Catégorie : Extractivisme

Les contradictions du modèle énergétique et la violation des droits humains chez les femmes affectées par les barrages

C’est indéniable que l’énergie a une importance stratégique puisqu’elle est associée à la production de plus-value et elle est également utilisée pour augmenter l’exploitation de la force de travail des ouvriers et ouvrières. Dans la phase actuelle du capitalisme, l’appropriation privée de biens naturels à grande échelle, comme l’eau et l’énergie, devient de plus en plus un enjeu très grave. À cet effet, c’est fondamental de comprendre ce qui se cache en arrière-plan de la lutte pour le contrôle de ces biens par les entreprises.   La marchandisation de l’énergie À partir des années 1990 et avec l’apogée du néolibéralisme, un cycle de privatisation fut imposé au Brésil et ses conséquences ont eu un impact profond sur la vie du peuple brésilien. Cela fut la cause directe de la perte de droits sociaux historiquement conquis par la classe ouvrière. En même temps, plusieurs entreprises étatiques très importantes furent vendues aux entreprises multinationales à des prix beaucoup plus bas que leur prix réels. L’État est désormais soumis face au capital et aux intérêts de ces entreprises. En ce qui a trait au secteur énergétique, au-delà d’une augmentation de l’exploitation de la classe ouvrière à travers la hausse du prix de l’énergie électrique, on observe une multiplication de complexes hydroélectriques qui ont affecté une partie importante de la population. En plus, le fractionnement de l’industrie énergétique, organisé par le système financier international, l’a divisée en différentes branches d’activité : production, transmission, distribution et commercialisation. Tout cela ayant comme but d’assurer un taux de profit en constante croissance. En conséquence, les coûts de production de l’énergie hydroélectrique, considérés comme les plus abordables, sont devenus extrêmement chers, générant un profit extraordinaire, similaires aux coûts associés à d’autres sources d’énergie, telles les usines thermiques et le pétrole. Au-delà du prix élevé de l’énergie qui est payé par la population, elle est également offerte de façon précaire : il y a plusieurs régions du pays qui n’ont toujours pas d’accès à l’énergie et les oscillations, les black-out, le faible entretien des réseaux, entre autres, sont récurrents. D’un autre côté, l’industrie consomme plus de 40% de l’énergie générée par le pays, profite de plusieurs incitatifs fiscaux et paye un prix beaucoup moins cher que celui payé par les travailleurs et travailleuses. Dégradation de l’environnement, violation de droits et précarisation du travail Au Brésil, la construction de barrages cause un grand impact environnemental et social. L’absence d’études à ce sujet entraîne des problèmes tels la dégradation de la flore et de la faune, des inondations, des impacts sur la vie et le cycle reproductif des poissons, des conséquences sur les eaux souterraines et la contamination de puits d’eau potable, entre autres. Le sens commun incite à croire que l’énergie générée par l’hydroélectricité serait propre permettant la commercialisation de réserves de charbon et ayant un faible impact environnemental. Nonobstant, il devient de plus en plus clair que cette façon de générer l’énergie provoque la dégradation de l’environnement et ne peut donc pas être considérée comme une énergie propre. De surcroît, il y a de nombreux cas de violation des droits humains des personnes affectées par les barrages, délogées de leurs foyers et de leurs terres sans aucune compensation. On estime que plus d’un million de personnes ont déjà été affectées par les barrages au Brésil et 70% parmi celles-là n’ont reçu aucune compensation. De plus, d’ici 2021, les projets de barrages en construction ou en phase de planification affecteront environ 250 000 personnes supplémentaires[1]. Au-delà des problèmes environnementaux et des personnes directement affectées par les barrages, ce modèle énergétique nuit aussi aux travailleurs et travailleuses de ce secteur, qui subissent des pertes salariales importantes. De plus, on note une hausse d’accidents avec un taux de décès élevé, des amputations de membres et l’absence d’assistance pour les travailleurs et travailleuses. On observe donc une situation de précarisation accentuée du travail obéissant à la logique d’augmentation de la compétitivité entre les entreprises. Il faut produire toujours plus, mais dans une période de temps chaque fois plus courte. Face à ces constats, le Mouvement des personnes affectées par les barrages (MAB) dénonce l’absence d’une politique énergétique qui puisse répondre à la fois aux enjeux environnementaux et aux droits des personnes affectées. Tant que cela ne sera pas mis en place, l’énergie sera considérée comme un enjeu d’affaire pour les entreprises et la protection de l’environnement et les droits humains comme un coût supplémentaire. Pour le MAB, c’est seulement les processus d’organisation, de résistance et de lutte qui peuvent garantir les droits aux personnes affectées. En ce sens, le concept de « personnes affectées par les barrages » présuppose la prise en compte de nouvelles dimensions, au-delà de l’idée selon laquelle la « personne affectée » est un synonyme de « personne inondée ». Ce concept tient compte d’une multitude d’enjeux, tels la rupture des liens communautaires et les changements dans la dynamique productive : plusieurs individus quittent leur emploi comme pêcheur et deviennent agriculteurs ou encore, des paysans quittent le milieu rural et deviennent des travailleurs urbains, entre autres. La place des personnes affectées dans la précarisation de droits Le MAB reçoit beaucoup de dénonciations de violation de droits humains de la part des populations affectées et plus particulièrement des femmes. Selon la Commission spéciale des barrages, les femmes « sont particulièrement affectées et font face à des obstacles plus grands pour la reprise en charge de leurs moyens de vie ». Le pattern de violations découlant du modèle de développement énergétique est récurant