette logique de répression continue de viser tous ceux et celles qui font de la communication sans censure sur le système de politiques répressives au pays. Les images en mouvement[4] ont aussi acquis une importance centrale pour les peuples autochtones, comme l’ont décrit Gerylee Polanco Uribe et Camilo Aguilera Toro. La vidéo n’a peut-être pas la même intensité que les radios communautaires, mais on la considère comme plus visible et impressionnante en même temps que plus coûteuse dans ce secteur. Néanmoins, l’ardeur démontrée par certains vidéastes a fait passer la question des ressources au second plan. La majorité de ces réalisateurs et réalisatrices sont des documentaristes, un format mieux adapté à la situation et la réalité des peuples qui peuvent être menées à l’écran sans que ce soit trop laborieux. Les thèmes abordés tournent autour de divers axes transversaux : droits humains, genre, migration, environnement, culture, éducation, pour en mentionner quelques-uns. Ces productions sont projetées dans les communautés de la région sous la forme de ciné-débats. L’un des effets médiatiques de ces projections itinérantes est de favoriser le dialogue face aux conflits sociaux au sein des communautés. La vidéo a trouvé là sa véritable raison d’être, soit de contribuer sans relâche à la juste et noble cause de la paix des peuples. D’autres espaces de diffusion pour les productions sont les festivals de cinéma nationaux et internationaux. La vidéo autochtone prend une signification bien particulière dans ces espaces. Des réalisateurs et réalisatrices autochtones de même que des collectifs du continent se sont regroupés dans une Coordination latino-américaine de cinéma et de vidéo des peuples autochtones (CLACPI), née en 1985 lors de son premier festival à Mexico. La tenue du festival a été irrégulière pendant les années suivantes, mais à partir du VIIe festival international à Santiago, au Chili, en 2004, elle a lieu tous les deux ans dans divers pays des Amériques. Il faut souligner que plusieurs réalisateurs indépendants et des collectifs demandent à faire partie de cet énorme et vigoureux réseau de communicateurs et communicatrices, unique en son genre, qui a reçu plusieurs prix à l’international, notamment le prix Fray Bartolomé de las Casas 2013, octroyé par le secrétariat d’État à la Coopération internationale et pour l’Amérique latine et les Caraïbes d’Espagne pour son apport considérable à la protection des droits, au respect des valeurs et pour sa contribution collective et constructive à la communication des peuples autochtones[5]. La photographie mérite elle aussi une mention. Au même titre que la radio, sa portée et son usage en font un médium très pratique. Bon nombre de photographes autochtones dépeignent la vie de leurs communautés et des peuples, y compris les cérémonies et, bien sûr, les actions constantes réalisées dans les grandes villes pour protester et dénoncer l’attitude répressive de l’État et les réformes constitutionnelles qui minent l’intégrité de la communauté. Enfin, le cas du cinéma mérite un traitement particulier. En effet, même s’il partage des similitudes avec la vidéo, il est beaucoup plus complexe et coûteux. Peu de réalisateurs autochtones et peu de collectifs explorent ce médium qui commence toutefois à résonner comme un écho au sein de la communication autochtone. Le sceau de la vidéo autochtone, une valeur significative dans la communication Une des caractéristiques de plus en plus significative dans ces médias, et qui s’éloigne des concepts employés par les grandes industries des télécommunications, est celle de l’empressement à montrer un peuple qui agit avec la raison et avec le cœur. La sensibilité et le vécu du réalisateur ainsi que de la communauté à laquelle s’adresse le matériel audiovisuel imprègnent chacune des œuvres, reflétant la nécessité de produire une communication différente de celle des grandes entreprises. Les efforts n’ont d’autre prétention que le bénéfice collectif de la communauté qui réside notamment dans l’autodétermination des peuples, la reconnaissance de leurs droits et le respect de leurs espaces et de leur territorialité. José Alfredo Jiménez, un communicateur autochtone des hauts plateaux du Chiapas, nous raconte comment il perçoit la communication distinctive : « Avec le temps, j’ai commencé à saisir toutes les bonnes et mauvaises choses que m’avait transmises la télévision. Même si je n’ai pas poursuivi à l’école officielle, dans ma vie quotidienne, j’ai beaucoup appris de toute cette expérience de douleur, de dépouillement et d’humiliation à laquelle mon peuple et ma culture font face. Et devant cette situation, j’ai décidé de servir mon peuple et mon organisation en étant un communicateur très différent des journalistes et reporters, alors que la majorité d’entre eux font leur travail principalement pour l’argent et travestissent l’information. Je pense que cela a été l’un des motifs de ma conversion, de ma transformation en un communicateur communautaire »[6]. Par ailleurs, il faut souligner que la majorité des communicateurs sont des hommes, et que peu de femmes s’impliquent dans le processus. Néanmoins, avec les quelques femmes communicatrices, des efforts sont déployés pour que davantage de femmes puissent y participer. Finalement, signalons qu’à travers leur appropriation des médias, les Autochtones deviennent sujets et protagonistes au lieu d’être des étrangers, comme c’était le cas jusqu’à tout récemment. L’étranger peut connaître parfaitement l’histoire de la communauté, mais personne ne connaît mieux une maison que son propriétaire. Et c’est ce qui se produit avec le communicateur communautaire, qui continue de travailler pour une communication distincte, avec comme objectif l’atteinte d’un monde plus juste et plus digne.   Traduction par Éva Mascolo-Fortin Photo : Une femme filme la bannière du XIIe Festival international de ciné et vidéo des peuples autochtones. Photographie de Mariano Estrada.  
