Catégorie : COVID-19

Colombie, la pandémie avant la pandémie

Le dernier trimestre de 2019 a été marqué par une explosion de manifestations à travers plusieurs pays d’Amérique du Sud, lorsque la contestation est descendue dans la rue et promettait de ne pas rentrer à la maison avant d’avoir été entendue et écoutée. La Colombie n’a pas fait exception à cette vague, au contraire, elle partage tant de ces réalités, cette longue liste de revendications, tant de raisons d’élever la voix et de prendre la rue, que la question qui se posait alors était plutôt : pourquoi ce soulèvement général avait-il autant tardé ? La vérité, c’est qu’il y a en Colombie une grande dette historique concernant les aspects sociaux, et comme il n’y a pas de point de départ précis pour parler des racines de cette dette sociale, il n’y a pas non plus de consensus pour déterminer l’origine du conflit qui, pendant des décennies, a plongé la Colombie dans la douleur, le malheur et la barbarie. Ce qui est sûr, c’est que ces deux aspects se sont alimentés des restes de violences anciennes, certaines partisanes et d’autres liées aux inégalités, et qu’ensemble, ils ont mené certain·e·s dans ce pays à élever la voix, et d’autres, à prendre les armes [1]. Le 21 novembre 2019, chaque personne prit ses anciennes et nouvelles revendications et descendit dans la rue, le son des voix s’éleva, accompagné de celui des casseroles, rien de plus que cela, sauf quelques illusions. Il y avait les étudiant·e·s exigeant davantage d’investissements et le professorat réclamant le respect des engagements ; il y avait la classe des salarié·e·s qui rejetait la violente réforme du travail et des retraites. Les écologistes non plus ne manquaient pas à l’appel, condamnant haut et fort les autorisations accordées par l’État aux essais pilotes miniers de fracking, auxquels se joignirent également celles et ceux qui s’indignaient contre la privatisation des quelques entreprises nationales restantes et contre la proposition répétée de baisser davantage les impôts des grandes entreprises et des multinationales tout en imposant (encore davantage) la classe moyenne, tandis que, chaque année, la corruption coûte au pays environ 50 milliards de pesos [2]. Toutes ces dynamiques politiques ne sont pas seulement le reflet du pouvoir et des prétentions de la droite dirigeante, mais également de sa faible légitimité. De fait, ces réformes excessives et néfastes furent prononcées au nom d’un président et d’une administration dont l’approbation ne se situait à l’époque qu’à 26 % [3]. Au final, chaque secteur cherchait à réajuster ce programme selon les priorités et nécessités sociales du pays, pour créer ainsi collectivement un réel plan national, incluant tous les secteurs qui revendiquent depuis tant d’années la reconnaissance de leurs droits devant un État absent et peu garant. Ainsi, ce trimestre fut marqué par des protestations, des manifestations, des actions publiques, des tensions, le retentissement des casseroles, un couvre-feu, une véritable lutte à la corde entre les citoyen·ne·s et le gouvernement se soldant finalement par la criminalisation des manifestant·e·s, une réponse étatique aussi démesurée que dictatoriale. Le panorama politique était désespérant et sans garanties, mais, malgré la répression, un vent d’espoir parcourait le pays, s’installait sur chaque place publique, dans chaque parc, sur chaque pont où les citoyen·ne·s, rassemblé·e·s d’une seule voix, exigeaient à l’unisson un changement, un changement structurel. Et c’est ainsi que la nouvelle année naquit des entrailles de cet espoir, celui sur lequel une multitude avait parié pour rendre visibles les besoins et les inégalités, celui qui faisait jaillir ce Gran Paro Nacional (grève nationale) comme le printemps de l’indignation. Or, malheureusement, l’année 2020 avait d’autres plans pour le monde : la maladie à coronavirus, qui s’avéra être la source de la grande pandémie de ce siècle et qui secouerait chaque pays, sans faire exception de la Colombie. Cette pandémie sanitaire parcourt encore toutes les régions colombiennes, ayant laissé à ce jour derrière son passage plus de 1 399 911 cas confirmés et 38 484 mort·e·s [4]. Mais l’histoire tragique de la Colombie porte le poids d’une pandémie politique de violence qui faisait déjà rage, caractérisée par ses propres chiffres et sa propre cruauté. La violence en Colombie est un fléau virulent qui s’est propagé dans les rues des grandes villes, mais surtout dans les petites communautés autochtones, sur ces territoires appauvris et abandonnés par l’État. C’est une pandémie classiste, centraliste, qui a laissé à ce pays, selon les registres, plus de 8 millions de victimes. Ce nombre, bien au-delà d’un simple chiffre, montre l’ampleur de la pandémie de violence en Colombie. Il se décline en nombre de déplacements et de disparitions forcées, d’homicides, de tortures, de séquestrations, d’agressions physiques violentes, de vies réduites au silence, de familles détruites ; il reflète un tissu social mal en point et une société mise en morceaux [5]. Et bien que soient nombreuses les théories sans consensus sur l’origine exacte de ce malheur que nous appelons conflit armé interne, il y a une certitude quant au point culminant, la brèche dans l’histoire de ce pays où le temps s’est arrêté sur le malheur d’un peuple, et ce fut pendant les deux mandats présidentiels consécutifs d’Álvaro Uribe Vélez (2002–2010) au cours desquels on décompte le plus grand nombre de victimes de la violence armée en Colombie [6], parallèlement à une recrudescence de la guerre contre les guérillas au niveau national, pour lesquelles on a fait appel aux forces armées militaires, mais aussi, paramilitaires. Uribe est actuellement accusé d’avoir encouragé, parrainé et soutenu ces groupes paramilitaires [7]. De 2012 à 2016, le gouvernement national dirigé par Juan Manuel Santos mena des négociations de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie — armée du peuple (FARC – EP) qui, bien qu’elles n’aient pas été l’unique acteur dans ce conflit armé ni la seule guérilla, ont fini par représenter la plus grande insurrection en termes proportionnels dans le pays et qui, jusqu’à aujourd’hui, s’est renforcée comme la guérilla la plus ancienne et la plus active d’Amérique latine [8]. Entre les difficultés et les victoires, la signature obtenue dudit « accord final pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable » [9] cherchait à contribuer à l’allègement de la dette sociale, soigner les ravages de la guerre et générer des garanties pour avancer dans les transformations vers la paix et la pluralité démocratique du pays. Mais malheureusement, le Centro Democrático, parti politique représentant aujourd’hui le président Duque, se positionne par son refus de l’accord de paix [10]. De ce fait, la mise en œuvre de l’accord s’est vue entravée par des modifications, des pertes de financement, des absences de garanties politiques et des persécutions, avec à ce jour l’assassinat de plus de 200 ex-combattants signataires de l’accord [11]. Ce gouvernement n’est pas seulement irresponsable en n’honorant pas l’accord, il néglige également de fermer les possibilités de négociation avec d’autres acteurs armés, choisissant la vieille recette militariste, c’est-à-dire en privilégiant, au détriment d’investissements sociaux, l’augmentation du budget militaire, lequel s’élève à 3,1 % du PIB du pays, ce qui place la Colombie au premier rang des pays de la région avec le plus de dépenses militaires [12]. La COVID-19 a donc été un outil utile au gouvernement pour faire taire les dénonciations et les revendications sociales, l’excuse parfaite pour ne pas affronter la recrudescence de la violence ni la « mexicanisation du conflit » [13] qui positionne aujourd’hui de nouveaux acteurs qui ne cachent pas la primauté ultime de leurs intérêts économiques et qui envahissent impunément les territoires, ceux où l’absence récente des FARC n’a pas été remplacée par un soutien social de l’État, ce qui prolonge et dégrade ainsi davantage le conflit et ses cycles de violence. Ainsi, la COVID-19 n’est pas la cause de nouvelles violences en Colombie, elle aggrave seulement une réalité préexistante à sa venue sur le territoire. Sa présence a mis en lumière le fait que la violence, protéiforme, ne rôde plus camouflée à travers le pays : une fois la quarantaine établie, le nombre de dénonciations pour maltraitance intrafamiliale a doublé ; de plus, juste pour cette année, plus de 508 femmes ont été victimes de féminicide [14], chiffre qui met en doute que « rester à la maison sauve des vies ». En Colombie, ni le droit à la participation politique ni le droit à la vie ne sont respectés. Chez nous, les compteurs de la mort étaient mis en place bien avant l’avènement de la COVID. Aujourd’hui, on documente 343 cas de personnes assassinées lors de 81 massacres [15] et 289 hommes et femmes leaders assassiné·e·s en 2020 [16]. Ces vies furent emportées par la pandémie, la première, celle qui s’est installée il y a des années et qui s’y est intériorisée comme une manière de vivre, comme une réalité quotidienne. Le problème des chiffres est qu’ils enregistrent seulement un numéro : ils ne parlent pas de vies, de douleurs, de tristesses. Les chiffres racontent quelque chose, mais ne disent pas tout ; les chiffres représentent un tout, mais en dernière analyse ne parlent de personne. En Colombie, l’accent mis sur les chiffres a fait que ce pays ne compatit pas quand on parle de la mort numéro 10, 100, 1000 ou 10 000, mais celles qui connaissent la différence, ce sont les mères qui ont perdu les fils et les filles qu’a emportés cette pandémie. La douleur d’une mère ne compare pas, elle ne fait que ressentir. Le pays devrait compatir en tant que mère de tous ces mort·e·s, de tous et toutes ces disparu·e·s ; le monde devrait parler davantage de vies, de luttes et de transmission que de chiffres qui ne rappellent personne et n’humanisent en rien la barbarie. Nous, qui défendons les droits humains, quand nous parlons, nous le faisons à partir de la douleur, avec la photo d’un·e disparu·e, nous le faisons quand nous allumons une bougie, quand nous faisons appel à la mémoire, quand nous résistons aux côtés de celles et ceux qui ont tout donné et qui donneraient jusqu’à leur propre vie, car il ne leur reste même plus leur terre. Mais nous parlons aussi à partir de l’espoir, parce que nous espérons que ces compteurs s’arrêtent, que la tempête cesse et qu’arrive le calme que nous souhaitons, la paix dont on parle dans les livres et qu’étudient les universitaires, celle qui a plus à voir avec la justice sociale, dans laquelle il y a un minimum vital sans exception, des garanties pour l’accès à la santé et à une éducation digne et le droit de vivre une vie sans violences. Il est urgent que la Colombie emprunte une nouvelle voie politique affirmant son principe constitutionnel d’État social de droit, et non de droite. Une nouvelle voie qui peut renouveler les espoirs, attiser les indignations et reconnaître que la source véritable de la crise humanitaire et sociale colombienne n’est pas un virus : la COVID-19 sert simplement d’excuse pour échapper aux responsabilités, celles qui incombent véritablement à l’État et à ses corrompus, aux dirigeants d’entreprises privées et à leurs acteurs armés.   Traduction par Cécile Loriato, avec la collaboration de Martha Guttierez   Photographie: Mandalas et photographies – acte symbolique pour commémorer les victimesde la violence étatique lors d’un rassemblement du MOVICE (Mouvementnational de victimes de crimes d’État) à Barrancabermeja, Colombie. Photographie par Marcela Cardenas.  
Notes: [1] Ámbito Jurídico (2016). « Los 12 ensayos de la Comisión Histórica del Conflicto y sus Víctimas », 5 septembre, en ligne : https://www.ambitojuridico.com/noticias/informes-de-memoria-historica/constitucional-y-derechos-humanos/los-12-ensayos-de-la [2] Adelaida García, Maria et Marcela Cárdena (2019). « Algunas Razones que Motivaron el Paro Nacional en Colombia », ECAP Colombia, 27 novembre, en ligne : https://ecapcolombia.org/2019/11/algunas-razones-que-motivaron-el-paro-nacional-en-colombia/ [3] Chaves Restrepo, Mario (2019). « Aprobación del presidente Iván Duque cayó a 26 %, según la encuesta Gallup », Asuntos Legales, 7 novembre, en ligne : https://www.asuntoslegales.com.co/actualidad/aprobacion-del-presidente-ivan-duque-cayo-a-26-segun-la-encuesta-gallup-2930060 [4] Minsalud- Ministerio de Salud y Protección Social (2020). « Coronavirus (Covid-19) », en ligne : https://covid19.minsalud.gov.co/ (page consultée le 10 décembre 2020) [5] UARIV (2016). « Reparar a las 8 millones de víctimas del conflicto, desafío de toda la sociedad colombiana », 8 novembre, en ligne : https://www.unidadvictimas.gov.co/es/reparaci%C3%B3n/reparar-las-8-millones-de-v%C3%ADctimas-del-conflicto-desaf%C3%ADo-de-toda-la-sociedad-colombiana [6] UARIV (2020). « Registro Único de Víctimas », en ligne : https://www.unidadvictimas.gov.co/es/registro-unico-de-victimas-ruv/37394 (page consultée le 10 décembre 2020) [7] Soledad Betancur, María (2015). « Álvaro Uribe, las Convivir y los ejércitos paramilitares », Agencia de prensa IPC, 10 octobre, en ligne : http://www.ipc.org.co/agenciadeprensa/index.php/2015/10/16/alvaro-uribe-las-convivir-y-los-ejercitos-paramilitares/ [8] Agencia EFE (2016). « Farc : La guerrilla más antigua de América Latina que busca convertirse en partido político », El Heraldo, 16 septembre, en ligne : https://www.elheraldo.co/politica/farc-la-guerrilla-mas-antigua-de-america-latina-que-busca-convertirse-en-partido-politico [9] Acuerdo Final para la terminación del conflicto y la construcción de una paz estable y duradera. (2016, 24 novembre), en ligne : https://www.unidadvictimas.gov.co/sites/default/files/documentosbiblioteca/ nuevoacuerdofinal.pdf [10] Semana (2017). « “Hacer trizas” el acuerdo con las FARC :  ¿es posible ? », 5 août, en ligne : https://www.semana.com/nacion/articulo/uribismo-hara-trizas-acuerdo-acuerdo-con-farc-esta-blindado/524529/ [11] Semana (2020). « Van 216 excombatientes de las Farc asesinados : ¿ cómo detener esta violencia ? », 7 août, en ligne : https://www.semana.com/nacion/articulo/216-excombatientes-de-las-farc-han-sido-asesinados/685044/ [12] Paula Aristizábal Bedoya, María (2019). « El gasto militar de Colombia es el más alto de la región, supera los US$ 10.000 millones », La República, 6 septembre, en ligne : https://www.larepublica.co/globoeconomia/el-gasto-militar-de-colombia-es-el-mas-alto-de-la-region-supera-los-us10000-millones-2905034 [13] Martínez, Poly (2020). « El riesgo de “mexicanización” persigue a Colombia », ABC, 23 août, en ligne : https://www.abc.es/internacional/abci-riesgo-mexicanizacion-persigue-colombia-202008230140_noticia.html?ref=https:%2F%2Fwww.google.com%2F [14] Red Feminista Antimilitarista - Observatorio feminicidios Colombia. « Home », en ligne : https://www.observatoriofeminicidioscolombia.org/ (page consultée le 10 décembre 2020) [15] Indepaz (2020). « Informe de masacres en Colombia durante el 2020 », en ligne : http://www.indepaz.org.co/ informe-de-masacres-en-colombia-durante-el-2020/ (page consultée le 11 décembre 2020) [16] Indepaz (2020). « Líderes sociales y defensores de derechos humanos asesinados en 2020 », en ligne : http://www.indepaz.org.co/lideres/ (page consultée le 10 décembre 2020)abc