en Amérique latine et ce dernier articule de façon structurelle les oppressions du patriarcat. Dans le modèle énergétique dans lequel nous vivons, plutôt que de se baser sur les besoins sociaux – déjà matérialisés en droits à travers les luttes féministes – on observe que les droits deviennent un autre mécanisme de commercialisation pour la construction du barrage, fondés sur l’éthique du minimum possible. Ainsi, les femmes déjà affectées par les inégalités de genre, par la situation de pauvreté sociale, familiale et communautaire causée par le capitalisme, voient leur situation s’aggraver par la construction de barrages. Dans le contexte d’une société machiste, les femmes sont des personnes affectées au fur et à mesure qu’elles sont responsables dans la structure sociale de l’organisation du foyer et des liens communautaires. À cause des barrages, leurs vies deviennent plus difficiles avec la montée de la violence. Par ailleurs, un réseau de marchandisation du corps de la femme s’établit, dont la prostitution en est une des facettes. Dans plusieurs cas, leurs voix ne font même pas d’écho, car les entreprises ne sont pas prêtes à les écouter. En bref, nous pouvons lister six axes principaux de violations contre les femmes :
  • Le monde du travail : violations liées à l’invisibilité du travail des femmes; la perte du travail qui génère le revenu; la non-adaptation au travail urbain;
  • La participation politique : la disqualification de la femme comme sujet politique; l’absence de services de base tels que la garderie, le transport;
  • Préjugés des entreprises : la non-reconnaissance des femmes comme étant des interlocutrices; le concept « patrimonialiste » et patriarcal de la personne affectée;
  • La perte des liens communautaires et familiaux : les femmes subissent plus fortement les conséquences du démantèlement de la société en raison de leur place dans la division sexuelle du travail;
  • Difficultés occasionnées par les travaux d’infrastructures : la montée de la violence contre la femme, de l’exploitation sexuelle de femmes et enfants; l’augmentation du trafic de drogues;
  • L’accès aux politiques publiques : l’explosion démographique provoquée par le barrage rend encore plus difficile l’accès aux services publics déjà précaires.
La lutte des femmes affectées par les barrages Le MAB se définit comme un mouvement populaire et autonome essentiellement fondé sur la lutte comme le principe qui définit la garantie des droits des personnes affectées par les barrages. Ce mouvement est en faveur de la construction d’un projet énergétique populaire et souverain et pour la transformation des structures injustes de la société. Le travail d’organisation des femmes affectées par les barrages est fondamental pour la stratégie du MAB, car, comme dit une chanson : « la lutte n’est pas seulement des « companheiros (camarades) ». La lutte appartient à l’ensemble des femmes et hommes qui croient à un monde meilleur. Il faut analyser la réalité et comprendre que nous vivons dans un modèle de société capitaliste, impérialiste et patriarcal, où les grandes corporations du capital contrôlent l’économie, s’appropriant des biens naturels, des technologies, la force du travail dans le seul but d’accumuler des richesses au dépens de l’exploitation du travail des travailleurs et plus particulièrement, des femmes. Notre objectif est que les femmes soient des sujets actifs du processus politique et d’organisation, réunissant les conditions de développer un travail qui rende possible l’émancipation et l’auto-organisation des femmes, avec la clarté de conscience que notre ennemi est un ennemi de classe. Les femmes affectées par les barrages chantent toujours des chants de lutte, pour les droits et pour l’émancipation des femmes provenant de tous les coins et régions du Nord, du Nord-est, du Sud, du Sud-est et du Centre-Ouest du Brésil. Elles luttent pour l’amour à la vie et crient : les femmes, l’eau et l’énergie ne sont pas des marchandises!   Photo : Arpillera brésilienne, Collectif national de femmes du MAB, Vinicius Denadai, Collection du MAB, 2014. Traduction : Yussef Kahwage  
Notes [1] Selon l’étude du Plan décennal d’énergie, le nombre prévu de personnes affectées selon l’État est de 62 000 personnes. Pour le MAB, ce chiffre est sous-estimé car seulement la construction de Belo Monte a entraîné plus de 40 000 personnes affectées.abc

Les femmes et l’extractivisme en Amérique latine : l’écoféminisme latino-américain

Depuis la colonisation, l’Amérique latine a toujours été un continent exportateur de ressources naturelles. Des métaux précieux au soya, il n’y a aucune différence : l’Amérique latine exporte la Nature. Après tant d’années d’exploitation, plusieurs des ressources naturelles de meilleure qualité se sont épuisées. Ainsi, il y a un déplacement vers de nouvelles régions pour pratiquer l’extraction, vers les forêts tropicales et vers des gisements de qualité inférieure. Cette situation a été aggravée par ce qu’on appelle les extractivismes qui incluent des activités telles que les projets d’exploitation minière à grande échelle, l’exploitation pétrolière, la fracturation hydraulique ou les monocultures d’exportation. Toutes ces activités ont un grand impact social et environnemental et leurs conséquences affectent principalement les femmes. De leur côté, celles-ci contribuent grandement aux propositions pour un changement du type de relation entretenue avec la Nature. Cette participation importante des femmes contre l’extractivisme justifie l’intérêt croissant pour les diverses approches qualifiées d’écoféministes au sens large. Le but de cet article est d’examiner quelques-unes de ces relations femmes et Nature en utilisant des approches théoriques originaires de différents continents et en se basant sur quelques expériences concrètes en Amérique latine. L’importance des écoféminismes L’incapacité d’arrêter la destruction de l’environnement et le fait d’ignorer les signes évidents de sa détérioration deviennent une conceptualisation, fortement ancrée dans tout contexte culturel ou l’être humain est