Notes 1 On désigne ainsi la vidéo, composée d’images en mouvement continu. 2 Le groupe armé dénommé Ejército Zapatista de Liberación Nacional (EZLN) s’est soulevé le 1er janvier 1994 avec l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) entre le Mexique, les États-Unis et le Canada. Le droit à l’information, notamment, figure parmi les treize revendications de la Sixième Déclaration de la forêt lacandone de juin 2005. 3 Premier paragraphe de l’article « Televisa y la imposición de Peña Nieto » du numéro 1861 de la revue Proceso, publiée le 2 juillet 2012 à Mexico. 4 Lire « La imagen en movimiento », p. 41 de Gerylee Polanco Uribe et Camilo Aguilera Toro, dans Luchas de representación, prácticas, procesos y sentidos audiovisuales colectivos en el sur-occidente colombiano. Colombie : Programa editorial de la Universidad del Valle. 5 Source : www.clacpi.org/clacpi-gana-el-premio-bartolome-de-las-casas-2013-2/ 6 José Alfredo Jiménes, premier paragraphe, « Subtítulo el viento me empujó a ser comunicador comunitario », p.308, dans Tejiendo nuestras raíces. Red de artistas comunicadores comunitarios y antropólogos de Chiapas, 2010. Références ACSUD las Segovias (2009). Instrumentos Internacionales de Protección. Polanco Uribe, Gerylee et Aguilera Toro, Camilo (2011). Luchas de representación: prácticas, procesos y sentidos audiovisuales colectivos en el sur-occidente colombiano. Colombie : Programa editorial de la Universidad del alle. Red de artistas comunicadores comunitarios y antropólogos de Chiapas (2010). « Sjalel Kibeltik, Sts’isjel ja Kechtiki’ », Tejiendo nuestras raices (version tsotsil-espanol). Mexico : CIESAS. Villamil, Jenaro (2012). « Televisa y la imposición de Peña Nieto, Proceso », no. 1861, 2 juillet, Mexico. Zamorano, Gabriela, Franklin Gutiérrez et Abel Ticona (2008). El camino de nuestra imagen. El plan nacional. Un proceso de comunicación indígena originaria en Bolivia. La Paz : CEFREC/CAIB. Quotidien La Jornada. Tríptico informativo CLACPI. Constitution politique des États-Unis mexicains Sources consultées en ligne : http://www.nodo50.org/pchiapas/chiapas/documentos/selva-vi/selva-vi.htm www.clacpi.org/clacpi-gana-el-premio-bartolome-de-las-casas-2013-2/abc

Radio Huayacocotla, la voix paysanne, la Bien-aimée qui marche avec le peuple

Le bien-aimé : À ma cavale, quand elle est attelée aux chars de Pharaon, je te compare, ô, mon amie. Tes joues sont belles au milieu des colliers, ton cou est beau au milieu des rangées de perles. Nous te ferons des colliers d’or, pointillés d’argent. – Le Cantique des Cantiques Le 15 août 2017, notre bien-aimée Radio Huayacocotla, la radio du peuple avec sa voix de femme paysanne mature, de grand-mère, fêtait ses 52 ans. La fête se fit le 12 août. Très tôt, les hommes et les femmes de Huayacocotla et des communautés voisines commencèrent à arriver pour fêter Radio Huaya, comme on l’appelle affectueusement. Ils avaient emporté des bouquets de fleurs, des photos, des cartes, des ballons et leur joie, pour témoigner à la Bien-aimée, et à ceux et celles qui y travaillaient, de leur affection, de leur respect et de leur admiration. La célébration commença tôt avec des tamales et du café pour accueillir ceux et celles qui étaient venu.e.s fêter. Le téléphone ne cessa de sonner pour laisser savoir à la Bien-aimée qu’on l’aimait, qu’on la célébrait et qu’on voulait l’entendre pendant encore plusieurs, plusieurs années. Dès 8 heures du soir, les gens commencèrent à arriver au complexe sportif où l’on organisait une danse afin de poursuivre la fête. La danse dura jusqu’à 3h30 du matin et plus de 2 500 personnes se rassemblèrent pour danser au rythme de la musique du trio, de la bande et de la cumbia. Il y avait des fusées et des pétards qui ont illuminé la nuit et qui manifestaient la joie de tous ceux et celles qui célébraient ensemble l’histoire d’une radio qui maintenait son engagement envers les gens du peuple. Nous dansâmes ensemble, hommes et femmes, pour montrer notre affection à notre bien-aimée. La Bien-aimée avait commencé ses émissions en tant qu’école radiophonique le 15 août 1965 avec comme objectif d’alphabétiser les gens de la région. Le projet était alors dirigé par deux religieuses. En 1973, sa voix devint encore plus claire, car sa priorité devenait l’accompagnement des gens de la communauté, des paysan.ne.s de la région et de leurs luttes. À ce moment-là, les membres de l’équipe de la radio élargirent sa mission d’alphabétisation à celle d’éducation populaire. En 1990, Fomento Cultural y Educativo (Développement culturel et éducatif), une association civile, qui appartenait à la Compagnie de Jésus, prit en main le projet de la radio et le renforça avec la création et l’accompagnement concret de l’Unité de production forestière Adalberto Tejeda. La violence croissante dans la région motiva également l’expansion du projet avec la création du Comité des droits humains de la Sierra Norte de Veracruz afin de rendre les peuples plus forts et leur permettre de faire face aux injustices qu’ils vivaient. La Voz Campesina (La voix paysanne) raconta non seulement les histoires d’oppression et d’injustice qui ravageaient les Otomis de Texcatepec, où les éleveurs dépouillaient