Temps de porcelaine

verglas bourrasque dégel de mort nette petit manteau panique polie devant les assainisseurs bouffée de chaleur sous les tissus synthétiques ignorer les chairs   salutations hors d’usage tendresse suspendue mains suspectes plexiglass regard étroit   légal vos agonies dans nos angles morts nous sommes des bons candidats au naufrage nous arpentons les heures hébétés surpris de la survivance nous attendons des étreintes improbables   temps de porcelaine insomnie suspendre les alarmes saccager ce qui clignote tenir à distance nos parents nos neveux neufs nos impatiences   il en pleut des cailloux sur nos têtes de faïence le printemps précipite le choc des espèces les nombres nous ignorent prisonniers de la courbe nous scrutons la crainte nouvel horizon les sapins presque noirs   temps de porcelaine Pâques redevient un festin qui nous échappe une autre assiette qui se casse au-dessus du lavabo une prière épinglée conjurer le sort la disette vos dires espoirs ébréchés drapeaux rouges aux fenêtres solitude ailes séchées allumettes retenir son souffle rester doux avec les branches   les nôtres   temps de porcelaine tendresse vivace chercher la suite entre les bourgeons les pierres croire encore dans le corps le ralentissement général ce qui fait retour en même temps que l’eauabc

Conséquences de la pandémie de COVID-19 dans la région minière de Zacatlán, Puebla (Mexique)