conçu comme étant un élément distinct de la Nature. Basé sur cette dualité, les politiques économiques, les modes de production et les moyens de conservation mis en place par l’être humain n’ont jamais pu arrêter la destruction environnementale puisqu’ils viennent de concepts anthropocentriques. Lorsqu’une catastrophe naturelle survient, ce sont toujours les femmes et les enfants qui sont le plus affectées[1]. Aussi, il est commun de voir que ce sont généralement les femmes qui résistent, sans céder, aux fausses « solutions » que les entreprises proposent, par exemple, les compensations financières. Parmi les approches féministes, il existe plusieurs courants de pensée qui analysent et génèrent des théories à propos du lien qui unit les destins des femmes et de la Nature. Ces types de féminismes, soit ceux qui considèrent que la non-égalité des sexes et la destruction de la Nature ont une origine commune, se nomment écoféminismes. Le terme « écoféminisme » a été utilisé pour la première fois en 1974 par la féministe française Françoise d’Eaubonne afin de signaler le potentiel que les femmes pourraient apporter à une révolution écologique[2]. Depuis, le terme a été utilisé par plusieurs féministes provenant pour la plupart de l’hémisphère nord et s’est converti en un mode de pensée pluriel[3]. Certains courants affirment que la majorité des sociétés actuelles s’insère dans des structures patriarcales et hiérarchisées, basées sur des relations de dominance sur la femme et sur la Nature. En revanche, d’autres écoféministes donnent plus d’importance à la construction occidentale de la culture. Celle-ci se base sur des dualismes opposés, exclusifs et hiérarchisés qui génèrent les concepts de femme et de Nature. Les positions utilitaires, qui justifient la destruction de la Nature, sont aussi ancrées dans cette conceptualisation, de même que l’obsession de profiter de l’environnement pour stimuler la croissance économique. Évidemment, ces positions ne sont pas exclusives aux hommes. Au contraire, il y a également plusieurs femmes qui les défendent actuellement. En Amérique latine, bien que le terme « écoféministe » ne soit pas utilisé, un volet environnemental a rapidement été greffé au programme féministe. Ceci a surtout été fait par les mouvements féministes autochtones qui ont compris que leurs droits en tant que femmes ne peuvent être respectés sans le respect de leurs droits collectifs et de leurs droits sur leurs territoires, incluant ainsi la thématique environnementale[4]. Cependant, le Réseau latino-américain des femmes de défense des droits sociaux et environnementaux (Red Latinoamericana de Mujeres en Defensa de los Derechos Sociales y Ambientales) se reconnaît actuellement comme écoféministe à part entière. Autrement dit, même si ce terme n’est pas nécessairement utilisé, l’écoféminisme est présent, explicitement ou non, dans les façons de faire et dans les objectifs du collectif. Les femmes et l’extractivisme L’économie féministe soutient qu’il y a une forte ressemblance entre les relations qu’entretient l’économie avec la Nature et celles qu’elle entretient avec les femmes. C’est pourquoi lorsqu’on pense à une nouvelle économie écologique, il est crucial de se pencher sur la manière dont ces relations s’entrelacent. L’économie orthodoxe traite les femmes et la Nature de la même façon : elles sont invisibles, perçues comme de simples ressources servant à la satisfaction masculine, conçues comme autorégénératives, passives et comme objets subordonnés à la volonté de l’homme/l’humain. Le modèle économique est masculin, autonome, rationnel et possède ses propres intérêts où toutes formes d’indépendance et d’émotion sont exclues. On y surestime la neutralité des jugements de valeur et les thèmes d’éthique y sont rigoureusement évités ainsi que toute autre discussion au sujet de « l’autre »[5]. Les perspectives économiques traditionnelles se réjouissent des indicateurs de croissance économique, de l’augmentation des exportations ou du financement des investisseurs. C’est une des raisons pour lesquelles les extractivismes se sont tant répandus en Amérique latine[6]. Les exemples les plus connus sont les records en matière d’exportation minérale, de progression du soya et d’investissements des pétrolières en Amazonie. Cela dit, les impacts sociaux et environnementaux de ces activités ne sont pas comptabilisés par les disciplines économiques traditionnelles et passent inaperçus. Lorsqu’une entreprise d’extraction fait irruption dans une communauté, une série de processus rétroactifs se succèdent où l’environnement et les femmes sont affectés négativement[7]. Les conséquences peuvent être variées, mais les plus communes sont la perte d’accès aux ressources de subsistance primaire[8], les problèmes de santé et l’augmentation du taux d’alcoolisme, de violence et d’agressions sexuelles[9]. L’organisme « Colectivo Casa » a mené une enquête dans dix communautés boliviennes où il existe des conflits environnementaux actifs avec des entreprises minières. Si on compare les statuts sociaux des femmes dans les communautés basées sur le développement durable à celui des femmes dans les communautés dont l’activité économique principale est maintenant centrée sur les mines, on observe une dégradation croissante tant pour la Nature que pour les conditions de vie des femmes et le travail qu’elles occupent. Le rôle des femmes face aux extractivismes Dans la partie précédente, nous avons vu comment l’implantation d’une entreprise extractiviste déclenche une série de conséquences complexes et interreliées qui mènent à une détérioration de la Nature et à une dégradation de la qualité de vie de tous, en particulier des femmes. Le contexte de distribution sociale du travail qui prévaut actuellement fait en sorte que les hommes sont plus prédisposés à accepter l’implantation d’entreprises extractivistes et à tolérer les impacts négatifs de leur action sur l’environnement en échange de certaines indemnisations, telles que des compensations économiques ou des promesses d’emploi. C’est ainsi que se forge une tendance généralisée