les Autochtones de leurs terres pour y installer de grands pâturages et les remplir de vaches. Non seulement ils leur avaient enlevé leurs terres, mais plusieurs furent assassinés... La Voz Campesina et les membres de ce qui serait plus tard le Comité des droits humains de la Sierra Norte de Veracruz accompagnèrent le peuple otomi dans sa lutte, qui se solda par l’expulsion des éleveurs et la récupération de 5 000 hectares de terres qui furent retournés à leurs propriétaires originaux. Ainsi, depuis sa création, la Bien-aimée était proche du peuple « d’en bas » et est devenue un espace unique pour les peuples autochtones si oubliés et maltraités par le gouvernement du Mexique. Radio Huaya permit que la voix de ces peuples de la région (les Otomis, les Tepehuas et les Nahuas) soit entendue. C’est pourquoi elle dérange tant les puissants, le gouvernement qui, bien sûr, ne veut pas les entendre.   « Sans donner aucune explication sur les fautes auxquelles ils faisaient allusion, trois mois plus tard, ils nous dirent que nous pouvions ouvrir la radio. » – Alfredo Zepeda   Cette option, celle de donner la parole aux sans-voix, fit que la Bien-aimée fut constamment harcelée par les gouvernements, à la fois les gouvernements régional et fédéral, tous deux craignant que les gens ne se sensibilisent, ne s’organisent et ne se conscientisent. C’est pourquoi ils voulurent faire taire Radio Huaya à plusieurs reprises. L’un des moments les plus tendus fut après le soulèvement zapatiste de 1994, lorsque le gouvernement remplit les montagnes du pays avec du personnel militaire, en particulier dans les zones autochtones. À cette époque, prétextant des défaillances techniques, le gouvernement ferma la radio pendant trois mois, de mars à mai 1995, nous racontait Alfredo Zepeda, directeur du projet, qui y participa durant plus de 30 ans. Il ajouta : « Sans donner aucune explication sur les fautes auxquelles ils faisaient allusion, trois mois plus tard, ils nous dirent que nous pouvions ouvrir la radio ». En 2005, Radio Huayacocotla reçut du Secrétariat aux communications et aux transports la permission de transmettre au 105,5 FM sous l’acronyme XHFCE « La voix des paysan.ne.s ». À l’heure actuelle, la Bien-aimée a 10 000 watts de puissance et peut s’écouter du sommet de la colline de Viborillas dans toute la zone nord de Veracruz jusqu’aux communautés de l’Hidalgo, de Puebla, de San Luis Potosí, de Querétaro et au sud de Tamaulipas. Le souvenir le plus lointain que j’ai de La Voz Campesina est une chanson qui jouait à l’émission Noticiero del Campo (Nouvelles de la campagne) qui plus ou moins disait ceci : « Les ravageurs, les ravageurs, ils voulaient avoir le dessus, manger les cultures de ma communauté. J’ai appelé Chonito, j’ai appelé Don Juan et des pauvres ravageurs, il n’en reste plus ». Actuellement, les nouvelles sont appelées « Mots en l’air », mais continuent de refléter principalement l’actualité des villages de la région et privilégient le contact direct de la radio avec les organisations communautaires. La radio favorise également le renforcement, la diffusion et la promotion des coutumes des communautés : les danses, les contes et les légendes; les occupations au sein de la communauté, telles que celles des sages-femmes, qui ont été attaquées par le système de santé de notre pays et dont la pratique est constamment menacée. De la même façon, la radio maintient les contacts entre les gens de la communauté grâce à la section des avis et des communiqués, qui rapporte les animaux perdus, le travail communautaire, les journées de santé, les décès dans la région, les fêtes communautaires, etc., facilitant ainsi l’échange d’informations dans les zones où il n’y a pas d’accès au téléphone.   Le dizain de l’Huasteca c’est l’élégance rimée de syllabes enchaînées qui mouille l’âme desséchée à Tlachi, à Huaya et à Texca où le peuple marche toutes les montagnes s’illuminent la radio d’un peuple en lutte qui s’écoute dans l’Huasteca et la voix des paysan.ne.s s’entendCarlos Hernández Dávila   Pour la Bien-aimée, il est essentiel que sa voix s’exprime par le biais d’un éventail de langues, car elle comprend ce que le peuple dit parce qu’elle fait partie du peuple. Ainsi, elle parle otomi, tepehua, nahuatl et espagnol. Et comme la radio est colorée comme les villages, ainsi en est-il de la musique qui s’y écoute dans sa programmation; il y a de la musique de trios et de bandes caractéristiques de la région, ainsi que les danses des villages qui correspondent à des rituels divers comme les offrandes à l'eau, à la montagne, au maïs. Il y a aussi des rythmes de danse qui sont plus liés aux fêtes, comme des chansons pour le carnaval, les mariages ou le jour des Morts. C’est ce qu’Inocencio Flores Mina, l’animateur tepehua de la radio, nous a raconté. Et la radio fait tellement partie de la communauté qu’on l’entend où sont ses gens, peu importe la distance. Internet a été mis au service du peuple, car il accompagne les migrant.e.s qui sont partis de ces terres pour aller à des endroits comme New York. Grâce à cela, les familles partagent non seulement des salutations, mais aussi les histoires de ceux et celles qui sont parti.e.s et de ceux et celles qui sont resté.e.s, et l’absence devient plus légère. La Bien-aimée, bien qu’elle s’écoute au loin et que sa voix soit toujours plus forte, ne délaisse pas son côté communautaire ni son engagement envers « ceux et celles d’en bas ». Elle est consciente que d’assumer ce service fait d’elle, comme les autres radios communautaires du pays, une cible des attaques des puissants qui sont de plus en plus constantes dans un pays secoué par la violence. Cependant, étant une grand-mère et une sage, elle sait que se taire est inutile et qu’en ce moment, sa voix est plus nécessaire que jamais. Elle sait aussi que ce qu’elle a appris et vécu ces dernières années l’a rendue plus forte et que le peuple l’aime et la respecte. Elle se sait Bien-aimée.   