Les répercussions de la pandémie de COVID-19 ont déjà commencé à altérer la santé humaine et l’économie de ménages, d’entreprises et de régions entières. La région minière et touristique du Zacatlán, reconnue entre autres comme « destination la plus hospitalière du pays et meilleur village enchanteur pour une expérience culinaire au Mexique », n’est pas épargnée de cette réalité. En date du 22 octobre 2020 [1], sur une population totale de 87 692 habitant·e·s, 261 cas positifs et 33 décès liés à la COVID-19 y avaient été confirmés. Bien que les effets de la pandémie sur la santé physique des habitant·e·s du Zacatlán peuvent être observés de manière immédiate, les répercussions à moyen et long terme sur les activités économiques sont tout aussi diverses que profondes, du fait de la présence d’activités extractives en expansion sur le territoire dont les effets socioenvironnementaux se faisaient déjà sentir avant la pandémie. Exacerbées par les effets néfastes de l’extractivisme, les répercussions de la COVID-19 représentent un défi de recomposition structurelle pour le gouvernement, les entreprises et la société elle-même [2], comme le montrent les témoignages recueillis de cinq entrepreneur·e·s de la région. Zacatlán, une beauté naturelle indigène menacée par les impacts de l’extractivisme Zacatlán de las Manzanas est localisée dans la Sierra Norte de l’État de Puebla. Elle fut nommée en 2011 Pueblo Mágico (village enchanteur), une distinction spéciale octroyée par le gouvernement mexicain aux lieux touristiques les plus emblématiques du pays. Sa beauté écologique est accompagnée de sa splendeur architectonique, d’un foisonnement religieux, culturel, historique, gastronomique, et d’une diversité d’environnements permettant de recevoir plus de cinq cent mille touristes par an en moyenne [3]. En parallèle aux activités économiques centrées sur le tourisme, l’activité extractive de la mine à ciel ouvert dans la région nord-ouest de la municipalité de Zacatlán dure depuis près de 60 ans. Elle s’étend sur plus de dix zones exploitées principalement par deux entreprises aux capitaux belge et italien et une d’origine nationale qui concentrent leur activité sur la transformation de sables feldspathiques et de silicates pour l’industrie céramique [4]. Comme le soulignent Sanchez et Ortiz [5], aucune activité industrielle n’est aussi agressive environnementalement, socialement et culturellement que l’industrie minière à ciel ouvert. Il n’est plus à démontrer que l’extractivisme provoque d’immenses impacts environnementaux, parmi lesquels on retrouve des dommages à la surface de la terre, la pollution de l’air, la destruction de la croûte terrestre, la pollution des eaux de surfaces et souterraines, l’incidence sur la flore et la faune. Ainsi, l’altération de la morphologie locale est une conséquence ressentie de l’extractivisme à Puebla : la forme, la composition et la structure du sol de Zacatlán sont intimement liées à la santé des montagnes environnantes, dont proviennent les éléments nourriciers abondants tels des matières organiques, nommément l’azote, qui se détachent de la vigoureuse masse forestière qui s’y trouve. Les mines se situent en altitude et ont un impact direct différent sur les communautés selon leur emplacement. Les localités situées en « zone haute » bénéficient d’une situation géographique avantageuse : la forêt de nuages qui prédomine la majeure partie de l’année permet une alimentation continuelle en eau. Toutefois, pour les habitant·e·s des communautés de basse altitude, trois conséquences de l’activité minière et de la surexploitation forestière qui l’accompagne ont été identifiées : la diminution de l’eau destinée à la consommation humaine, l’impact climatique, avec la perte de flore et de faune sauvages qui en résulte, et un impact économique négatif résultant de la dégradation des matières premières nécessaires à la fabrication d’artisanat. Autrement dit, en amont de la pandémie, les communautés de Zacatlán étaient déjà exposées à trois types d’impacts liés à la présence des mines : sur la santé, sur l’écologie et sur l’économie. Effets synergiques néfastes de la pandémie et de l’extractivisme sur la vitalité socioéconomique à Zacatlán Les préoccupations concernant l’activité des mines s’ajoutent à celles des répercussions socioéconomiques entraînées par la COVID-19, perçues comme des conséquences à la chaîne, du fait que les différentes activités productives de la région dépendent justement de sa santé environnementale. Après 300 jours de pandémie, la santé n’est plus la préoccupation centrale à Zacatlán : à la fin de l’année 2020, avoir un revenu devient la priorité, ce qui inspire de nouveaux modèles commerciaux, de structure productive et d’intégration régionale de l’économie [6]. Par exemple, l’effet de la pandémie et du confinement sur l’activité touristique a été tel que la vente d’artisanat a dû être abandonnée, donnant lieu à une recherche d’alternatives dans l’auto-emploi, et le développement d’emplois alternatifs qui complètent le revenu familial comme l’activité associée à l’exploitation forestière. Or, ce type de renouveau entrepreneurial est limité par la contamination engendrée par l’activité minière, comme l’explique Madame Delfina Barrios Becerra, à la tête d’une entreprise d’artisanat de Zacatlán : « Les répercussions de la pandémie ont été démesurées, nous ne vendons plus […] il vaut mieux que je me dédie à autre chose […] en ce moment je lance un commerce d’alimentation, je pense qu’après la pandémie les ventes resteront faibles, pour la majorité de la communauté, il vaut mieux que nous nous engagions dans l’activité sylvicole, mais les mines nous affectent parce que nos arbres sont petits et avec leurs laveuses, les vents dispersent des particules qui couvrent le sol et les petites plantes […] quand leurs réserves d’eau sont déversées elles emportent beaucoup de sable fin de leurs déchets et cela a une incidence sur les terres. Nous nous sommes manifestés auprès de la municipalité et ils ne nous ont jamais écouté […] aujourd’hui nous nous préoccupons davantage de ce que nous allons manger que de la maladie ». La présence des mines entraîne des changements dans le paysage qui sont associés à la modification et à la diminution de leurs composantes naturelles dans la zone d’exploitation [7]. À Zacatlán, les activités sylvicoles affectées par les conditions climatiques sont l’artisanat d’ocoxal et de bois, l’élevage de truite et la croissance de la fruiticulture, particulièrement de la myrtille et de la pomme, bien qu’en plus de cela on compte également la culture d’avocat, de prune, de pêche et de poire. Madame Leticia Amador, associée dans l’élevage de truites panhueya s’est exprimée ainsi sur les liens entre les impacts engendrés par la pandémie sur son entreprise et la façon dont l’activité minière contribue aussi à menacer son existence : « La pandémie nous a largement touchés, nous avons fermé durant une saison et l’absence de tourisme a fait baisser les ventes […] le flux d’eau diminue chaque année et parfois cela est très drastique ; par exemple, d’il y a un an à la date d’aujourd’hui, il a baissé de moitié du fait de l’abattage des arbres qui est lié aux mines et l’abattage clandestin […] nous ne sentons pas que c’est de l’eau contaminée, nous la buvons, mais peut-être que cela a à voir avec la quantité d’eau que nous buvons chaque année ». L’argument de la diminution du volume de sortie d’eau de source est alarmant. À la recherche de précisions concernant cet argument, nous avons fait appel à l’associé Humberto Cruz de la coopérative de truites Tinixtioca, qui raconte : « Du fait de la pandémie, on ne peut pas vendre, seulement à l’état brut puisqu’il n’y a pas de ressources. Nous avons servi peu de clients et nous dépensons davantage en ustensiles sanitaires comme les masques, le gel, les désinfectants, nous espérons que les choses vont s’améliorer, car il n’y a pas d’argent pour couvrir les dépenses […] les mines et l’abattage des arbres ont provoqué une diminution de l’eau, ils creusent profondément et l’eau est déviée, là où ils doivent creuser ils abattent les arbres et l’eau se raréfie. Les pluies nous aident à remplir les sources, mais le flux d’eau qui alimente les truites est chaque fois plus faible ». Monsieur Humberto Ordónez du Ranch Tecuanaquito de la localité de Ayotla, se dédiant à la production de pulque pour la vente nationale et d’exportation, reconnaît que « les mines sont des entreprises transnationales et qu’elles sont bien stabilisées, elles génèrent des emplois […] mais cela nous affecte, à nous qui dépendons des ressources de la zone ». Selon Humberto : « La pandémie a tout ralenti et la commercialisation pour l’exportation est devenue très difficile, le marché s’est arrêté ainsi que notre activité et notre travail, nous avons vendu le pulque en vrac ; c’est-à-dire pour la consommation directe, mais tout le reste a été entreposé […] Sinon, nous avons commercialisé des intrants agricoles comme activité secondaire à la suite de la pandémie. J’espère que prochainement cela va se débloquer parce que nous n’en pouvons plus, il est urgent de commencer à activer la promotion du soutien aux entreprises des pueblos mágicos ». L’expansion de la région minière aggrave la crise économique engendrée par la COVID-19 La région minière n’offre pas seulement des conditions climatiques pour le développement d’activités économiques du secteur primaire, c’est aussi un espace d’attraction touristique. Or, à mesure que les mines étendent leur rayon d’action, les effets ravageurs sur la nature sont davantage perceptibles. Bien que l’activité minière soit implantée depuis plus de 60 ans, seules cinq zones d’exploitation étaient visibles en 1973 , tandis qu’en 2020, on peut identifier plus de 10 lieux dans lesquels les entreprises minières intensifient leurs activités. L’environnement naturel entourant Zacatlán a été traditionnellement exploité par des entreprises touristiques locales pour lancer des initiatives d’attraction de visiteurs. La zone des cascades de Tulimán compte parmi les lieux touristiques les plus emblématiques avec sa chute d’eau d’une hauteur de 300 mètres, la deuxième plus élevée au pays. Claudia Aguilar Morales, la responsable du marketing et des ventes de la zone a commenté sur les signes de détérioration de l’environnement causés par l’extractivisme et qui menacent l’activité économique déjà précarisée par la crise sanitaire : « La pandémie a eu des répercussions sur l’afflux de tourisme, ainsi que sur la communauté, car les emplois ont été réduits et la détérioration du parc a été évidente […] les mines de sable affectent les ressources, le fleuve, elles ravagent l’environnement, les sons forts causés par les détonations éloignent la faune, tout comme la déforestation affecte l’environnement ». Étant donné le lien étroit entre la santé environnementale et l’activité économique de la zone, le renouveau économique est freiné dans tous les secteurs d’activité traditionnels par les effets dévastateurs de l’activité minière sur l’intégrité du biome du Zacatlán. Malgré cette situation problématique, il demeure difficile de s’entretenir avec un ou une répondant·e du secteur minier. Il n’a ni été possible de s’entretenir avec des chefs d’entreprise de ce secteur, car il fallait passer par une série de protocoles pour solliciter de l’information sur l’exécution des tâches, ni de trouver de pages officielles des entreprises pour en connaître plus sur leurs activités de manière générale. Conclusions La santé et l’économie des ménages ont été bafouées à Zacatlán, où la lutte contre l’ennemi occulte qu’est la COVID-19 fait monter la grogne contre la destruction engendrée par l’extractivisme, qui fragilise le maintien d’un dynamisme économique interne et exacerbe la récession économique. Il a été documenté que les effets des mines peuvent être atténués au moyen d’une combinaison d’approches destinées à normaliser les processus, les structures et les relations minières avec des politiques et des actions adaptées aux circonstances et basées sur des incitations [8]. Il est fondamental que les petites et moyennes entreprises et le gouvernement se coordonnent, afin de faciliter les mécanismes flexibles de planification, d’utilisation et de projection territoriales de manière solidaire. Malheureusement, les communautés ne sont pas informées des projets miniers ou on les informe mal concernant les intérêts économiques en jeu [9]. Aujourd’hui plus que jamais la gestion intelligente du territoire qui implique de renforcer la relation entre espaces naturels et société, fait partie du défi pour surmonter la crise qui laissera des marques sur trois fronts au moins : la santé, la coopération économique et une nouvelle manière de faire des politiques publiques et sociales.   Traduction par Cécile Loriato avec la collaboration de Giulietta Di Mambro  
Références bibliographiques Guzmán López, Federico (2016). « Impactos ambientales causados por megaproyectos de minería a cielo abierto en el estado de Zacatecas, México », Revista de Geografía Agrícola, no. 57, p. 7-26. Ramírez-Ortiz, Jairo, Castro-Quintero, Diego Lerma-Córdoba, Carmen, Yela-Ceballos, Francisco et Escobar-Córdoba, Franklin (2020). « Consecuencias de la pandemia COVID-19 en la salud mental asociadas al aislamiento social », Colombian Journal of Anesthesiology, no. 3, p. 578-594. Serra Valdes, Miguel Ángel (2020). « Infección respiratoria aguda por COVID-19 : una amenaza evidente », Revista Habanera de Ciencias Médicas, no. 19, p. 1-5.
Notes:  [1] Gobierno de México (2020). « Covid-19 México », en ligne : https://coronavirus.gob.mx/datos/#DownZCSV (page consulté le 22 octobre 2020). [2] Organización Internacional del Trabajo-OIT (2020). « El COVID-19 y el mundo del trabajo », en ligne : https://www.ilo.org/global/topics/coronavirus/lang--es/index.htm [3] Gobierno Municipal de Zacatlán, Puebla (2019). « Informe de la Dirección de Turismo del Municipio de Zacatlán », en ligne : https://zacatlan.gob.mx/ (page consultée en octobre 2020) [4] Hernández Rodríguez De Lourdes, María et Montalvo Vargas, Ramos (2011). « El sueño incumplido : un estudio sobre la relación entre la minería a cielo abierto y en el abasto de agua en Zacatlán, Puebla », dans Bernal Mendoza, Héctor et Ramírez Valverde, Benito (dir.), Investigación interdisciplinaria para el desarrollo rural en Puebla y Tlaxcala. Puebla : COLPOS. [5] Sánchez Salinas, Enrique et Ortiz Hernández, Laura (2014). « Escenarios ambientales y sociales de la minería a cielo abierto », Inventio, no. 20, p. 27-34. [6] CEPAL-Comisión Económica Para América Latina (2020). Los Efectos Económicos y Sociales del COVID-19 en América Latina y el Caribe, Legislando para la recuperación económica frente al COVID-19, 5 juin, en ligne : https://www.cepal.org/sites/default/files/presentation/files/200605_final_presentacion_parlamericasv_alicia_barcena.pdf [7] Hernández Jatib, Naisma, Ulloa-Carcasés, Mayda, Almaguer-Carmenate, Yuri et Rosario Ferrer, Yiezenia (2014). « Evaluación ambiental asociada a la explotación del yacimiento de materiales de construcción la Inagua, Guantánamo, Cuba », Luna Azul, no. 38, p. 145-158. [8] Hammond, David, Rosales, Judith et Ouboter, Paul (2013). « Gestión del Impacto de la explotación minera a cielo abierto sobre el Agua Dulce en América Latina », Banco Interamericano de desarollo - BID, mars, en ligne : https://publications.iadb.org/publications/spanish/document/Gesti%C3%B3n-del-impacto-de-la-explotaci%C3% B3n-minera-a-cielo-abierto-sobre-el-agua-dulce-en-Am%C3%A9rica-Latina.pdf [9] La Rotta Latorre, Ángela Marcela et Torres Tovar, Mauricio (2017). « Explotación minera y sus impactos ambientales y en salud. El caso de Potosí en Bogotá », Saúde debate, no. 112, p. 77-91.abc

Solidarité avec Mamadou Konaté !