où seules les femmes s’opposent à ce type d’entreprises, alors que les hommes sont plutôt tentés ou socialement forcés d’accepter un travail salarié au sein même de ces entreprises afin d’accomplir leur rôle désigné. Depuis l’expérience du Centre latino-américain pour l’écologie sociale – CLAES (Centro Latino Americano de Ecologia Social), nous avons constaté que dans certains endroits, les femmes ne réagissent pas de la même manière que les hommes lorsque l’environnement où elles vivent est contaminé ou menacé. Par exemple, une dirigeante autochtone en Bolivie signalait que les femmes sont celles qui « sentent que la pollution entre de toute part, surtout lorsqu’elles sont enceintes. Les hommes sont sales lorsqu’ils reviennent de la mine, ils se lavent et c’est tout »[10]. Dans ce témoignage, on constate des notions de relation, c’est-à-dire que l’environnement nous affecte et que nous affectons l’environnement. Il y a aussi une préoccupation pour les conséquences que la pollution peut avoir sur d’autres vies, au-delà de celle des femmes. Il y a la conscience d’un rapport, depuis et envers la Nature, qui génère un sentiment de responsabilité. Finalement, on reconnaît un sentiment de vulnérabilité puisqu’on admet ne pas avoir un contrôle complet, c’est-à-dire qu’une simple action (se laver) ne suffit pas pour éliminer la pollution. Tout cela crée de grandes différences entre la vision d’une perspective féminine et la position patriarcale, qui conçoit la vulnérabilité comme une faiblesse. Le point de vue des femmes devra ainsi être important si elles veulent abandonner les modèles de développement traditionnel (qui, par leurs caractéristiques, sont masculins) et proposer des politiques et des modèles économiques qui considèrent la vie comme prioritaire. « Extrahecciones » Si on tient compte de ce qui a été décrit dans la partie précédente et qu’on se rappelle que les extractivismes ne sont possibles que si la Nature est conçue comme un ensemble de ressources que l’humain peut utiliser comme bon lui semble (soutenant ainsi le dualisme humain/Nature), je crois qu’il convient de présenter le concept d’extrahección tel que décrit par Gudynas. Selon l’auteur, l’extrahección serait « l’appropriation de ressources naturelles imposée de manière violente et brisant le cadre des droits de la personne et de la Nature »[11]. L’extraction de ressources naturelles de manière constante à travers l’histoire et dans tout le continent a fait en sorte que pour maintenir les modèles de développement actuels, qui consistent en l’exportation de la Nature en Amérique latine, il faudrait augmenter l’intensification de l’extraction. Dans cette Nature déjà tant affaiblie où vivent des populations très affectées, les droits de la personne et de la Nature (décrits par Gudynas)[12] se voient de plus en plus violés pour faciliter l’implantation d’entreprises extractivistes. L’impact que cela provoque est d’une telle force que les conséquences sociales et environnementales ne sont plus tolérables et qu’il n’y a plus de négociation possible. Conclusion J’ai écrit cet article dans l’intention de faire connaître, d’un point de vue féminin, certains aspects actuels de la grave réalité environnementale en Amérique latine. Je voulais avant tout mettre l’accent sur le rôle important joué par les femmes dans les conflits environnementaux et dans la recherche de solutions, un rôle qui est historiquement et systématiquement passé inaperçu. Certaines femmes, que ce soit pour des raisons culturelles ou biologiques, ont une compréhension beaucoup plus profonde des relations et des responsabilités que nous avons, en tant qu’êtres humains, envers la Nature. Cette compréhension les amène à adopter une position plus biocentrique. Loin d’être une faiblesse, la capacité que nous avons en tant qu’êtres humains, de reconnaître notre vulnérabilité face à l’état de l’environnement est plutôt une de nos plus grandes forces puisqu’elle nous vient d’une conscience réelle de notre profonde interdépendance avec la Nature. Comprendre cela sera primordial si nous désirons commencer à construire des économies et des politiques à partir d’une perspective plus féminine, dans le respect de la vie tout comme celui les droits de la personne et des droits de la Nature.   Photo : L’association « Red Latinoamericana de Mujeres en Defensa de los Derechos Sociales y Ambientales » qui dit NON aux extractivismes (Sixième rencontre de l’association, Quito, juillet 2015), Lucia Delbene-Lezama. Traduction : Valérie Martel  
Notes [1] Warren, K. J. (1996). Ecological feminist philosophies: An overview of the issues. Indiana UniversityPress, en ligne : http://www.vedegylet.hu/okopolitika/Warren%20-%20Ecofeminism%20Overview.pdf (page consultée le 2 novembre 2014) ; Stock, A. (2012). « El cambio climático desde una perspectiva de género ». Policy Paper 18. Frederich Elbert Stiftung, 31 p. [2] Mellor, M. (2000). Feminismo y ecología. Ville de Mexico : Siglo Veintiuno. [3] Warren, K. J. (1996). Op. Cit. [4] Friedman, E. (2015). Feminism under Construction. North American Congress on Latin America (NACLA). Report on the Americas, vol. 47, no 4, p. 20-25 [5] Nelson, J. A. (2009). « Between a rock and a soft place : Ecological and feminist economics in policy debates ». Ecological Economics, no. 69, p. 1-8. [6] Gudynas, E. (2015). Ecología, economía y política de un modo de entender el desarrollo y la Naturaleza. Cochabamba : CEDDIB et CLAES. [7] Colectivo CASA (Colectivo de Coordinación de Acciones Socio Ambientales) (2013). Minería con “M” de machismo Madre tierra con “M” de mujer. Percepciones femeninas sobre los impactos ambientales y los conflictos con la minería en comunidades indígenas campesinas (sistematización de diez casos). Colectivo CASA, Oruro. [8] Mellor, M. (2000). Op. Cit. [9] Wanaaleru (2014). Comunicado sobre la situación de las Mujeres Indígenas del Municipio Autana. Wanaaleru, en ligne : https://wanaaleru.wordpress.com/2014/12/11/comunicado-sobre-la-situacion-de-las-mujeres-indigenas-del-municipio-autana/ (page consultée le 17 février 2015) [10] Entrevue avec l’auteure. Cochabamba, Bolivie, 12 novembre 2014. [11] Gudynas, E. (2013). « Extracciones, Extractivismos y Extrahecciones. Un marco conceptual sobre la apropiación de recursos naturales ». Observatorio del desarrollo CLAES, no. 18 p.1-18. [12] Gudynas, E. (2014). Derechos de la naturaleza y políticas ambientales. La Paz : plusieurs éditeurs.abc