Traduction par Émilie Noël Photo : Célébration devant la Radio Huayacocotla. Photographie de Radio Huaya.abc

Editatona : j’édite, donc j’existe

Des milliers de personnes écrivent, approfondissent, corrigent et contribuent à l’amélioration de millions d’articles de façon désintéressée dans l’encyclopédie libre. Mais pour la majorité, ce sont des hommes. Les statistiques les plus récentes à ce sujet, qui datent de 2012, sont non seulement décourageantes, mais également inadmissibles dans une société en quête d’équité : les femmes ne représentent que 10 % des éditeurs et éditrices de Wikipédia. Autrement dit, pour dix wikipédistes, on ne compte qu’une seule femme. Pourquoi devrions-nous nous en inquiéter? D’abord, de toutes les biographies disponibles en espagnol sur Wikipédia, à peine 16 % concernent des femmes et un grand nombre d’articles comportent des biais machistes ou sexistes. Par exemple, dans la biographie d’une femme, nous retrouverons généralement des informations sur une relation familiale ou amoureuse avec un homme, nous saurons quel est son état civil, si elle a des enfants, et même quelles sont ses mensurations et sa taille. Bref, ces chiffres montrent bien que la vision de la moitié de la population de la planète n’est pas représentée dans un site qui constitue la principale référence sur Internet. Mais pourquoi compte-t-on aussi peu de femmes actives comme éditrices sur Wikipédia? Parmi les diverses raisons que nous avons pu trouver, notons que puisqu’il s’agit d’un projet réalisé à titre bénévole, la participation nécessite d’avoir du temps libre, ce que nous, les femmes, n’avons pas. Nous vivons dans une société qui impose des rôles de genre dans lesquels les femmes doivent avoir un emploi rémunéré ou étudier, et s’occuper du travail de soins, comme s’occuper de la maison et des enfants. Après une journée de travail, nous investissons notre temps pour consommer du contenu Web, pas pour le générer. Une autre cause se trouve dans la relation entre l’information et l’utilisation des technologies de communication. Comme il s’agit d’un univers en grande partie déterminé par les opinions, idées et hypothèses des hommes, beaucoup de femmes manquent de confiance en elles quant aux technologies. Nous avons souvent peu de liens avec la technologie au quotidien, et l’on nous a répété que nous n’avons pas d’aptitudes à ce sujet. Ce n’est pas un hasard si les statistiques sur la présence des femmes dans les programmes d’études en génie et dans les domaines liés aux systèmes informatiques sont très similaires aux statistiques sur la présence des femmes dans Wikipédia. Au Mexique, 80 % des personnes étudiant pour avoir le titre d’ingénieur.e sont des hommes et en Argentine, une étude a démontré que les adolescentes estiment que les programmes ayant trait à l’informatique sont souvent destinés aux garçons. L’organisme états-unien Girls Who Code démontre que la situation est loin de s’améliorer et tend même à s’aggraver. Alors que 37 % des diplômé.e.s en sciences informatiques aux États-Unis en 1984 étaient des femmes, ce pourcentage a aujourd’hui diminué à environ 18 %. Ainsi, il est clair qu’une fille souhaitant œuvrer dans le domaine de l’Internet fera face à un monde d’hommes. Avec tout ce que cela implique. Une dernière raison, non moins importante, est notre confiance en nous-mêmes. C’est dans un monde où les professions d’hommes et de femmes sont délimitées, où le langage rend invisible, où la science et la technologie se construisent avec des noms masculins et où l’on se fait dire d’« étudier dans un domaine pour les femmes » que nous entrons en contact avec des projets numériques – pas seulement Wikipédia – avec une attitude défensive quant à la manière dont sera reçu notre travail en tant que femmes. Si on nous traite ainsi dans la vraie vie dans ce à quoi nous contribuons, comment notre travail sera-t-il accueilli sur Wikipédia, où le message de bienvenue que nous recevrons pour nos actions proviendra certainement d’un homme? Ce dernier point est le plus important. Jour après jour, nous sommes confrontées à des situations où nos opinions ne sont pas écoutées, mais plutôt ignorées et sous-estimées. Il est fort probable que nos apports sur Wikipédia fassent également l’objet d’un examen supplémentaire. Or, de nombreuses femmes ont tendance à se décourager lorsqu’il faut discuter, lancer une discussion et argumenter, à plus forte raison s’il faut débattre avec des hommes ayant