C’est en tant que personne impliquée dans le collectif de solidarité avec Mamadou Konaté qu’on m’a invitée à partager quelques mots sur la mobilisation autour de sa situation. Travailleur en Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), Mamadou a été détenu à Montréal par les services d’immigration canadiens le 16 septembre dernier et est aujourd’hui menacé de déportation. Son cas symbolique reflète la situation de milliers de personnes à statut précaire vivant au Canada, parfois depuis plusieurs années. Après avoir vu ses demandes de statut refusées, Mamadou a dû travailler et vivre dans l’ombre, mettant à risque sa santé, en acceptant de faire de l’entretien ménager dans les CHSLD dès les débuts de la pandémie, en mars 2020. Il a été atteint de la COVID en avril, et une fois guéri, il est retourné y travailler, jusqu’au 16 septembre. Ce jour-là, fatigué de vivre dans l’ombre et de subir les effets du stress engendré par un avis d’expulsion en son nom, il s’est présenté aux bureaux des services d’immigration avec son avocat afin de tenter de faire régulariser sa situation. Cette visite lui aura coûté six semaines de détention au Centre de prévention de l’immigration (CPI) de Laval, dont deux en isolement total, et ce, en pleine crise sanitaire. Compte tenu de l’impossibilité pour le service d’immigration de procéder à la déportation de notre ami Mamadou dû aux difficultés de se déplacer à l’international, ce dernier a été libéré en échange d’une caution élevée et de nombreuses conditions, dont celle de ne pas travailler et de se rapporter de manière hebdomadaire auprès des services d’immigration. Une injustice après l’autre Depuis son arrivée au Canada en 2016, Mamadou n’a eu droit qu’à la détention en guise de reconnaissance pour son travail et tous ses efforts, et ce, malgré un solide dossier de demande de résidence pour raisons humanitaires appuyé par des démarches répétées pour faire régulariser son statut. Comme tant d’autres personnes sans statut, Mamadou a travaillé dans cet univers parallèle qu’est le travail non déclaré, contribuant à faire fonctionner notre économie et notre système public pendant que la pandémie faisait rage. Dans les CHSLD, Mamadou travaillait dans les zones dites « chaudes », sur ces étages où s’entassaient les personnes âgées atteintes de la COVID-19, livrées à elles-mêmes et au peu de personnel restant sur les étages. Il a fait partie de ce groupe de travailleuses et travailleurs sans statut qui ont non seulement assuré les conditions de propreté et d’hygiène des CHSLD pendant les moments les plus forts de la pandémie, mais qui ont également socialisé avec les personnes âgées y résidant et qui les ont diverties alors que personne ne pouvait aller les visiter. « Sur les étages « chauds », la majorité des personnes qui travaillent sont des personnes sans statut, des latinos, des Africains et des Haïtiens », racontait Mamadou. Dans le cadre de cet emploi, Mamadou, comme plusieurs autres travailleurs et travailleuses migrant·e·s à statut précaire, a contracté la COVID sans avoir le droit à aucune prestation d’urgence, ni aucun soutien pour payer son loyer et ses factures, pendant les longues semaines de quarantaine, en attendant sa guérison. « Ange gardien » aujourd’hui, « déportable » demain Il est triste de constater qu’on se réjouit presque que sa situation précaire l’ait forcé à devoir travailler dans un CHSLD où il a constaté l’ampleur de l’effritement du système public de santé. Sans ce dernier poste de travail occupé jusqu’à sa détention, il n’aurait probablement pas attiré l’attention d’autant de personnes et de médias dans les derniers mois : son cas n’aurait été qu’une détention parmi tant d’autres détentions injustifiées de personnes migrantes sans statut. Le gouvernement a multiplié les déclarations sur les « anges gardiens », sur les travailleurs et travailleuses soi-disant « essentiels », et s’est dit « scandalisé » par le travail sous la table dans les CHSLD. Pourtant, le gouvernement voulait que l’économie continue de fonctionner pendant que la plupart étaient confinés en télétravail ou recevaient la prestation gouvernementale d’urgence. Ce ne furent pas des « gens d’ici » qui acceptèrent de s’entasser à plusieurs dans des fourgonnettes ou des autobus pour se rendre à l’usine de transformation, aux champs ou dans les abattoirs, alors que les mesures sanitaires nous dictaient de maintenir une distance de deux mètres et de ne voir personne. Je me souviens des paroles d’un camarade du comité Statut pour les Guinéens [1] lors d’un rassemblement durant la première vague de la pandémie, lorsqu’il parlait d’esclavage moderne et qu’il dénonçait le fait que le gouvernement soit capable d’octroyer des permis de travail qu’il renouvelle année après année, sans toutefois daigner donner un statut à ces personnes qui travaillent d’arrache-pied. « Il faut travailler, travailler », disait-il, « sans avoir le temps de penser, sans sécurité ». D’après le gouvernement, seuls les « anges gardiens » qui ont donné directement des soins sont « essentiels ». Mais comme l’a si bien dit l’ancienne juge à la Cour suprême et ancienne représentante spéciale pour les migrations du Secrétaire général des Nations Unies, Louise Harbour, « Pourquoi faudrait-il tracer la ligne ? Parce que c’est plus sympathique des gens qui ont été préposé·e·s aux bénéficiaires que des gens qui lavaient les planchers ou qui travaillaient dans des abattoirs pour que l’on puisse manger ? »[2] Nous considérons que, lorsque Mamadou coupait les buissons et mauvaises herbes autour des pylônes d’Hydro-Québec en pleine forêt, dans le nord de la province, il était aussi essentiel. Quand il travaillait dans une usine de tri de recyclage à -40 degrés Celsius à l’extérieur, il était aussi essentiel. Ceux et celles qui travaillent à la file dans les entrepôts, dans les champs, dans les usines ou dans les maisons et dans les tours de bureaux à faire de l’entretien ménager sont aussi essentiels, tout comme ces personnes à statut précaire qui ne peuvent pas travailler et qui survivent dans des conditions inacceptables, sans accès au système de santé publique ni à aucun filet social. Tout le monde est essentiel. Les impacts de cette profonde précarité liée à l’absence de statut migratoire se font ressentir de manière encore plus forte depuis le début de la pandémie, particulièrement chez les nombreuses femmes sans statut, comme le dénoncent de façon persistante les collectifs de femmes migrantes et sans statut. Cette absence de reconnaissance de la part de l’État ouvre la porte à toutes sortes d’abus et d’exploitation de la part des employeurs. Une mobilisation essentielle Dans le cadre de la mobilisation pour empêcher la déportation de Mamadou, nous dénonçons également ce système oppressif qui établit des catégories de citoyens et citoyennes, dans lequel on utilise le travail de personnes sans statut jusqu’à ce qu’on détermine que celles-ci sont jetables, remplaçables par des bonifications pour séduire et embaucher des étudiant·e·s qui accepteront de les remplacer. Nous vivons dans une société qui carbure sur le travail mal-rémunéré et précaire de milliers de personnes migrantes, nous ne pourrions pas manger si ce n’était des travailleurs·euses sans statut et des travailleurs·euses temporaires qui travaillent dans nos champs chaque été ou dans les abattoirs et dans les entrepôts pour assurer l’approvisionnement en nourriture des grandes villes canadiennes. Depuis la détention de Mamadou le 16 septembre dernier, nous avons pu compter sur le soutien et sur l’expérience de groupes et de personnes qui se mobilisent depuis des années pour défendre les droits des personnes migrantes et à statut précaire, comme Solidarité sans frontière (SSF) [3] et le Centre de travailleuses et travailleurs immigrant·e·s (CTI) [4], parmi d’autres collectifs et organisations mobilisées. Des personnes sans statut nous ont épaulé·e·s, encouragé·e·s, ont participé aux événements organisés pour Mamadou et nous ont félicité·e·s des petites victoires que nous peinions à reconnaître alors que nous tentions de faire libérer notre ami. Aujourd’hui, Mamadou est libre et parmi nous, mais sa situation reste extrêmement précaire et tient à un fil. Avec la récente annonce de l’Agence des services frontaliers du Canada voulant que les déportations reprennent dès maintenant, même si le pays entier, le monde entier est sous alerte rouge dû à la recrudescence des taux de contagion de COVID-19, combien de personnes migrantes vivent dans l’incertitude et l’angoisse ? Combien vivent ici depuis de nombreuses années en sachant que chaque jour, ils et elles risquent de recevoir la fatidique convocation aux bureaux d’immigration pour être ensuite reconduits à l’aéroport, sous haute surveillance, sans aucune reconnaissance de leur contribution à cette société, des liens d’appartenance qu’ils et elles ont construits au fil du temps ? Et maintenant ? Dans l’immédiat, nous demandons l’annulation de l’avis de déportation de Mamadou Konaté et sa régularisation immédiate par l’octroi d’un statut. Mais elle est loin d’être terminée, cette lutte qui dénonce la violence qu’exerce le système canadien, profondément raciste, colonialiste et patriarcal. Ce système s’enrichit et se maintient non seulement avec le travail sous-payé des personnes à statut précaire installées au Canada, mais également à cause des situations d’extrême instabilité qu’il contribue à générer et à perpétuer à l’étranger, notamment par l’intermédiaire de ses nombreuses compagnies minières et par la signature d’accords de libre-échange. Le Canada est complice de ces climats de violence et de précarité qui forcent les gens à se déplacer et à venir chercher ici, comme Mamadou, une vie plus paisible et plus digne. L’État perpétue les injustices en leur niant un statut légal qui leur permettrait d’être citoyen·ne·s à part entière et brime leur droit à une vie digne et leur droit à exister pleinement, peu importe le lieu où ils et elles décident de s’installer. Il en va donc de la responsabilité du Canada de leur donner un statut, à tous et à toutes, maintenant !   Pour suivre l’actualité concernant la situation de Mamadou : https://www.facebook.com/JusticepourMamadou   Photo: Courtoisie du Collectif de Solidarité avec Mamadou  
Notes:  [1] Statut pour les Guinéens. En ligne : https://www.facebook.com/statutpourlesguineens [2] El Kouri, Rima (2020). « Au-delà des anges gardiens », La Presse, 25 novembre, en ligne : https://www.lapresse.ca/actualites/2020-11-25/au-dela-des-anges-gardiens.php [3] Solidarité sans frontières. En ligne : https://www.solidarityacrossborders.org/fr/ [4] Centre des travailleurs et travailleuses immigrant·e·s. En ligne : https://iwc-cti.ca/abc