La Marche mondiale des femmes : pour la libération de nos corps et de nos territoires

Lorsqu’on entend parler pour la première fois de la Marche mondiale des femmes, les mêmes questions surviennent souvent : « Quand a-t-elle eu lieu? » « Quand se tiendra-t-elle? » Or, la Marche mondiale des femmes (MMF) n’est pas un évènement qui se tient à un endroit précis ni à un moment précis. Il s’agit d’un mouvement permanent de lutte contre le patriarcat et le capitalisme dans le monde entier depuis quinze ans. Il est composé de femmes toutes différentes, qui ont des trajectoires politiques diverses, mais qui ont en commun une chose : la recherche d’un monde plus juste pour toutes et tous. Les valeurs qui les animent sont la paix, l’égalité, la solidarité, la justice et la liberté. Bien entendu, la Marche se mobilise à quelques dates symboliques importantes comme le 8 mars, Journée internationale de la femme, ou encore le 17 octobre, Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, mais elle se mobilise aussi quotidiennement, en coordination avec les lignes d’action des mouvements critiques de la mondialisation; qui sont contre la violence et la guerre, qui font front aux changements climatiques, qui sont en faveur de la souveraineté alimentaire et qui luttent chaque jour pour défendre nos terres et nos droits. Comme l’a dit Celia Alldrige, agente de liaison du secrétariat international de la MMF de 2006 à 2013, la Marche promeut des actions féministes « de gauche, de questionnement et de transformation du système »[1]. Les militantes de la Marche sont impliquées dans des organisations composées uniquement de femmes, mais également dans des organisions mixtes (composées d’hommes et de femmes), et participent à un processus de lutte beaucoup plus large. Les groupes qui sont à la base de la MMF sont très divers et ont chacun une dynamique qui leur est propre. Aussi, nos camarades brésiliennes affirment-elles que « les actions internationales [qui sont mises en branle] sont élaborées de manière à tisser un réseau qui réunit ces différentes dynamiques à partir d’une perspective féministe, permettant ainsi de renforcer leur capacité à répondre aux contextes [tant] locaux [que] nationaux »[2]. La syndicaliste québécoise Emilia Castro indique par ailleurs que « nous sommes chacune de nous en première ligne dans notre travail, dans nos syndicats et dans nos collectivités, ce qui nous donne une énorme richesse »[3], ce qui nous permet, pour paraphraser Celia Alldrige, de construire une analyse, un regard, et par conséquent, de mener des actions qui se situent à l’échelle locale, mais qui s’intègrent dans une perspective globale[4]. Pour Sandra Moran, du Guatemala, la Marche cherche à bâtir un féminisme populaire « en tant que défi et proposition pour aider les femmes à changer leur vie et influencer les autres mouvements dans lesquels elles sont impliquées »[5]. Une autre particularité, que Miriam Nobre et Wilhelmina Trout (respectivement de la Marche du Brésil et de la Marche de l’Afrique du Sud) soulignent est que de : « s’assumer féministe n’est pas un prérequis pour adhérer à la MMF, ce que nous voulons, c’est que toutes les militantes en viennent à s’identifier au féminisme en cours de route »[6]. C’est un mouvement qui, dans ses discours comme ses pratiques, reconnait la diversité des femmes et les diverses oppressions qui les touchent. Il met toute son énergie à mettre en place les conditions favorables pour que les femmes transforment leur propre réalité. Son répertoire de mobilisations comporte des actions féministes de rue, transgressives et créatives, mais liées à des processus de formations et de réflexions basées sur une méthodologie d’éducation populaire. Malgré l’importance qu’il accorde à ce qui est local, ce mouvement appuie fortement la solidarité internationale et les alliances avec d’autres mouvements sociaux. Il cherche toujours à viser au-delà de la protestation en générant d’autres alternatives pour le monde. Jusqu’à ce que nous puissions toutes être libres : un mouvement à la croisée des chemins La MMF dénonce les nombreuses oppressions auxquelles nous devons faire face en tant que femmes (racisme, élitisme, hétérosexisme, colonialisme) et la manière dont elles se combinent avec le sexisme[7]. Selon Nalu Faria, notre identité « ne nous divise pas : elle nous fortifie. Des femmes lesbiennes aux femmes autochtones, en passant par les jeunes : il faut voir l’ensemble des relations d’oppression et créer des alternatives radicales pour la pérennité de la vie humaine »[8]. Pour Nancy Burrow, membre du premier secrétariat international au Québec, le plus grand défi de la Marche a été de créer une plate-forme commune : « trouver ce qui nous unit, ce qui est assez important afin que toutes puissent s’y identifier et aient envie de se mobiliser, tout en laissant la place à toutes les expressions nationales et régionales »[9]. Même si, dès le début, la Marche avait pour but de lutter pour éradiquer les causes de la pauvreté et de la violence, nous savons que, selon leurs contextes, ces problématiques affectent les femmes de différentes façons, ce qui implique que « chaque femme, chaque pays va combattre la pauvreté et la violence d’une manière différente », affirme Alessandra Ceregatti, du deuxième secrétariat international siégeant au Brésil[10]. C’est pour cela qu’à travers les domaines d’actions de la Marche, on tente de refléter la multiplicité des luttes des femmes à travers le monde :
  • Le Bien commun, la souveraineté alimentaire et l’accès aux ressources et à la biodiversité.
  • La paix et la démilitarisation
  • Le travail des femmes
  • La violence envers les femmes comme arme de contrôle de leur corps, de leur vie et de leur sexualité[11].