des milliers d’articles et de révisions à leur actif dans le projet. Editatonas au Mexique En novembre 2014, quelques femmes actives au sein de la section mexicaine de Wikimedia se sont penchées sur la manière de changer cette réalité, en luttant contre certains des obstacles décrits précédemment. Nous avons ainsi pensé à un événement exclusif pour les femmes, où nous pourrions échanger et partager nos connaissances sur Wikipédia et discuter de nos lacunes – et, surtout, chercher à les résoudre en mettant en commun nos forces. Cet événement serait aussi l’occasion d’aborder des thèmes absents des événements mondiaux de Wikimedia organisés par des hommes. Partout à travers le monde, nous sommes responsables par défaut des tâches liées aux soins des enfants et même des nièces, grands-parents, cousins et cousines. Comment permettre la participation de nos collègues qui souhaiteraient éditer des articles, mais qui ne peuvent le faire, car elles doivent s’occuper de leurs enfants? Nous avons pensé à cette fin à un service de garde. Quels sont les enjeux qui nous intéressent particulièrement en tant que femmes, en dehors de la programmation thématique définie par des hommes? Nous nous sommes mises à nous questionner les unes les autres, sans gêne ni peur des railleries advenant notre ignorance quant à tel ou tel sujet. Nous en avons discuté avec nos collègues de SocialTIC, et peu à peu le projet a commencé à prendre forme. Nous avons invité les camarades d’Ímpetu, et décidé avec elles d’ajouter une composante féministe. Par la suite, nous nous sommes renseignées sur la discrimination positive et avons trouvé des arguments pour expliquer notre projet à une communauté un peu vexée et décontenancée, et d’autres organisations se sont jointes à l’initiative : Luchadoras, Mujeres Construyendo, Sandía Digital. Ensemble, nous avons mis sur pied Editatona. Certaines des camarades qui ont contribué à la construction du projet y sont présentes, d’autres pas entièrement. La première édition d’Editatona a eu lieu en janvier 2015. La participation a dépassé nos attentes : plus de 84 femmes se sont inscrites à l’événement, qui avait lieu dans un espace prévu pour 30, soit à l’Institut de leadership Simone de Beauvoir. Nous avons réussi à y faire entrer 40 personnes, et là, serrées les unes contre les autres, nous avons édité des articles sur les féminismes. Dans ces deux dernières années, les « editatonas » ont été déterminées à mener de l’avant un processus porté par des femmes du début à la fin. Nous sommes passées par diverses interrogations : Comment organiser un événement ou monter une bibliographie? Comment travailler en équipe? Nous avons cheminé pour résoudre nos incertitudes, qui ne concernaient pas uniquement Wikipédia. Et nous avons aussi constaté à quel point l’obstination est nécessaire pour aller au bout d’un projet. De l’obstination? Oui. Depuis le début, nous savions que ce ne serait pas facile, à commencer par des choses simples, telles que changer le nom de Editatón (le marathon d’édition de Wikipédia, dont des éditions sont réalisées partout dans le monde) pour le féminiser. Nous pensions en effet (et cela s’est confirmé depuis) que nous pourrions ainsi nous approprier l’événement, et que de cette manière il serait clair que nos événements sont destinés exclusivement aux femmes. Expliquer ceci à la communauté n’a pas été facile, car le terme editatón lui-même était depuis peu en voie de se faire connaître. Nous n’en avons pas fait de cas, et nous avons décidé d’aller de l’avant avec ou sans l’appui de la communauté. « J’édite, donc j'existe » est notre slogan, et nous devions agir en accord avec nos principes. C’est ce que nous avons démontré en maintenant un espace non-mixte. Nous avons reçu beaucoup de critiques parce que nous ne permettions pas la participation des hommes. On nous a dit que l’on excluait, que l’on discriminait. Notre réponse a été catégorique: « Tu souhaites éditer? Participe à l’un des 30 événements où il n’y a pas de restrictions ». « Tu souhaites éditer sur le féminisme? Fais-le ailleurs! » Il y a eu ensuite des problèmes « techniques » : on ne retrouve pas beaucoup de catégories définies pour des femmes sur Wikipédia. Par exemple, une physicienne entrera dans la catégorie « physiciens ». Généralement, les bibliographies sont également moins fournies pour les femmes. Pour un article sur un joueur de soccer, on retrouvera une multitude d’articles de journaux, d’entrevues, de documentaires, etc. Pour une joueuse, la proportion sera de beaucoup moindre. Un ou deux articles, et c’est tout. Cela complique grandement le travail d’édition, car les règles de Wikipédia exigent de s’assurer de la pertinence de l’encyclopédie; or, la meilleure manière de le faire est de consulter des références de sources fiables. Nous avons ainsi appris que nous devions créer plus de sources. Que si nous ne trouvions pas de recension sur l’exposition d’une artiste, nous devions faire en sorte qu’il y en ait une. De nombreuses autres expériences ont suivi par la suite, chacune avec des enjeux nouveaux, mais toujours avec des solutions concrètes, parfois improvisées, et parfois controversées. Nous avons aussi à cœur de proposer un