Le travail agricole saisonnier en temps de pandémie de COVID-19 au Canada

Au Canada, plusieurs travailleurs·euses (im)migrant·e·s subissent de la discrimination, comme les travailleurs·euses agricoles en provenance du Mexique, d’Amérique centrale et des Caraïbes qui entrent en sol canadien sous l’égide du Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET). Chaque année, environ 60 000 personnes arrivent au début de la saison agricole pour travailler dans des fermes au Canada. Ceci n’est pas nouveau : depuis la création du Canada, le maintien et la consolidation de l’agriculture du pays reposent considérablement sur la force de travail migrante. Or, malgré l’apport non négligeable des travailleurs·euses migrant·e·s à la sécurité alimentaire des Canadien·ne·s en raison du besoin criant de main-d’œuvre auquel ils et elles répondent, ces personnes voient leur propre vie précarisée par des politiques migratoires axées sur les besoins économiques et démographiques du pays, et n’offrant peu ou pas de protection quant à leurs droits fondamentaux. Dans ce contexte, le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) dénonce des cas de traite humaine et des situations s’apparentant à « l’esclavage moderne », et documente diverses violations aux droits des travailleurs·euses étrangers agricoles. Les contraintes établies par le PTET alimentent une situation de contrôle et de peur chez des travailleurs·euses qui affecte gravement leur qualité de vie, notamment leur santé physique et psychologique. Les revendications des travailleurs·euses et d’organisations comme le CTI remettent en question la structure du programme, en particulier la nature du statut migratoire octroyé aux travailleurs·euses, qui est la base de la précarité de leur situation au Canada. Au Québec, où la force de travail d’environ 16 000 travailleurs et travailleuses migrant·e·s est attendue chaque printemps pour combler les besoins en agriculture, la pandémie déclarée en début de saison 2020 a alarmé l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA). En effet, sans l’arrivée des travailleurs·euses temporaires, l’agro-industrie aurait connu une profonde crise. Conséquemment, en mars, après avoir officiellement fermé ses frontières, le Canada a dû faire une exception pour les travailleurs·euses étrangers temporaires. La crise sanitaire et sa gestion montrent que dans plusieurs secteurs jugés « essentiels » et qui constituent des piliers de l’économie canadienne, les employeurs exploitent la précarité de leurs travailleurs·euses. La situation des travailleurs·euses migrant·e·s, ainsi que leurs luttes et revendications, ne sont pas nouvelles. Cependant, la crise sanitaire exacerbe les inégalités auxquelles ces personnes sont confrontées. Nous aborderons les enjeux soulevés par la pandémie de COVID-19 et les actions menées auprès de divers paliers gouvernementaux afin d’exiger des conditions de vie dignes et la régularisation pour tous·tes. Nous partagerons également des réflexions sur les parcours migratoires [1] de ces personnes et les impacts des politiques économiques et migratoires canadiennes qu’elles subissent. Le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et le processus de recrutement des travailleurs·euses agricoles Le PTET existe officiellement depuis 1973 et comprend différents volets créés en réponse à la pénurie de main-d’œuvre de divers secteurs d’activité au Canada. Parmi ceux-ci, le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) octroie un permis de travail fermé stipulant que le séjour au pays dépend du maintien de l’emploi associé exclusivement à un seul employeur. Ce cadre est particulièrement contraignant et augmente la vulnérabilité aux abus et aux violations des droits en milieu de travail — ainsi, la perte d’emploi peut précariser la situation économique, sociale et juridique des travailleurs·euses étranger·e·s temporaires Les pratiques abusives vécues par les travailleurs·euses commencent dans leur pays d’origine, à travers les agences de recrutement qui agissent comme intermédiaires entre eux et leurs futurs employeurs au Canada. Ce processus requiert, entre autres, la passation d’examens physiques et médicaux très coûteux, qui exposent les travailleurs·euses à des fraudes et les oblige souvent à s’endetter. Généralement, ces personnes arrivent au Canada sans une idée claire de leurs droits ni des conditions de vie et de travail qui les attendent. De plus, étant donné la barrière linguistique, la grande majorité n’a aucun recours pour contester et dénoncer les abus subis en milieu de travail. Le peu de contrôle et de supervision du processus de recrutement de main-d’œuvre temporaire accroît leur vulnérabilisation et leur précarisation. Parmi les dénonciations recueillies auprès des travailleurs·euses, nous soulignons les situations extrêmes suivantes : rétention du passeport et du permis par l’employeur, harcèlement (psychologique et sexuel), contrôle ou interdiction de déplacements en dehors de la ferme lors des jours de congé (voire non-respect de ces derniers), insalubrité des logements, et journées de travail exagérément longues. Cette exploitation peut entraîner des problèmes physiques et psychologiques importants, bien que rarement rapportés aux agences gouvernementales responsables du maintien de la santé et de la sécurité dans les milieux de travail. Dans le cas échéant, les dénonciations arrivent rarement au bout du processus. Pour les travailleurs·euses étranger·e·s temporaires, on parle de situations d’hyper précarité (présence d’un statut et d’un emploi précaire, précarité linguistique) [2] ou de cumul de précarités (précarité du lien d’emploi, professionnelle, économique et de statut) [3]. Les défis des travailleurs·euses étranger·e·s agricoles dans le contexte de la pandémie L’accès à un logement digne est une revendication de longue date chez les travailleurs et travailleuses migrant·e·s. Or, l’insalubrité, le nombre élevé de personnes par espace habitable et les mauvaises conditions des logements font partie de leur quotidien. Depuis le début de la pandémie, l’organisation ontarienne Justice for Migrant Workers, tout comme le CTI au Québec reçoivent des plaintes liées au manque de mesures de protection sanitaire et aux difficultés à pouvoir respecter la distanciation physique au sein des milieux de travail et de vie dans les fermes. L’amélioration des pratiques de sécurité et de protection dans le secteur agricole reste un enjeu majeur, étant donné les nombreux cas d’accidents de travail et de dégradation de la santé physique et psychologique des travailleurs·euses. En temps de pandémie, de nouveaux risques et dangers se présentent pour les travailleurs·euses des secteurs jugés « essentiels ». D’ailleurs, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a reçu presque autant de plaintes durant les trois premiers mois de la pandémie (1649) qu’elle en reçoit normalement en une année [4]. Les organisations continuent à demander le renforcement des mesures d’inspection des fermes, presque inexistantes. Le danger est tel que les travailleurs·euses en provenance de la Jamaïque ont dû signer une renonciation à poursuivre le gouvernement jamaïquain sur toute dépense, perte ou dommage causés par la COVID-19 [5]. D’ailleurs, des cas de COVID-19 ont été confirmés dans des fermes dès avril en Colombie-Britannique et depuis juin au Québec. De plus, un mois après le début de la saison, le Réseau d’appui aux travailleuses et travailleurs agricoles migrant·e·s au Québec (RATAM-QC) a dénoncé qu’en raison de la pénurie de main-d’œuvre, les travailleurs·euses étaient contraint·e·s à travailler 17 à 18 heures par jour en moyenne. Après le décès de trois travailleurs étrangers mexicains des suites de la COVID-19 en juin 2020, le Canada est arrivé à un accord avec le gouvernement du Mexique pour renforcer la sécurité dans les fermes. Pour faire pression, le Mexique avait suspendu le voyage de ses ressortissant·e·s qui devaient travailler dans le secteur agricole [6]. Des inquiétudes demeurent quant aux mesures à prévoir par des gouvernements complices et responsables de multiples violations des droits des travailleurs·euses. Projet sur les causes structurelles des migrations et le pouvoir d’action des travailleurs·euses migrant·e·s Un projet d’éducation populaire [7] mené depuis 2019 a permis des rencontres de discussion avec un groupe de travailleurs agricoles provenant du Guatemala, du Mexique et du Honduras. Des réflexions mises en commun sur les réalités des parcours migratoires de ces personnes ont notamment abordé les conditions de vie qui les poussent à quitter leur pays, la situation dans leur région (économique, sociale et politique, extractive), les conditions de vie et de travail au Canada, ainsi que quelques avantages et inconvénients mitigés en raison des limites inscrites dans le programme. C’était l’occasion d’entendre leurs témoignages sur les défis pour accéder aux volets du PTET et les conditions précaires dans lesquelles ces personnes se trouvent. La plupart des travailleurs séjournent en moyenne huit mois par année au Canada : ils passent plus de temps au Canada que dans leur pays d’origine. Au fil du temps, leur situation devient insoutenable à cause de facteurs liés à leur situation socioéconomique précaire : éloignement familial, rythme intense de travail, gestion des pressions constantes de la part de l’employeur pour produire plus, etc. Sur le long terme, cette situation les affecte profondément : la plupart de ces personnes sont venues à plusieurs reprises dans le cadre du PTET et ne voient pas leurs efforts et sacrifices reconnus : « Nous gagnons notre salaire à la sueur de notre front, en nous battant. Mais ce n’est pas valorisé par les gens d’ici. Honnêtement, ils ne le valorisent pas. Parce que même si on travaille beaucoup, le patron en redemande encore le lendemain ! Il en veut plus ! Alors ils ne valorisent pas notre sacrifice, notre travail. Pour le travail que nous effectuons, ils devraient nous payer un bon salaire. Je sais aussi qu’il y a des gens bien ici. Il y a de bonnes personnes qui apprécient le travail de chacun ». Ces réflexions sur les conditions de travail et le rôle joué pour assurer la sécurité alimentaire aux Canadien·n·e·s démontrent que les travailleurs reconnaissent l’importance de leur force de travail. Pour beaucoup, le Canada est devenu une option d’emploi régulière pour soutenir leurs familles. Malgré les facteurs qui les ont poussés dans leurs parcours migratoires, ils comprennent rapidement les contraintes du PTET qui limitent leurs droits par rapport aux travailleur·euses canadien·n·e·s. Le danger d’internaliser l’exploitation et la différenciation pouvant découler des failles du programme demeure un risque — comme le laisse entendre cet extrait d’entrevue : « Je pense que le Canada est un pays qui a besoin d’employé·e·s, c’est pour cela qu’il a grandement besoin de nous. C’est donc pour cela que nous sommes ici. Je crois que nous jouons un rôle important pour l’économie canadienne, tout comme nous avons besoin de ce travail. Nous sommes importants dans ce pays, car la main-d’œuvre latino-américaine est l’une des moins chères au Canada. Un jour, avec mes collègues, nous avons analysé la situation et avons constaté que les employeurs canadiens préfèrent engager deux latinos plutôt qu’un Canadien, car un Canadien gagne ce que gagnent deux latinos. Je pense donc que c’est un avantage pour les deux parties ; nous avons besoin l’un de l’autre ». Le PTET a une finalité purement économique, avec comme moyens l’exploitation d’une main-d’œuvre moins dispendieuse, maintenue dans une situation de précarité qui accroît sa vulnérabilité. Le PTET a été conçu pour maintenir des travailleurs·euses en séjour temporaire, réduisant ainsi les obligations de l’État envers ces derniers·ères. Outre la violence de cette différenciation, et contrairement à l’idée généralisée selon laquelle le salaire de ces travailleurs et travailleuses est plus élevé que dans leur pays, les échanges ont démontré que ce n’est pas vraiment le cas. Ces personnes vivent avec le minimum et font des sacrifices pour permettre à leurs familles de vivre et d’avoir une chance d’améliorer leurs conditions : « Alors, en venant au Canada, nous gagnons un peu plus. Mais nous avons des dépenses ici aussi. Autrement dit, nous mangeons, nous nous logeons, nous payons pour tout. Nous payons pour l’assurance sociale, l’assurance médicale, les impôts fédéral et provincial. Ainsi, il nous reste très peu. Mais ceci nous aide lorsqu’on rentre chez nous ». Les travailleurs soulignent à maintes reprises le sacrifice et la souffrance de laisser leurs familles : « Voilà les raisons qui poussent quelqu’un à prendre la décision d’abandonner, pour le dire ainsi, sa famille. Nous laissons nos enfants, nos parents au Guatemala et voyageons jusqu’ici, car aujourd’hui, au Guatemala, ce n’est pas possible ; même si vous avez une bonne éducation ce n’est pas possible. Au moins, je suis diplômé, j’ai mon diplôme d’administration d’entreprises. J’ai étudié pendant des années ». Contrairement aux idées reçues, nous retrouvons parmi les travailleurs·euses des personnes ayant fait des études supérieures et néanmoins contraint·e·s à travailler sous les auspices de ce programme, faute d’autres options dans leurs pays d’origine. Ces extraits mettent en évidence que la combinaison des besoins des travailleurs·euses migrant·e·s avec un programme favorisant les abus crée des situations qui exacerbent leur vulnérabilité, d’autant plus que ce type de situation se normalise et que les conditions en situation de crise se détériorent. Les revendications historiques des travailleurs·euses migrant·e·s Dans le contexte de crise et d’urgence actuelle, la lutte pour la dignité et les droits de travailleurs·euses migrant·e·s acquiert plus de visibilité et ne peut continuer d’être ignorée. Le travail agricole est indispensable pour la reproduction de la vie. Pourtant, ce sont les travailleurs·euses étranger·e·s qui font ce travail essentiel que les Canadien·ne·s ne souhaitent pas faire. Leurs droits ne sont pas négociables, d’autant plus que ces personnes risquent leur vie pour le bien-être de la société canadienne. Sans leur courage et leur force, l’industrie agricole au Québec comme au Canada serait plongée dans une grave crise. Il est donc crucial de faire avancer la reconnaissance et le respect des droits historiquement niés aux travailleurs·euses migrant·e·s : la régularisation pour toutes les personnes ayant un statut précaire, des conditions de travail décentes et un salaire juste et digne, ainsi qu’un accès à la santé et aux prestations sociales. Leurs revendications soulèvent aussi le fait qu’il y a un écart entre la vision d’une soi-disant démocratie et la réalité d’une société divisée par les privilèges accordés selon les statuts, qu’ils soient économiques ou migratoires. Quel reflet renvoie cette réalité ? Collectivement aurons-nous le courage et la volonté de changer des situations d’injustice ? Nous espérons être capables d’améliorer ce qui doit l’être et dans un futur rapproché pouvoir dire : nous avons changé cela.   Illustration: "Accès à la santé sans discrimination" par Lucía Elsa Herrero  
Notes:  [1] Dans le cadre du projet « Les causes structurelles des migrations et le pouvoir d’action des travailleurs·euses migrant·e·s » mené par le CDHAL, le CTI et Solidarité Laurentides Amérique centrale (SLAM), financé par la Fondation Béati, le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, la Fondation Solstice, la Caisse d’économie solidaire et la Congrégation Notre-Dame. [2] Voir Frozzini, Jorge et Law, Alexandra J. (2017). Immigrant and Migrant Workers Organizing in Canada and the United States: Casework and Campaigns in a Neoliberal Era. Lanham, MD: Lexington Books. ou Lewis, H., Dwyer, P., Hodkinson, S. et Waite, L. (2015). « Hyper-precarious lives : Migrants, work and forced labour in the Global North ». Progress in Human Geography, vol. 39, no 5, p. 580·600. [3] Gravel, S. et Dubé, J. (2016). « Occupational health and safety for workers in precarious job situations: combating inequalities in the workplace ». E·Journal of International and Comparative Labour studies, vol. 5, no 3. [4] Crête, Mylène (2020). « La CNESST inondée de plaintes ». Le Devoir, 3 juillet, en ligne : https://www.ledevoir.com/societe/581962/covid·19·la·cnesst·inondee·de·plaintes [5] Mojtehedzadeh, Sara (2020). « Migrant farm workers from Jamaica are being forced to sign COVID·19 waivers ». Thestar.Com, 13 avril, en ligne :  https://www.thestar.com/business/2020/04/13/migrant·farm·workers·fear·expsure·to·covid·19.html [6] Dib, Lina et La Presse canadienne (2020). « Les employeurs négligents seront punis, affirme Justin Trudeau ». Le Devoir, 23 juin, en ligne : https://www.ledevoir.com/politique/canada/581276/covid·19·point·de·presse·trudeau·22·juin [7] Voir la note 1abc