Nous avons des luttes différentes, mais aussi des luttes communes et nous savons qu’ensemble, nous sommes plus fortes. Il est important qu’à partir de nos différences, nous fassions valoir ce qui nous unit. Dans une déclaration de la Journée internationale de la femme, la Marche a affirmé que « nous sommes toutes des femmes mayas, incas et métisses guatémaltèques protégeant nos territoires – nos terres et nos corps – de l’industrie minière et hydroélectrique ; nous sommes toutes des femmes des peuples originaires du Canada faisant face à la discrimination et aux injustices auxquelles les femmes autochtones sont confrontées depuis la nuit des temps; nous sommes toutes des femmes du Mali combattant l’oppression islamique; nous sommes toutes des femmes européennes contestant les mesures d’austérités imposées par les gouvernements »[12]. La Marche est un miroir qui reflète ce que nous sommes et où l’on peut construire la solidarité entre camarades de lutte. 2015 : La quatrième action internationale de la Marche Le 8 mars 2015 a eu lieu la quatrième action internationale de la Marche. Dans la neuvième réunion internationale à Sao Paul (Brésil), en août 2013, il a été décidé de mettre l’accent sur la défense de nos terres, de nos corps et de nos territoires, ce qui a permis de :
parler des multiples aspects de la résistance, par exemple, des liens entre la militarisation, les conflits armés, le contrôle violent des ressources naturelles, l’imposition de frontières artificielles et le contrôle de la migration; des relations entre l’industrie du sexe, la migration des femmes et la militarisation; de la manière dont se manifeste le colonialisme non seulement à travers le contrôle de nos ressources naturelles, mais aussi à travers notre production industrielle et alimentaire ainsi que l’imposition d’expressions artistiques et culturelles étrangères à notre culture, notre mémoire et notre histoire; de la manière dont nous sommes colonisées et dont nous reproduisons le colonialisme au quotidien. De plus, cela nous a également permis de parler de ce que signifiait la libération de ces contrôles et de discuter des alternatives que nous avons[13].
Une caravane féministe est partie du Kurdistan turc pour se réunir avec des femmes en Grèce, dans les Balkans, en Italie, en Suisse, en Espagne, aux Pays Basques, en Galice, en France, en Belgique, en Allemagne, en Pologne, en Hongrie et en Autriche pour terminer avec une grande action au Portugal en octobre[14]. Au Brésil, des actions régionales sont mises en œuvre afin d’exiger la fin de la violence contre les femmes, en faveur de l’agroécologie, de l’économie solidaire et féministe, de la légalisation de l’avortement et de la démilitarisation. Un groupe de jeunes femmes ont filmé ce parcours qui fera l’objet du documentaire indépendant : « La fourmilière : La révolution quotidienne des femmes »[15]. Les 24 heures de solidarité féministes ont été célébrées le 24 avril dernier, avec des actions simultanées qui exigeaient justice pour les travailleuses de Rana Plaza, au Bangladesh, après l’effondrement de l’édifice où elles travaillaient. De la Tunisie au Mozambique, du Mexique au Japon, nous affirmons que Rana Plaza est partout et exigeons des conditions de travail justes et une réparation pour les victimes de cette catastrophe. Au Québec, des femmes de 17 régions se mobilisent pour résister aux politiques d’austérité qui renforcent les inégalités ; pour arrêter la destruction environnementale; pour s’opposer aux logiques militaires et à la criminalisation de la protestation; pour dénoncer les assassinats et la disparition de femmes autochtones. Après le colloque international « Libérons nos corps, notre terre et nos territoires », une caravane sillonnera les régions du Québec et s’arrêtera à Trois-Rivières le 17 octobre pour clore les actions avec un grand rassemblement final[16]. Dans le monde entier, des milliers de femmes débattent, s’organisent, se mobilisent autour d’actions de rue, dans nos communautés et dans les réseaux virtuels pour défendre nos territoires contre des projets d’extraction. Par exemple, nos collègues de Cajamarca, au Pérou (siège de la prochaine rencontre de la Marche dans la région des Amériques) se battent contre l’industrie minière toxique. En Argentine, elles ont crié : « Hors de nos terres Monsanto! » Au Brésil, des milliers de paysannes ont marché pour défendre la souveraineté alimentaire. Au Chili, elles exigent l’arrêt des plantations de monoculture. Aux États-Unis, la nouvelle coordination nationale de la Marche (Global Grassroots Justice Alliance) prend la rue pour dénoncer la guerre et les changements climatiques ainsi que pour promouvoir une économie pour les gens et pour la planète[17]. Au Guatemala, les femmes se sont jointes aux mobilisations historiques qui ont entrainé la démission du président Otto Pérez Molina qui fait aujourd’hui face à un procès pour corruption. La lutte contre les causes de la pauvreté et de la violence envers les femmes a plusieurs visages et se nourrit de la solidarité entre les frontières. Aujourd’hui, après 15 ans, nous marchons toujours, jusqu’à ce que notre terre, nos corps et nos territoires soient libres.   Photo : Rencontre régionale de femmes à Cajamarca Traduction : Valérie Martel  