modèle de réduction des disparités de genre sur Wikipédia né et élaboré en Amérique latine. Nous avons reçu beaucoup de conseils et lu beaucoup de documents provenant de camarades qui, après tout, connaissent autrement des situations plus privilégiées. Ces situations ne s’adaptent pas entièrement à ce que nous vivons. Editatona se développe face à des situations qui ne sont pas déterminées par les manières dont certains faits reçoivent plus d’attention du public international lorsqu’ils surviennent aux États-Unis ou en Europe. La leçon la plus importante que nous avons tirée d’Editatona, c’est de savoir que nous pouvons mener à terme nos projets. Que l’audace, comme l’indique le cinquième principe de Wikipédia, est indispensable. Que les espaces féminins non-mixtes sont des espaces sécuritaires, fiables, amicaux. Et que les bonnes idées traversent les frontières : plus de 30 editatonas ont été organisées jusqu’à présent dans diverses villes : Aguascalientes, Chihuahua et Mexico D.F. au Mexique; de même qu’en Argentine, au Brésil, au Costa Rica, en Équateur, en Espagne, au Guatemala, au Nicaragua et en Uruguay. À Editatona, nous n’avons pas la réponse à l’ensemble des problématiques liées aux espaces numériques comme le harcèlement, le peu de participation des femmes pour générer des contenus, etc. Il s’agit simplement d’une proposition que nous espérons voir croître et se consolider. Nous avons constaté un problème, et nous y avons fait face de façon collective et avec détermination. Si tu souhaites te joindre à l’initiative, écris-nous! editatona@wikimedia.mx, twitter.com/editatona ou facebook.com/Editatona/   Traduction par Éva Mascolo-Fortin Photo : « Je veux un Internet féministe », manifestation « Vivas nos queremos » contre les violences machistes au Mexique, avril 2016. Photographie de Luchadoras.org.   Ce texte a initialement été publié sur le site Internet de GenderIT : http://www.genderit.org/es/feminist-talk/edici-n-especial-editatona-edito-luego-existoabc

Défendre le territoire du Honduras et du Guatemala par la radio

La fraîche brume matinale et la faible lumière de l’aube couvrent la montagne et l’on entend au loin des sons de marimba mélangés à ceux d’une vieille radio : « Bonjour à toute la collectivité de Chamtaqá, nous commençons à l’instant la retransmission de la radio Kamolbé 93.1 ». Quelques heures plus tard, près de la mer et des palmiers, là où l’humidité annonce les grandes chaleurs quotidiennes, on entend une bachata et la radio : « Buiti Binafi, nous sommes de retour ». Il s’agit de la radio communautaire Waruguma, à Trujillo. L’une est au Guatemala; l’autre, au Honduras. À première vue, il semblerait qu’elles n’ont rien en commun. Au contraire, elles font toutes deux partie du Réseau mésoaméricain de radios communautaires, autochtones, garifunas et féministes, créé en 2009. Travailler en réseau pour un soutien mutuel Le Réseau mésoaméricain est un réseau stratégique de partenariats naturels qui réunit plusieurs radios communautaires et dont la mission est de renforcer les luttes des organismes sociaux et des peuples de la région. Actuellement, il compte 20 radios communautaires et 9 organismes pour la défense du territoire et des droits humains. Le maintien de la diffusion de ces radios demande un effort considérable et beaucoup de détermination puisqu’elles sont autonomes et se contentent du travail des bénévoles et de l’engagement social de la communauté et des personnes qui y participent quotidiennement. L’objectif principal du Réseau mésoaméricain est d’unir les efforts des projets de communication des organismes qui partagent les mêmes visions de lutte, pour s’élever au-delà des frontières culturelles, religieuses et ethniques. Ainsi, le Réseau devient actif et opérationnel, capable de s’articuler et de répondre conjointement; un espace d’appui mutuel et de solidarité. Quel est le contexte? Tout cela a un lien de causalité bien précis. En effet, si l’on jette un coup d’œil à la situation des droits humains, plus particulièrement à la liberté d’expression dans cette région, nous faisons face à des faits préoccupants : Au Guatemala, la majorité de la presse écrite est contrôlée par le groupe familial Marroquín qui possède aussi 41 postes de radio d’Emisoras Unidas. Même si la radio est moins sous le monopole que les autres médias (environ 55 % des 550 postes appartiennent à neuf conglomérats d’entreprises), il est important de noter que ceux qui contrôlent plus de la moitié des postes de radio sont aussi ceux qui contrôlent la presse et la télévision. De plus, les postes de radio s’achètent aux enchères, ce qui rend l’accès égalitaire entre les médias communautaires et les grandes entreprises de communication presque impossible. Au Honduras, 69 journalistes et membres des médias sociaux ont été assassiné.e.s depuis 2001, selon les statistiques du bureau de la Commission nationale des droits humains (Comisionado Nacional de los Derechos Humanos, CONADEH). Or, seulement 6 sentences ont été prononcées, ce qui signifie que 91 % de ces actes demeurent impunis. Considérant ces problèmes (nous pourrions en nommer bien plus) et réalisant une veille des médias commerciaux (médias oligarques qui