Mourir en héros

La COVID-19 nous fera-t-elle troquer les personnages inutiles des fantaisies hollywoodiennes comme Capitaine America, Iron Man, Superman, Batman, Aquaman, pour les paysan·ne·s, pêcheurs·euses, préposé·e·s à l’entretien, employé·e·s domestiques et travailleurs·euses d’autres secteurs essentiels détenant réellement le super pouvoir de créer du bienêtre pour tous et toutes ? Évidemment, ces vrais superhéros doivent commencer par survivre, car ils et elles se meurent sans intéresser les gouvernements, malgré leurs déclarations médiatiques. Plutôt que de recevoir des médailles, les travailleurs·euses étrangers·ères temporaires, pourtant dit·e·s « essentiel·le·s », reçoivent des coups, tels l’interdiction illégale, imposée par de nombreux propriétaires de fermes au Canada, de quitter l’endroit où ils travaillent. De l’autre côté, ils et elles subissent l’oubli et le désintérêt des officiels consulaires de leurs pays d’origine, dits « exportateurs de main-d’œuvre », à un tel point que les proches de personnes décédées de la COVID-19 en Ontario ont dû organiser des collectes de fonds pour rapatrier leurs cendres. Le rôle du gouvernement du Mexique comme garant de la dignité de ses citoyen·ne·s travailleurs·euses mexicain·ne·s qui viennent dans les champs canadiens depuis 1974 a été et demeure déplorable. Depuis un demi-siècle, ce gouvernement collabore avec le régime semi-esclavagiste et d’apartheid que subissent ses concitoyen·ne·s, justifiant sa complicité par le « fait » qu’exiger des droits amènerait les employeurs à remplacer les Mexicain·e·s par d’autres travailleurs·euses. Pour la première fois, l’ambassadeur du Mexique au Canada a déclaré timidement la suspension temporaire de l’arrivée de travailleurs·euses dans les fermes où les conditions sanitaires et sécuritaires n’étaient pas en place. Le 16 juin 2020, le président Lopez Obrador a abordé le sujet des enjeux des travailleurs·euses migrant·e·s avec son homologue canadien lors d’un entretien rediffusé par les médias nationaux et internationaux [1]. Cela a amené le premier ministre à reconnaître que les choses vont mal et à prononcer ses déclarations les plus importantes à ce jour sur les travailleurs·euses étrangers·ères temporaires : « Nous savons qu’il y a beaucoup de problèmes, des conditions d’hébergement jusqu’au fait d’être lié à une seule compagnie ou un seul employeur. Il y a des défis au niveau des normes de travail qui doivent être révisées ». Dans une autre conférence de presse, il a aussi insinué : « Nous pouvons aussi explorer un passage vers la citoyenneté qui pourrait donner plus de droits aux gens ». Les agissements des gouvernements ont sûrement été motivés par la mort ainsi que le haut taux de contagion chez les travailleurs·euses agricoles, la scandaleuse inaction de la représentation diplomatique et surtout la pression constante d’organisations qui militent pour les droits des travailleurs·euses migrant·e·s étrangers·ères temporaires, telle la Dignidad Migrante Society (DIGNIDAD), active depuis 14 ans. Un statut complexe L’absence de droits a trait à différents aspects, acteurs et difficultés, mais ce sont les travailleurs·euses agricoles qui sont le plus touché·e·s. Ils et elles représentent plus de 60 % des travailleurs·euses étrangers·ères qui arrivent annuellement au Canada. On retrouve 40 % de ces personnes en Ontario, 32 % au Québec, 18 % en Colombie-Britannique, 2,6 % en Nouvelle-Écosse et le reste est réparti dans les autres provinces [2]. Selon la classification de DIGNIDAD, le Mexique compte quatre types de travailleurs·euses migrant·e·s au Canada. La majeure partie provient du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS), qui en 2019 [3], comptait 46 707 travailleurs·euses, dont 12 858 Caribéen·ne·s et 33 849 Mexicain·e·s, desquels environ vingt mille sont allé·e·s travailler en Ontario. Il existe aussi le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), qui ne garantit aucune protection ou bénéfice aux travailleurs·euses, mais qui continue à être promu par les employeurs et les recruteurs, avec la complicité des gouvernements. DIGNIDAD estime qu’au moins vingt mille personnes travaillent sous l’égide du PTET. Un troisième groupe, formé de personnes entrant au pays au moyen de visas de touriste, mais sans permis de travail, et qui travaille illégalement, compte au moins vingt mille personnes depuis les deux dernières années. Le dernier groupe est celui des sans-papiers, constitué de personnes qui fuient notamment les politiques de Trump aux États-Unis, qui sont entrées comme touristes et qui ont décidé de rester après l’échéance de leur visa. Le gouvernement mexicain n’a qu’une vague idée de ce qui se passe dans le premier groupe, ne sait pas où sont les personnes des autres groupes ni ce qu’elles font, et fait peu pour les aider. Ces données démontrent la véritable ampleur de l’abandon des travailleurs·euses étrangers·ères temporaires par les gouvernements et c’est pourquoi plusieurs se demandent : « Pourquoi aller jouer les héros si nous mourons sans droits ? » Malgré l’absence de droits, le risque de contagion, l’abandon par leurs gouvernements, etc., les travailleurs·euses viennent au Canada pour travailler. Ils et elles dépendent de ce travail pour survivre et sont obligé·e·s de le faire puisque les gouvernements n’ont pas mis de programmes en place pour les aider. « Nous appuyons l’économie des deux pays, mais quand il y a des problèmes, aucun des deux pays ne nous aide », dit amèrement Mauro Nava, de l’État du Guerrero, qui a seulement pu voyager à la mi-août. Mais ce ne sont pas seulement les personnes qui sont arrivées tardivement qui ont eu une mauvaise expérience pendant la COVID-19. Selon Sofia, travailleuse guatémaltèque qui entame sa troisième saison au Canada : « Maintenant, nous ne profitons même plus des dimanches. Avant, nous pouvions au moins nous promener dans le village. Maintenant, nous n’avons même plus le droit de sortir. Avec la COVID-19, nous sommes plus isolé·e·s que jamais ». « Et vivre coûte plus cher. Comme nous ne pouvons pas aller faire nos courses, le patron nous amène ce qu’il veut, car il n’a pas le temps de chercher les soldes. Le pire, c’est qu’on nous achète des choses que nous ne mangeons même pas. Nous avons demandé des haricots, on nous amène des haricots sucrés que nous ne n’aimons pas, nous demandons des tortillas de maïs et on nous amène des tortillas de blé qui sont plus chères, en moins grande quantité et que nous n’aimons pas beaucoup » raconte José Luis, de l’État du Chiapas. « Deux fois, on nous a amené de la viande périmée », dit Miguel de l’État de Michoacán, dans une plainte envoyée au département de l’intégrité de Service Canada afin que les travailleurs·euses puissent obtenir le droit d’aller faire leurs courses. « Sans détour, mon patron m’a dit qu’il n’allait pas me payer. Apparemment, à cause de la COVD-19, il ne sera pas payé pour certains travaux », raconte José, un touriste-travailleur de Guadalajara dans sa plainte à l’Office des normes du travail de Colombie-Britannique. Les cas sont interminables. Avant la pandémie, jamais DIGNIDAD n’avait présenté tant de plaintes pour abus au travail en si peu de temps. Bien que d’un côté, la COVID-19 ait visibilisé l’importance des travailleurs·euses étrangers·ères temporaires et les abus dont ils-elles souffrent, de l’autre, elle facilite les abus et justifie un plus grand contrôle par les employeurs. Mêmes mesures, applications variables Au Canada, même si les règles sanitaires sont les mêmes partout, elles s’appliquent différemment dans chacune des dix provinces. Par exemple, la Colombie-Britannique a contrôlé la contagion chez les travailleurs·euses étrangers·ères temporaires grâce à la pression exercée par les organisations faisant en sorte que les travailleurs·euses vont directement dans un hôtel pour effectuer leur isolement de quatorze jours avant d’être envoyé·e·s sur leurs lieux de travail. Durant l’isolement, le gouvernement provincial paie l’hébergement et la nourriture, alors que sa contrepartie fédérale leur paie minimalement 30 heures de salaire hebdomadaire. Les rapports de DIGNIDAD sur les mesures d’isolement limitées dans les fermes ont pesé lourdement sur la décision de ces procédures. Ce fut difficile à obtenir ; les gouvernements des pays d’origine et les organisations se sont rassemblés pour faire des demandes conjointes, obligeant les agriculteurs et les gouvernements à accepter leurs revendications. Pour la première fois, le gouvernement mexicain a partagé une stratégie commune avec des organisations, ce qui n’aurait pas été possible avec un gouvernement du Parti Révolutionnaire Institutionnel ou du Parti d’Action Nationale. Cependant, les choses ont été différentes dans le reste du pays. En Ontario, les employeurs amenaient directement les travailleurs·euses vers les fermes et maintes fois ont escamoté la quarantaine en les faisant travailler dès le premier jour. En conséquence, l’Ontario a connu le nombre le plus élevé de contagions de travailleurs·euses agricoles et trois sont décédés : Bonifacio Eugenio Romero et Rogelio Muñoz Santos (des touristes-travailleurs) ainsi que Juan López Chaparro, du PTAS. Mais combien ont contracté la COVID-19 dans les autres provinces et secteurs et de quelle provenance étaient-ils-elles ? Combien d’autres travailleurs·euses étrangers·ères temporaires seront retourné·e·s à leur mère patrie en cendres ? Était-il possible d’éviter ces morts ? Oui, mais l’incompétence, l’inattention, le je-m’en-foutisme ainsi que la complicité des autorités et des employeurs en sont responsables. DIGNIDAD a averti les autorités, par des communiqués publics et confidentiels, que la situation allait conduire à une hausse de contagion chez les travailleurs·euses. Ils n’ont pas écouté et en voici les conséquences. Les autorités canadiennes ont-elles échoué ? Oui, depuis plus de cinquante ans. Le premier ministre le confirme quand il dit « les travailleurs migrants ont joué un rôle crucial dans le secteur alimentaire canadien et le gouvernement doit en faire plus pour les protéger » [4]. Le consulat du Mexique à Leamington a aussi échoué, car il aurait dû secourir immédiatement ses ressortissant·e·s, mais ne l’a pas fait. Ceci fut dénoncé par un travailleur contaminé de Scottyn [5], la ferme avec le plus grand nombre de contagions, où travaillait le dernier travailleur décédé. Dieu sur YouTube « Mais on ne fait pas que se plaindre » dit Martin, travailleur de l’État de Puebla, qui ne manquait jamais les messes en espagnol. Il y a un processus de déshumanisation des relations : maintenant que les services religieux sont annulés, il fait ses prières sur YouTube ou WhatsApp. La pandémie a forcé les travailleurs·euses à en apprendre plus sur la technologie, à télécharger des applications pour envoyer de l’argent, pour des rencontres, des formations, et même des sessions de prière et d’aide psychologique. « Ce n’est pas comme se réunir en personne, mais c’est mieux que rien », assure Federico de l’État du Mexique, qui, à soixante ans, continue à venir travailler au Canada. Ce qui vient d’être décrit n’est pas facile pour les membres de DIGNIDAD : « C’était une fête de venir au bureau. C’était toujours rempli, avec de 50 à 70 travailleurs·euses dans les ateliers, nous mangions ensemble et tout. Maintenant, nous devons attendre au parc parce qu’on ne peut pas être plus de cinq à la fois au bureau » explique Ernesto, qui voyageait jusqu’à deux heures pour participer aux événements. « Que va-t-il se passer avec les fêtes ? Chaque année, nous attendions la fête des Pères, la foire de la santé, la super assemblée de l’organisation et la célébration des fêtes de l’indépendance avec des cris, du mezcal, et même un barbecue », se plaint amèrement Celeste, préposée à l’entretien. « Je vais être triste de ne pas fêter la Journée internationale des migrant·e·s, qui était la chose la plus proche d’une fête de Noël en famille que nous avions. De la bonne nourriture, de la danse et le punch qui était toujours là. C’était une vraie fête, alors que dehors il neigeait. Maintenant, qu’est-ce qu’on va faire sans ça ? » termine tristement Hediberto, qui est au Canada depuis presque trois ans. Devant l’annulation de ces événements, alors que la surpopulation, le manque d’intimité, l’équipement limité dans les cuisines et les salles de bain sont problématiques dans les lieux d’hébergement, de nouvelles difficultés surgissent, comme le stress lié à l’enfermement, l’obésité découlant de la sédentarisation forcée, l’alcoolisme, le diabète et des formes d’exploitation reliées à la technologie. Ce sont des problèmes qu’aucune application ne peut résoudre, ni même Dieu, qui maintenant se trouve dans le cyberespace. Héros sans droit Parmi les quelque dix mille travailleurs·euses agricoles venant en Colombie-Britannique chaque saison, environ 30 % ne sont pas venu·e·s en 2020 à cause de la COVID-19. Les travailleurs·euses qui sont venu·e·s ont subi des réductions d’heures et de journées de travail à cause d’une baisse de demande pour certains produits, comme les industries des fleurs et des champignons. En parallèle, les associations agricoles sonnent l’alarme d’un manque de main-d’œuvre et prédisent une crise alimentaire imminente au Canada. Des emplois sont offerts afin que des Canadien·ne·s les comblent, mais avec un taux horaire aussi bas que 14,60 $ par heure, très peu seront prêt.e.s à accomplir un des travails saisonniers les plus durs et risqués. Évidemment, en faisant autant de bruit, ces associations seront en bonne position dans leurs négociations afin que les migrant·e·s n’obtiennent pas davantage de droits et de bénéfices. Ils pourront obtenir les 2,6 milliards de dollars que la Fédération canadienne de l’agriculture a sollicités, alors que le gouvernement canadien a déjà octroyé 252 millions de dollars en aide d’urgence directe. Pendant ce temps, les travailleurs·euses essentiel·le·s ne reçoivent rien. Devant cette politique qui ne privilégie que les agriculteurs, les organisations se mobilisent avec des demandes telles que le permis de travail ouvert, le paiement de l’assurance-emploi, la participation à l’élaboration du contrat, jusqu’à l’obtention de la citoyenneté. Les demandes plus complètes se trouvent dans les lettres envoyées au premier ministre Justin Trudeau [6] ainsi que celle envoyée au premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan [7], lancées officiellement à la fête des Pères. Les travailleurs·euses migrant·e·s s’organisent toujours davantage et sont en train d’apprendre que les héros, en plus des médailles et des hommages, méritent des droits. Après un demi-siècle sans en avoir, ils-elles se disent qu’on ne peut rien obtenir en étant silencieux·euses, et encore moins morts. S’ils-elles ne cessent pas d’être invisibles pendant cette pandémie, alors quand ? Les travailleurs·euses savent qu’ils-elles doivent s’activer, parce que même les héros meurent et c’est seulement en agissant de façon coordonnée et organisée que la résilience est possible.   Traduction par Geneviève Messier Illustration par Romina Franco, 13 ans, réfugiée mexicaine à Sherbrooke  
Notes:  [1] Chapman, Leonora (2020). « México prohíbe a trabajadores temporales venir a Canadá », Radio-Canada internacional, 16 juin, en ligne : https://www.rcinet.ca/es/2020/06/16/mexico-prohibe-a-trabajadores-temporales-venir-a-canada/ [2] Cision Canada (2020). « Government of Canada expands National Commodity List to give farmers greater access to labour », 27 novembre, en ligne : https://www.newswire.ca/news-releases/government-of-canada-expands-national-commodity-list-to-give-farmers-greater-access-to-labour-815468631.html [3] Ibid. [4] Agriculture et agroalimentaire Canada (2020). « Protection de la population canadienne et des travailleurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire », Gouvernement du Canada, Communiqué de presse, 13 avril, en ligne : https://www.canada.ca/fr/agriculture-agroalimentaire/nouvelles/2020/04/protection-de-la-population-canadienne-et-des-travailleurs-de-la-chaine-dapprovisionnement-alimentaire.html [5] Dignidad Migrante (2020). « Uno de nuestro compañero nos mandó este video y nos permitió compartirlo. Trabaja en Ontario, en una granja con muchos casos positivos de coronavirus », Facebook, 9 juin, en ligne : https://www.facebook.com/watch/?v=983600948758236 [6] Dignidad Migrante (2020). « Carta al Primer Ministro, Justin Trudeau », Facebook, 19 juin, en ligne : https://www.facebook.com/dignidadmigrantesociety/photos/ms.c.eJxFztkJwAAIBNGOgq53~;42FKJrfx8gqIPeAObIogEcG1MsspHLByAEl5wOZE1sQbtBYQPRJ6sEUtgWXfgXzndAU8Rfy~;aG2s5zRRR1Ev56EAx3YWXbvFbUXTugv~;g~-~-.bps.a.3206671486224163/3206671946224117/?type=3&theater [7] Dignidad Migrante (2020). « Carta a John Horgan », Facebook, 19 juin, en ligne : https://www.facebook.com/ dignidadmigrantesociety/photos/a.3206671486224163/3206671762890802/?type=3&theaterabc