Notes [1] Entrevue avec Celia Alldrige, septembre 2013. [2] Nobre, M.et de Roure, S. (2012). « La construcción de la Marcha Mundial de las Mujeres: formas organizativas y sostenimiento de nuestro movimiento ». Movimientos sociales y cooperación, 53. [3] Entrevue avec Emilia Castro, juin 2014. [4] Entrevue avec Celia Alldridge, septembre 2013. [5] Burch, S. (2013). « Feminismo popular en debate. Documento final del 9º Encuentro Internacional de la Marcha Mundial de las Mujeres », en ligne : http://www.contextolatinoamericano.com/articulos/feminismo-popular-en-debate/. [6] Nobre, M. et Wilhelmina ,T. (2008). « Feminismo en la construcción colectiva de alternativas. La Marcha Mundial de las Mujeres en el FSM ». Contexto Latinoamericano, no. 7, janvier-mars. Ville de México : Ocean Sur. [7] Marche mondiale des femmes (2008). Una década de lucha internacional feminista. 1998-2008. Sao Paulo : SOF. [8] Nalu, F. (2013). « 9no encuentro internacional de la Marcha Mundial de las Mujeres ». Sao Paulo, Brésil. Août 2013. [9] Entrevue avec Nancy Burrows, juin 2014. [10] Entrevue avec Alessandra Ceregatti, septembre 2013. [11] Marche mondiale des femmes (2008). Op. Cit. [12] Marche mondiale des femmes (2013). « Declaración de la Marcha Mundial de las Mujeres - Día Internacional de las Mujeres 2013 », en ligne : http://www.marchemondiale.org/actions/2013/declaration/es. [13] Marche mondiale des femmes (2013). « Informe del 9no Encuentro Internacional de la Marcha Mundial de las Mujeres », São Paulo, Brésil, 25 au 31 août 2013. [14] Marche mondiale des femmes (2015). « Caravane féministe 2015 », en ligne : http://www.verkami.com/projects/10679-feminist-caravan-2015. [15] Fourmilière : La révolution quotidienne des femmes, en ligne : https://beta.benfeitoria.com/formigueirofilme. [16] Marche mondiale des femmes (2015), en ligne : http://www.mmfqc.org. [17] Grassroots Global Justice Alliance (2015). « About GGJ », en ligne : http://ggjalliance.org/about.abc

Un Mur de femmes contre les oléoducs et les sables bitumineux, pour faire entendre la voix des femmes

Le Canada fait actuellement figure de cancre du climat avec le développement effréné de projets d’extraction gazière et pétrolière. Parmi ceux-ci, celui de l’extraction et du transport des sables bitumineux est actuellement le plus grand projet industriel du Canada et le plus polluant au niveau mondial. Ces dernières années ont vu naître de nombreuses mobilisations pour stopper ou freiner l’expansion de cette exploitation. Le Collectif du Mur de femmes contre les oléoducs et les sables bitumineux est né dans le cadre la Marche mondiale des femmes 2015 dont le thème est justement : « Libérons nos corps, notre Terre et nos territoires ». La première action du Collectif s’est tenue le 8 mars, jour du lancement de la Marche mondiale 2015, par une action de résistance symbolique devant la raffinerie Suncor, dans l’est de Montréal. Plus de cent cinquante personnes ont participé à cette action. Depuis, le Mur de femmes a fait son apparition dans plusieurs contextes, des conférences, des marches (dont la grande Marche Climat du 11 avril 2015), de même qu’une traversée de la rivière des Outaouais en kayaks et rabaskas le 4 juillet 2015. Lors de chacune de ses apparitions, le Mur de femmes a suscité un véritable engouement, en particulier chez les femmes, puisqu’il leur offre l’opportunité de faire entendre leur voix. À la différence des murs érigés à travers le monde pour diviser des peuples, le Mur de femmes se veut unifiant. Il s’agit d’un mur de femmes unies en tant que protectrices de la Terre Mère pour stopper les industries dévastatrices. En ce sens, le Mur est constitué du corps des femmes qu’elles utilisent collectivement et solidairement dans un acte de résistance et d’affirmation. Les objectifs de nos actions sont multiples. Tout d’abord, nous souhaitons faire entendre la voix des femmes sur l’enjeu des sables bitumineux et des oléoducs mais aussi sur la question climatique dans un sens plus large. En effet, que ce soit à Fort McMurray en Alberta, là où sont exploités les sables bitumineux, ou encore tout le long des tracés des oléoducs, des communautés entières se mobilisent. Or, bien que beaucoup de ces mouvements soient composés de femmes, elles sont peu nombreuses à prendre la parole ou à être mises de l’avant dans le milieu environnemental, dont bien des organisations et des mouvements sont dirigés par des hommes, comme cela se reflète tout particulièrement au Québec. Si nous croyons qu’encore aujourd’hui beaucoup de femmes ne se sentent pas légitimes de s’exprimer lorsqu’elles sont en présence d’hommes, nous sommes convaincues que la voix particulière qu’elles apportent est précieuse et qu’elle se doit d’être entendue. Un autre de nos objectifs principaux est d’exprimer notre solidarité avec toutes les femmes qui, d’un bout à l’autre de notre grand pays et au delà, sont affectées ou voient leurs communautés et leur environnement affecté par ce mégaprojet. Notre action fait d’ailleurs écho au « Wall of Women against Tar Sands » initié en Colombie-Britannique en mars 2014 par des femmes autochtones. Nous sommes particulièrement solidaires des femmes autochtones, elles qui sont au-devant des luttes, comme elles le sont au Canada contre l’extraction du pétrole des sables bitumineux. Nous sommes aussi en appui à toutes les femmes qui luttent depuis des années sur l’ensemble de la Terre Mère, pour défendre les territoires contre les mégaprojets industriels qui offensent leurs corps, polluent la Terre et détruisent leurs territoires. Le Collectif s’illustre aussi par les prises de parole des femmes lors de ses actions symboliques. Il ne s’agit pas seulement en effet de se faire voir mais aussi de se faire entendre! D’ailleurs, la Déclaration des femmes contre les oléoducs et les sables bitumineux est accessible en ligne sur le site de la Marche mondiale des femmes 2015 et nous vous invitons à la signer : http://www.mmfqc.org/declaration-contre-les-oleoducs N’oubliez pas que « tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous marcherons! »   Photo : Mur de femmes contre les oléoducs, 2015  