n’agissent que pour des intérêts économiques très précis et qui sont contrôlés par une poignée de gens), nous constatons comment leurs messages criminalisent les mouvements sociaux, ridiculisent et folklorisent la spiritualité et la culture, encouragent la migration et le sexisme, et promeuvent les projets d’extraction et de pillage pour « favoriser le développement ». Tous ces messages sont remplis de fausses informations lancées aux communautés. Celles-ci doivent avaler l’information sans consultation ni préavis, comme si elles étaient des dépotoirs où s’accumulent les déchets sans contrôle. C’est pour cela que les communautés se sont levées contre les médias commerciaux et contre la contamination de leurs terres et de leur territoire par des mégaprojets. C’est ainsi qu’est née la nécessité de créer leurs propres médias avec une identité qui leur est propre. Des médias où l’appropriation de la technologie est un processus en soi pour lequel se forment les médias communautaires qui, comme leur nom l’indique, proviennent de la communauté et sont créés grâce à la force du tissu social qui les pousse à aller de l’avant. En ce sens, il est important de donner à TERRITOIRE une signification plus complète que celle de la terre. Il faut aussi lui ajouter le sens de corps, identité, culture, spectre radioélectrique, etc. Il est donc logique que la première ligne de défense du territoire soit LA PAROLE. C’est pourquoi les membres des médias communautaires utilisent la radio comme moyen de renforcer leur message et leurs droits en tant que communautés, leur personnalité et leurs sentiments uniques, dans le but de défendre leur territoire. Que se passe-t-il avec les radios communautaires? Voici ce qui se passe avec la radio Waruguma, à Trujillo, qui fait partie du Réseau de radios communautaires garifunas. En 2008, la collectivité de Guadalupe, dans la baie de Trujillo située sur la côte nord du Honduras, a intenté une action contre le Canadien Randy Jorgensen (aussi connu sous le nom de Roi du Porno) pour avoir acheté illégalement des terres dans cette même collectivité. Son but était d’ouvrir un passage entre le port de croisière Banana Coast et le projet Alta Vista, un énorme complexe touristique situé sur des terres communautaires. Les radios communautaires, avec l’aide de l’Organisation fraternelle noire du Honduras (OFRANEH), ont organisé la lutte et ont sensibilisé la société, ce qui a entraîné plusieurs menaces et de nombreux attentats envers les leaders communautaires et journalistes. Le 18 mai dernier, leur collègue César Geovany Bernardez, journaliste communautaire et membre de la coordination générale de l’OFRANEH, a été détenu et accusé d’usurpation d’un terrain qui, selon le titre communautaire obtenu, appartient à la communauté de Guadalupe. Même si le juge a ordonné sa remise en liberté, ce défenseur des droits humains a été soumis à des mesures de substitution. Leur dernier succès date du 26 juillet dernier lorsque la radio communautaire Warugma a reçu la résolution OD 034-17 émise par la Commission nationale des télécommunications (Comisión Nacional de Telecomunicaciones, CONATEL). Celle-ci déclare que la radio communautaire est « REBELLE ». Selon la Convention 169 de l’OIT relative aux droits des peuples autochtones (qui fait partie d’autres conventions internationales ratifiées par le Honduras), les peuples autochtones ont le droit d’avoir leurs propres médias. De l’autre côté de la frontière, a eu lieu le 20 mars 2017, la « Marche pour la dignité » à laquelle ont participé les communautés q’eqchi’ d’Alta Verapaz. Cette marche a été organisée dans le but d’exiger que les autorités judiciaires officialisent le droit à la consultation obtenu par la collectivité de Santa María Cahabón. Il y a une forte opposition aux projets hydroélectriques Oxec I et Oxec II dans cette ville puisque leur construction se traduirait par la détérioration de l’écosystème de la région et par la destruction de lieux sacrés aux yeux de la communauté q’eqhi’. De son côté, la radio Kamolbé, de l’Union des organisations paysannes de Verapaz (Unión Verapacense de Organizaciones Campesinas, UVOC), a lancé une campagne d’information et de sensibilisation de la population sur ses ondes. Ils ont ainsi créé un bulletin sur ce sujet à l’aide de communicateurs et communicatrices communautaires du Réseau mésoaméricain[1]. Le samedi 29 juillet dernier, les familles q’eqchi’ de 196 communautés des villages et des collectivités de Santa María Cahabón se sont réunies pour réaffirmer l’importance de reprendre la consultation du 27 août de bonne foi. Elles ont aussi demandé aux organismes, aux collectifs, aux observateurs et observatrices, ainsi qu’aux journalistes de veiller à ce que cette journée se passe dans l’harmonie et sans hostilité et à ce que la procédure établie soit respectée. Nous n’avons nommé que quelques exemples des nombreuses façons dont la radio communautaire aide les organismes et les communautés à se battre pour la défense des droits humains et de leurs territoires. Finalement, les différents projets de communication et le Réseau mésoaméricain de radios communautaires, autochtones, garifunas et féministes pratiquent quotidiennement le droit à la liberté d’expression en utilisant la parole, notre première ligne de défense face à l’oppression et un outil fondamental pour exercer notre droit à l’information.   Traduction par Valérie Martel Photographie de COMPPA  