Éditorial – Mobilisations sociales et pandémie

[vc_row][vc_column width="3/6"][vc_column_text]Le contexte de la pandémie de COVID-19 a affecté tout le monde, certes, mais pas tous et toutes de la même manière. Au-delà du « ça va bien aller », elle a exacerbé les graves problématiques sociales, économiques et environnementales. Les mesures sanitaires et gouvernementales pour y faire face ont eu des impacts importants sur les droits des communautés. Dans plusieurs pays en Amérique latine, le slogan « rester chez soi », importé du Nord, qui allait soi-disant sauver des vies, a plutôt eu un effet inverse. Dans un contexte où gagner sa vie implique de sortir de chez soi, le respect de ces mesures signifie mourir de faim pour de nombreuses personnes. D’ailleurs, les décès dus à la faim, bien qu’ils soient difficiles à comptabiliser, auraient désormais dépassé ceux causés par la COVID-19. Comme toujours, le capitalisme et son corollaire, l’extractivisme, ont contourné la crise et en ont profité pour poursuivre l’exploitation illimitée de la nature et engendrer des profits astronomiques. Pendant que la pandémie impliquait la perte de proches et entraînait une avalanche de pertes d’emplois et de revenus, résultant en une augmentation de la pauvreté extrême et de la faim, la richesse des dix hommes les plus riches au monde, quant à elle, a plus que doublé. On compte un nouveau milliardaire toutes les 26 heures depuis le début de la pandémie, mais les inégalités, elles, causent la mort d’une personne toutes les 4 secondes à travers le monde[i]. En Amérique latine, de nouvelles formes de résistance sont nées devant l’absence de soutien étatique. Ce sont les mouvements sociaux et les communautés les plus touchées, avec les femmes à l’avant-plan, qui ont organisé des réseaux de solidarité et d’entraide pour répondre aux besoins de leurs concitoyen·ne·s : livraison de produits alimentaires, popotes populaires, brigades d’agent·e·s de santé communautaires, entre autres. On a travaillé à construire des plans d’autosuffisance sanitaire. Différents groupes et mouvements sociaux se sont tournés vers le virtuel pour poursuivre leurs activités et actions. Des voix sont descendues dans les rues de plusieurs pays – dont le Guatemala, la Colombie, le Chili et le Brésil – pour exprimer leur mécontentement et leur désir de changement. Présent depuis des décennies, ce mécontentement s’est exprimé haut et fort, réunissant divers secteurs de la société, entre autres les jeunes, les femmes et les peuples autochtones, ravivant les voix historiquement marginalisées et résultant en des mobilisations citoyennes sans précédent. De nombreux mégaprojets extractifs ont poursuivi leur cours, ayant été déclarés comme activités essentielles tôt après le début de la pandémie. Cette dernière s’est ajoutée à la pression déjà subie par les communautés, dont les peuples autochtones, pour défendre leurs territoires contre l’extractivisme vorace qui cherche à les transformer en région de développement pour des intérêts privés. C’est le cas, entre autres, du mégaprojet controversé et mal-nommé du Train Maya et de la minière Cuzcatlán au Mexique, qui nous sont présentés dans ce numéro. Utilisant les besoins exacerbés des populations pour redorer leur image, les entreprises extractives ont engendré des profits alors que la population traversait la pandémie en pleine sécheresse. En Colombie, un projet de réforme fiscale visant à augmenter les taxes et touchant entre autres, les produits de base, a été l’étincelle d’une grande grève nationale de huit semaines, à partir de la fin avril 2021. La colère sociale, qui grondait déjà depuis 2008, avec des mobilisations autochtones et étudiantes, a éclaté par la réponse violente du gouvernement. Malgré le vent d’espoir que les élections de mai 2022 laissent présager, un panorama d’incertitude, d’instabilité, de répression et de violence se dessine. L’instabilité politique ne laisse pas pour autant les communautés inactives. En Bolivie, des comités déjà formés à la suite du coup d’État de 2019 se sont mobilisés pour pallier l’absence de soutien de base dans un contexte de confinement strict pendant la pandémie. Malgré l’interdiction de circuler, des collectes et distributions de denrées alimentaires et de kits de médecine ancestrale ont eu lieu dans les zones périphériques de Cochabamba. Voulant garder une indépendance politique, ces actions se sont voulues être une expression de la lutte anticapitaliste, anticolonialiste et antiraciste. Au Chili, les inégalités, déjà fortement présentes, se sont accentuées avec la pandémie. La mobilisation sociale d’octobre 2019 qui mettait en lumière ces fortes inégalités a été ravivée après quelques mois de pandémie devant la colère et la faim de la population. Des initiatives de popotes populaires ont ainsi vu le jour pour répondre aux besoins de base des populations vulnérables, sous le slogan « seul le peuple aide le peuple ». L’action politique et la mobilisation se vivent également à travers des initiatives de médias numériques engagés, comme c’est le cas de RUDA femmes+territoires au Guatemala qui contribue à la lutte féministe, en tant qu’outil de contestation et de défense des territoires historiquement transgressés et épuisés par les violences multiples. Des organisations se sont également préoccupées de garder des liens étroits avec des populations marginalisées et en situation de précarité, comme c’est le cas du collectif Tajpianij à Cuetzalan au Mexique. Les voix qui se rejoignent pour former ce numéro de Caminando proviennent des quatre coins du continent et sont porteuses d’espoir en ces temps incertains. Elles témoignent de la résistance, de la créativité et de la solidarité nécessaires à la construction d’alternatives face au capitalisme destructeur et à l’extractivisme qui s’accentuent malgré un contexte aussi particulier que celui d’une pandémie mondiale. Nous vous invitons donc à parcourir les pages de ce numéro qui a été rendu possible grâce à la contribution essentielle des auteurs·trices, poètes, illustrateurs·trices, traducteurs·trices, réviseur·e·s, membres du comité éditorial et nos précieux partenaires. Nous remercions chacune des personnes pour leur implication. Nous espérons que ce numéro contribuera à une réflexion sur les inégalités préexistantes exacerbées et celles engendrées par la pandémie. Bonne lecture, Marie-Eve Marleau et Roselyne Gagnon   [i]Oxfam international (2022). « La fortune des dix hommes les plus riches du monde a doublé pendant la pandémie alors que les revenus de 99 % de la population mondiale ont été moins importants à cause de la COVID-19 », en ligne : https://www.oxfam.org/fr/communiques-presse/la-fortune-des-dix-hommes-les-plus-riches-du-monde-double-pendant-la-pandemie[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_column_text]Crédit illustration de couverture : Liana Perez[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width="1/6" css=".vc_custom_1645557528558{padding-left: 20px !important;}"][/vc_column][vc_column width="2/6"][vc_column_text]Éditorial | Marie-Eve Marleau et Roselyne Gagnon Je suis sortie dans la rue | Sharon Pringle Félix La contestation féministe sur le territoire-corps dans les médias numériques | Andrea Rodríguez, Ketzali Pérez, Marta Karina Fuentes et Lise-Anne Léveillé La pandémie dans la vallée d’Oaxaca : des communautés sans eau et une entreprise minière enrichie | Fernanda Sigüenza Vidal La solidarité en temps de pandémie avec le collectif Nuestra Olla Común | Nasya S. Razavi et Ida Peñaranda TOUT EST POSSIBLE ! Le rêve du Paro Nacional en Colombie | Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC) Je suis de la génération du ne pleure pas | Sharon Pringle Félix Résister en pandémie : les peuples autochtones mayas face au mal-nommé Train Maya | Rosalinda Hidalgo Pandémie et mobilisation sociale au Chili : éthique du soin et nouvelles perspectives | Isabel Orellana et Gabriel Poisson Nicolas Guerrero | Iván López Mouvements sociaux au Chili : écoféminisme et interculturalité | Ivette Doizi L’importance des Actions urgentes en soutien à la résistance en Amérique latine depuis le Canada | Équipe des actions urgentes du CDHAL Être autochtone, pauvre et étudiant·e face à la pandémie de 2020 et 2021. Une organisation de jeunes et la COVID à Cuetzalan, Puebla | Ignacio Rivadeneyra Résistance | Martin Pouliot[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]abc