Déclaration contre les oléoducs et les sables bitumineux Mur des Femmes , Marche Mondiale des Femmes , Québec.   Nous dénonçons vivement les projets d’oléoducs et le développement effréné des énergies fossiles. Notre action fait écho au « Wall of Women against Tar Sands » initié en Colombie-Britannique en mars 2014 par des femmes autochtones. Nous nous inscrivons donc dans la défense de nos corps, notre Terre, nos territoires, d’un océan à l’autre du continent. Libérons nos corps Nous considérons inacceptable de sacrifier la santé des populations pour ce projet de sables bitumineux. Libérons notre Terre Nous dénonçons les menaces de ce mégaprojet sur l’eau potable à de nombreux endroits au Canada. Au Québec, la rivière des Outaouais, celle des Milles Iles ainsi que le fleuve Saint-Laurent sont hautement menacés de contamination. Le pétrole des sables bitumineux est extrêmement néfaste lorsqu’il se déverse dans l’environnement : il coule dans l’eau au lieu de flotter, ce qui le rend beaucoup plus difficile à récupérer. Nous dénonçons ce mégaprojet qui menace la biodiversité. Libérons nos territoires Nous dénonçons une économie basée sur l’expansion d’un secteur industriel qui perpétue des inégalités. Nous dénonçons ce secteur qui ne crée pas d’emplois adéquats pour les femmes. Les emplois générés pour elles sont précaires, moins bien rémunérés et peu nombreux. Nous dénonçons un système d’emploi fondé sur de longues absences des travailleurs de leurs familles. Ceci entraîne une hausse de la charge de travail domestique non rémunéré et une augmentation des responsabilités familiales pour de nombreuses femmes. Nous dénonçons les impacts sur les modes de vie de nombreuses communautés, dont celles qui vivent de l’agriculture. Ceci n’est pas un mur qui divise. Il se veut rassembleur des luttes plurielles et diverses. Nous sommes là, comme mur de femmes pour stopper les industries dévastatrices comme protectrices de la Terre Mère. À la différence des murs érigés à travers le monde pour diviser des peuples celui-ci se veut unifiant. Nous exigeons Nous exigeons que la protection de l’environnement et des femmes soient au cœur de toutes les décisions prises par nos gouvernements et par les municipalités dans ces dossiers. Nous exigeons que les instances chargées d’évaluer les projets prennent réellement en compte les impacts en amont et en aval dans le mégaprojet industriel des sables bitumineux. C’est-à-dire de prendre en compte les impacts de l’extraction, du raffinage, du transport, et de la consommation de ce pétrole sale non conventionnel. Nous exigeons une transformation en profondeur de notre société et un investissement massif dans les énergies renouvelables et alternatives. La Terre n’est pas un don de nos parents. Ce sont nos enfants qui nous la prêtent.abc

Éditorial

L’édition du volume 30 de la revue Caminando coïncide avec la clôture du projet Énergie, pour qui et pour quoi? (2013-2015) qui s’est intéressé aux enjeux énergétiques du Québec, tout en faisant des parallèles avec ceux de l’Amérique latine. Ce projet a été rendu possible grâce à l’appui financier du ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF), par l’entremise du Fonds d’éducation et d’engagement du public en solidarité internationale (FEEPSI). Ce Fonds est délégué à l’Association québécoise de coopération internationale (AQOCI). Cette seconde étape du projet n’aurait pu être possible sans la précieuse implication de tous les militant.e.s, collaborateurs.rices, ami.e.s et partenaires du CDHAL. Toutes ces personnes qui ont pris part au projet et aux activités ont permis de partager nos connaissances et de construire collectivement un outil pédagogique sous forme de bandes dessinées portant sur les enjeux socio-énergétiques. C’est donc à travers les rencontres des comités, la participation de chacun.e lors des tables rondes et les liens solidaires au Québec comme en Amérique latine que nous avons réalisé l’exploration du concept de « justice énergétique », fortement inspiré du concept de « souveraineté énergétique » bien connu en Amérique latine. Ce dernier cherche à répondre aux besoins des peuples et à concevoir l'énergie et le développement de manière plus inclusive, juste et durable. En ce sens, le nouveau numéro de Caminando présente les résultats visés par ce projet et formulés autour de questions portant sur le modèle énergétique dominant, et permet de mettre en lumière des enjeux qui y sont intimement rattachés. Les pétitions et les actions urgentes que le CDHAL et les autres organisations de solidarité sociale font circuler témoignent de l’ampleur de la répression de l’État contre les protestations pacifiques de la population et comment les mégaprojets énergétiques dirigés par l’avidité néolibérale sont imposés aux communautés. Autour de nous également, nous constatons les dérives des gouvernements québécois et canadiens à travers leur « chasse » aux écologistes, la loi C-51, les féminicides des communautés autochtones, les mascarades derrière lesquelles se cachent les consultations publiques, etc. Dans ce numéro, c’est la résistance féministe qui attire l’attention. Car dans bien des cas, les femmes constituent le moteur des luttes sociales pour défendre leurs droits, leurs territoires, leurs terres et créer des alternatives au modèle extractif dominant. Cette nouvelle édition de la revue est en lien avec la quatrième Action internationale, sous le thème « Libérons nos corps, notre terre et nos territoires » de la Marche mondiale des femmes (MMF), un mouvement international des actions féministes agissant pour éliminer les causes de la pauvreté et de la violence contre les femmes à travers le monde. Les textes qui suivent abordent la résistance face à la dépossession des terres qui affecte les familles, l’alimentation, la culture, la dégradation des conditions de vie des communautés et les conséquences spécifiques sur les femmes en fonction des inégalités structurelles déjà existantes, les atrocités écologiques et sociales des projets extractifs menés par des compagnies milliardaires ou des gouvernements corrompus. Les articles, les poèmes et illustrations que vous vous apprêtez à lire proviennent tous de collaboratrices et collaborateurs appartenant à différents mouvements ou organisations des Amériques. Ils illustrent la diversité des luttes à travers le continent, mais n’en sont qu’une infime partie. Nous tenons aussi à souligner l’important apport solidaire d’étudiant.e.s, de militant.e.s et de membres du CDHAL pour la traduction et la révision des textes. En espérant que les sujets traités vous indignent et vous inspirent autant que nous, bonne lecture!   Illustration : Foire des utopies, Angie Vanessita, 2014abc