Notes 1 Réseau mésoaméricain de radios communautaires, autochtones, garifunas et féministes du Honduras et du Guatemala « ¡Escucha y Aprende! Hidroeléctricas », en ligne : www.radioscomunitarias.info (page consultée en août 2017). Références Page du Réseau mésoaméricain de radios communautaires, autochtones, garifunas et féministes du Honduras et du Guatemala : www.radioscomunitarias.info Comunicadorxs Populares Por la Autonomía (COMPPA). Escuelita de Comunicación Popular de los Pueblos, 2010, en ligne : https://www.comppa.org/materiales-didacticos-comppa (page consultée en août 2017). Convention 169 de l’OIT relative aux peuples autochtones des pays indépendants (27 juin 1989). Entrée en vigueur : 5 septembre 1991. Clases de periodismo (2017). « Honduras : 69 periodistas asesinados desde 2001 y una impunidad que indigna », 2 mai 2017, en ligne : http://www.clasesdeperiodismo.com/2017/05/02/honduras-69-periodistas-asesinados-desde-2001-y-una-impunidad-que-indigna (page consultée en août 2017). Hernández, Rosalinda (2017). « En defensa de la determinación », CIMAC, 21 février 2017, en ligne : http://www.cimacnoticias.com.mx/?q=etiqueta/guatemala&page=2 (page consultée en août 2017). Morales, Rony (2017). « Consulta comunitaria de buena fe, vital para la vida del río Cahabón », Prensa Comunitaria, 29 juillet 2017, en ligne : http://www.prensacomunitaria.org/consulta-comunitaria-de-buena-fe-vital-para-la-vida-del-rio-cahabon/ (page consultée en août 2017). OFRANEH (2017). « Amenazan con clausurar la Radio Comunitaria Garífuna Waruguma en Trujillo », 26 juillet 2017, en ligne : https://ofraneh.wordpress.com/2017/07/26/amenazan-con-clausurar-la-radio-comunitaria-garifuna-waruguma-en-trujillo/ (page consultée en août 2017).abc

Éditorial

À l’ère de la montée de la droite et du fascisme, de l’omniprésence d’un discours hégémonique promu par les médias de masse et de l’érosion des libertés à travers le monde, la nécessité de trouver des alternatives et des stratégies de communication se fait de plus en plus pressante. À travers les Amériques, les personnes oeuvrant dans le secteur de la communication, journalistes, militant.e.s et défenseur.e.s des droits tentent tant bien que mal d’informer, de rejoindre les populations et d’exercer leur droit à la communication et à la libre expression dans des contextes où elles et ils font régulièrement face à la criminalisation et à un difficile accès aux ressources. Au Guatemala, par exemple, les licences de radiodiffusion sont achetées via un système d’enchères, rendant l’accès aux ressources inégal. Au Mexique, un.e journaliste est assassiné.e à tous les 22 jours dans l’exercice de ses fonctions et plus de 99% des cas demeurent dans l’impunité. Cette édition de Caminando s’inscrit dans ce contexte et vise à valoriser des initiatives de communication alternative, communautaire et sociale, mises de l’avant par et pour les populations. Cette année, vingt-six auteur.e.s et organisations ont accepté de partager leurs expériences et analyses sur cette thématique. La réponse significative à l’appel à communication démontre l’importance du sujet et l’urgence de s’unir pour lutter contre le modèle de communication promu par le système capitaliste. À la lumière des témoignages dans les pages qui suivent, un constat apparaît flagrant : les moyens de communications de masse à travers le monde sont au service d’une élite politique et économique minoritaire qui contrôle l’information et les ressources au détriment de la majorité. À l’heure actuelle, les moyens de communication alternatifs et populaires constituent donc l’un des principaux outils de lutte pour les droits humains. Ils offrent des espaces de revendication, de diffusion libre de l’information, de transmission d’information sur les luttes sociales, de participation et d’empowerment, de multiplication des voix, de critiques et de construction conjointe d’analyses. De nouveaux moyens de communication et de nouvelles plateformes, notamment les réseaux sociaux, sont également apparus au cours des dernières années, donnant la voix à des personnes souvent exclues de l’espace public. Les mouvements tels que #VivasNosQueremos et #moiaussi en sont la preuve. Nous espérons que cette édition de la revue Caminando vous donnera un large panorama d’expériences et d’analyses sur les moyens de communication communautaires, populaires et alternatifs, qui méritent d'être mieux connus et partagés massivement afin de faire contrepoids au contrôle de l’information et la désinformation. Nous souhaitons remercier les auteur.e.s, ainsi que toutes les personnes qui ont appuyé solidairement la traduction et la révision des articles, et les artistes qui ont partagé leurs illustrations. La réalisation et la publication de cette édition a été rendue possible grâce à leur appui précieux. Nous remercions également les partenaires de cette édition de Caminando qui, encore une fois cette année, ont démontré leur soutien pour ce projet. Bonne lecture!abc