Éditorial – Femmes, pandémie et luttes pour le territoire

[vc_row][vc_column width="3/6"][vc_column_text]Depuis l’avènement de la COVID-19, les risques encourus par quiconque ose placer les biomes et la dignité avant le profit sont encore augmentés. Au « Sud » comme au « Nord », pour certaines femmes, le décret de directives sanitaires s’est avéré absurde, tant la gestion des mesures a été déficiente et l’aide qui les accompagne a été inégalement répartie. La négligence étatique met certaines communautés à grand risque de mourir dans l’indifférence la plus totale, au sein de ces zones dites de « sacrifice ». C’est souvent à partir de ces lieux, où l’aide n’est jamais arrivée, que nous parlent les femmes protagonistes des articles qui suivent. Dans ce numéro de Caminando, ce sont des femmes défenseures et protectrices de la vie, de l’eau, de la nature, des communautés, des territoires, qui prennent la parole et racontent les multiples visages de leurs luttes. Exclusion, marginalisation, criminalisation, paupérisation, stigmatisation, violences genrées, sont les synonymes qu’elles collent à ce que nous appelons « pandémie ». Et si pour les colons du Nord, la pandémie a mis à jour le manque de solidarité et de partage qui a fait en sorte que les plus démuni·e·s sont resté·e·s dans les rues lorsqu’on chauffait des commerces et bureaux vides, ce ne fut pas le cas parmi les réseaux des défenseures des territoires. Le confinement forcé n’a pas brisé les liens et l’organisation bienveillante des femmes, incluant les femmes autochtones et migrantes. Les pages qui suivent dévoilent la façon dont ces femmes, mères, paysannes, guérisseuses ont fait appel à de multiples savoirs ancestraux pour protéger les leurs et leur territoire. Car l’injustice immonde qui suinte du creusement des inégalités a aussi une contrepartie. Voici une invitation à explorer le féminisme décolonial, et à découvrir les récits de résilience, la résurgence des cosmovisions, le renforcement des mouvements de souveraineté territoriale, la création d’une solidarité élargie entre les peuples qui luttent pour la survie de toutes les formes de vie, humaine et non-humaine. Les textes de cette œuvre collective ont été traduits et révisés avec l’intention de laisser transparaître le plus possible la culture et l’expérience des femmes collaboratrices. À l’instar de l’image de la page couverture, notre intention était de les suivre, comme complices, pour transmettre leur message avec transparence, et pouvoir ainsi s’éduquer humblement à partir de leur positionnement. Grâce à nos nombreux partenaires, la revue Caminando continue son élan de développement et touche un lectorat de plus en plus large. Nous remercions toutes les équipes, indispensables et généreuses, qui ont collaboré à concrétiser ce numéro : le comité éditorial, les traducteurs·trices, les réviseur·e·s, les artistes, l’équipe des actions urgentes et du projet migration du CDHAL, et bien sûr, les femmes défenseures elles-mêmes. Bonne lecture, Giulietta Di Mambro et Marie-Ève Marleau[/vc_column_text][vc_empty_space][vc_column_text]Crédit illustration de couverture : Leplesh[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width="1/6" css=".vc_custom_1645557528558{padding-left: 20px !important;}"][/vc_column][vc_column width="2/6"][vc_column_text]

Table des matières

Éditorial | Giulietta Di Mambro et Marie-Eve Marleau Les territoires en temps de pandémie : entre ressources et sources de savoirs | Mélisande Séguin Dialogue en défense de la Terre-Mère et de la vie : « Le combat continuera, grâce à nous, grâce aux femmes » | Audrey-Ann Allen, Maïra de Roussan, Alexandre Maheux-Diaz, Rosa Lima Peralta et Giulietta Di Mambro Découdre la crise, tisser le futur : impacts de la COVID-19 sur la vie et les luttes des défenseures mésoaméricaines des droits humains | IM-Defensoras La Hija del Pueblo | Cecilia Muriel Entrevue avec Milena Florez, présidente du Mouvement Ríos Vivos et leadeuse de AMARÚ | Natalia Perez Guérir et rêver en communauté | Entretien avec Luz Marina Escué, par Diana Potes Le peuple ne se rendra pas, carajo ! | Entrevue avec Miyela Riascos, par Jessica Ramos G. avec la collaboration de Martha Lucia Gomez Territoires, pandémie et féminismes à l’heure de la décolonisation | Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC) Ya no mas violencia | Eiling González Jimenez Les femmes autochtones du Brésil mobilisent leur force ancestrale dans la lutte pour leurs droits face à la crise de la COVID-19 | Christiane Julião Pankararu, Rosa Lima Peralta et Maïra de Roussan Réflexions d’une guerrière autochtone de l’Amazonie brésilienne sur la pandémie de COVID-19 | Entrevue avec Maria Leonice Tupari, par Kelly Russo et Rosa Lima Peralta La lutte radicale des femmes paysannes pour la vie : « Semer la résistance, contre la faim et la violence » | Entrevue avec Kelli Mafort, par Rosa Lima Peralta et Wanda Minnig, Stéphanie Doucet, Caio Santiago, Arthur Griot, Audrey-Ann Allen et Amanda Anderson de l’équipe des actions urgentes du CDHAL Kikilla | Mariela Condo Elsa Merma Ccahua : porte-parole des Andes péruviennes face à l’extractivisme et l’invisibilisation | Pamela Moya Carrera Préserver la vie dans le bassin de Puinahua : les femmes Kukama Kukamiria face à la COVID-19 dans un contexte d’exploitation pétrolière | Roxana Vergara Rodríguez rivièrerécit | Katherena Vermette Femmes pour l’eau : la résistance d’une lutte vitale | Carolina Maldonado Pinto, Cristina Ruiz Montegro, Lorena Donaire Cataldo, Maximiliano Cortés Oyanedel et Pamela Díaz Márquez La révolte d’hier nous a préparées pour celle d’aujourd’hui | Constanza C. et Stefanía V. du Comité Socioambiental de la Coordinadora Feminista 8M Le care ou la culture de la sollicitude à travers les Amériques : luttes écoféministes au Québec et au Chili | Gabriel Poisson et Isabel Orellana Chanson pour les 40 ans de Caminando | Joëlle Gauvin-Racine, Dominic Bienvenue et Giulietta Di Mambro Femmes sans statut en lutte pour la régularisation et la dignité | Comité de femmes de l’Association des travailleurs et travailleuses temporaires d’agences de placement (ATTAP) Les femmes Anishnabe répondent à l’appel de l’Odinewin | Entrevue avec Shannon Chief, par Giulietta Di Mambro, en collaboration avec Heather Shantz[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]abc

Éditorial

En ces temps sans précédent historique, qui mettent à dure épreuve les corps, les âmes, et ce qui demeure des démocraties de notre planète, nous vous présentons dans ce premier numéro du volume 35 de Caminando une collection diverse et unie de voix qui transcendent les frontières réelles et imaginaires, venant briser le silence autour des inégalités engendrées et exacerbées par l’avènement de la pandémie de COVID-19. Cette année, Caminando accueille des autrices et auteurs, des poètes, ainsi que des artistes provenant du Canada et de plusieurs pays d’Amérique latine, avec une contribution substantielle du Brésil. Comme toujours, en reflet des valeurs décoloniales grandissantes de Caminando, les textes offerts sont de perspectives, de formats et de nature variés, réunissant des plumes académiques, militantes, poétiques et littéraires, toutes engagées de façon complémentaire à nommer et à dénoncer les injustices et à poursuivre, malgré les anciens et nouveaux obstacles, cette lutte ancrée dans l’amour et l’espoir pour un monde solidaire et libre d’oppressions. Pris dans leur globalité, ces textes font saisir la réelle diversité des abus, explicites ou implicites, s’intensifiant en ces temps de pandémie chez nous comme ailleurs, mais aussi les forces qui les sous-tendent, ainsi que les fondements qui en sont la cause. Se dessine un panorama kaléidoscopique d’expériences d’oppression, selon les contextes sociopolitiques en amont de la catastrophe, qui révèlent en parallèle un portrait protéiforme de résistances, de luttes et de solidarités. Si le virus met en danger la santé physique de notre civilisation, les moyens adoptés pour sa prise en charge par les autorités publiques révèlent à leur tour la persistance du paradigme colonialiste, capitaliste et extractiviste qui continue à les orienter. C’est ainsi qu’au Canada, la crise « sanitaire » a montré à quel point les travailleurs et travailleuses migrant·e·s sont utilisé·e·s, exploité·e·s, pour leur force de travail afin d’assurer la sécurité alimentaire des Canadien·ne·s, sans contrepartie pour leur propre santé, leur sécurité, leur bien-être. Les auteurs et autrices nous montrent en quoi, dans cette pandémie de l’exploitation, les politiques canadiennes régissant le mouvement et le travail des migrant·e·s font poindre les relents d’un colonialisme esclavagiste dont elles et ils dénoncent les violations du droit à la dignité. Ceci se reproduit aussi au Mexique, où le gouvernement ferme les yeux sur les violations des droits de ses ressortissant·e·s mais aussi de ses propres citoyen·ne·s, confiné·e·s sans moyens économiques pendant que l’on permet à l’extraction minière de poursuivre ses ravages, dans une logique marchande qui met le profit avant la vie. Puis, en Colombie et au Honduras, où les régimes militaires ont impunément profité de la crise pour « faire disparaître » des défenseur·e·s des droits et faire taire les mouvements sociaux et grèves nationales par la force, c’est une pandémie de la terreur qui fait rage. Les auteurs et autrices dénoncent le colonialisme meurtrier de ces États criminels où le droit à la vie même est menacé, et où la paix peine seulement à être rêvée. Cette paix tant attendue et désirée par les peuples se trouve bloquée, étouffée, presque invalidée par l’influence de capitaux privés qui assurent la perpétuité de la violence tout en profitant du climat d’intimidation national pour violer le territoire, alimenter les conflits, extraire les ressources naturelles, déposséder la sphère politique dans sa fonction d’intendance au profit de l’accumulation de l’argent. Au Brésil et en Argentine, le négationnisme des autorités face aux conditions de vie des plus vulnérables dévoile la mise en scène d’une pandémie de négligence. L’élitisme flagrant des mesures votées pour lutter contre le virus, qui fait fi des inégalités sociales et de la diversité culturelle, révèle un colonialisme d’État encore souillé d’un racisme profond. Les auteurs et autrices brésilien·ne·s dénoncent l’inaction, les omissions et le mépris du régime, qualifié de nécropolitique, qui porte atteinte directe aux droits à la santé, à l’autodétermination et à la souveraineté territoriale des nombreux peuples autochtones. On ne manque pas, ici non plus, de souligner comment encore une fois le capital profite : des projets extractifs ont gagné le statut d’activités essentielles, ont reçu des subventions et du soutien gouvernemental pour «compenser» leurs éventuelles pertes de revenus, ont fait du marketing pour améliorer leur image, tandis que ces activités sont fréquemment responsables des éclosions de la maladie. Finalement, des autrices nous mettent en garde contre une nouvelle forme de violence, celle de l’extractivisme numérique, dont la virulence s’est décuplée avec l’avènement du virus de la COVID-19. La virtualisation déshumanisante de nos quotidiens, les nouvelles pressions pour normaliser le contrôle social par traçage numérique, la percée de l’intelligence artificielle dans nos vies, par nous et malgré nous, sont des intrusions qui rendent un tournant possible, une pandémie bio-technocratique. Au sein du climat de peur et d’incompréhension planétaires qui semble s’installer au profit de certain·e·s, les voix réunies dans ce numéro de Caminando contribuent à briser le silence sur des dynamiques socio-éco-politiques qui comptent parmi les plus sombres de la pandémie, et aussi, elles s’élèvent, limpides, pour incarner et manifester la face cachée par le discours dominant: la force de résilience, la bienveillance, la capacité d’organisation autonome des communautés, des mouvements sociaux et des sociétés civiles sont aussi des expressions tangibles des effets de la pandémie. Ces voix s’élèvent pour rappeler que derrière les chiffres et statistiques qui déshumanisent et invisibilisent les corps les plus touchés, il y a une myriade de contextes locaux et autant de vécus dont la souffrance issue de violences structurelles s’accompagne humblement d’une créativité résistante et d’une vivance nourrie par le désir d’une existence humaine signifiante, digne, sous le signe de l’interdépendance entre nous tous et toutes, avec, par et dans la Madre Tierra. L’aventure Caminando ne pourrait être possible sans le partage généreux de ces autrices, auteurs, poètes, artistes, bien sûr. Plusieurs artistes ont répondu à l’appel à illustrations offrant généreusement leur talent pour exprimer elles et eux aussi leurs visions de la pandémie et de ses effets. Nous soulignons à ce titre la participation novatrice des élèves de l’école primaire de Port Menier, à Anticosti, pour leurs contributions visuelles issues d’un atelier de discussion portant sur deux articles. Caminando continue d’exister grâce à la précieuse collaboration bénévole des personnes impliquées dans le comité éditorial, la traduction et la révision linguistique, si importantes pour faire connaître en français des voix qui se sont d’abord exprimées en espagnol et en portugais. Un merci spécial à nos partenaires financiers, qui nous permettent de poursuivre la publication de cette revue qui a célébré en 2020 ses 40 ans d’existence, et de continuer à nourrir la conscience que nous sommes d’infimes parcelles, interreliées, d’un gigantesque continuum qui a pour nom humanité. Bonne lecture!abc