Catégorie : 40 ans

« Mes salutations coloniales »

Il y a plus de 500 ans que le colonialisme occidental fait des ravages à l’échelle globale. Rappelons-nous qu’au début du XXe siècle, le colonialisme européen s’étendait sur la majeure partie de la planète et reposait autant sur une domination physique et matérielle qu’intellectuelle. Ce système, dont l’objectif premier était de s’approprier les territoires et ressources des terres colonisées, s’appuyait d’une part sur l’occupation par la force et le contrôle des territoires et populations, et d’autre part, sur la construction et la diffusion d’une conception eurocentriste de la connaissance et de la pensée visant à justifier et à rendre légitime le projet colonial. Cette vision du monde s’articulait notamment autour d’une institution très particulière, celle du racisme, qui se fonde sur un système de pensée qui hiérarchise les « races », les cultures et les sociétés de manière systématique selon des normes ethnocentristes – en l’occurrence, « occidentales ». En tant que personnes travaillant dans le milieu de la solidarité, nous souhaitons penser que nous luttons contre un raisonnement aussi violent et déshumanisant, et que nous y échappons. Pourtant, notre relation avec les pays du Sud global, sur le plan individuel tout comme collectif, est marquée par l’héritage économique, politique, culturel et intellectuel de l’impérialisme occidental. La plupart d’entre nous sommes toujours sous l’emprise de cet appareil idéologique puisque malgré nos meilleures intentions, notre perception du monde est bien souvent façonnée par la société et la culture dans lesquelles nous avons été socialisé-e-s. De ce fait, une prise de conscience de nos schémas de pensées et des comportements qui en résultent est nécessaire si nous désirons entamer une véritable remise en question de notre histoire coloniale et une transformation réelle et profonde des relations qui nous unissent aux personnes, communautés et populations racisées, marginalisées et opprimées dont nous souhaitons soutenir les luttes. Le racisme : pierre angulaire du colonialisme, légitimation de l’exploitation Le concept même de « race » comme facteur de différenciation et de hiérarchisation entre les peuples a été forgé par le racisme, dans le but de justifier l’hégémonie européenne, puis occidentale. On note d’ailleurs une évolution historique de ce processus de différenciation et de construction de l’autre en opposition avec une norme « dominante » et soi-disant supérieure. À l’origine, cette dichotomie a été fondée sur l’appartenance religieuse, selon l’axe « croyants vs hérétiques ». À partir du 17e siècle, les théories biologiques racistes, reposant sur une interprétation faussée du darwinisme, ont contribué à alimenter ce processus de différenciation. Cependant, après la Deuxième Guerre mondiale et les horreurs du nazisme, ces théories furent généralement abandonnées, du moins dans le discours dominant. Sous l’impulsion du capitalisme, l’intervention occidentale se conceptualisera désormais plutôt autour de la notion de développement, la distinction se faisant dorénavant entre « développé-e-s » et « sous-développé-e-s ». Le racisme a donc servi, dès les premières colonies en Amérique du Sud et jusqu’aux formes de néocolonialisme dont on est aujourd’hui témoin, d’outil de légitimation de la domination économique, politique, sociale et culturelle occidentale. En déshumanisant l’autre et en s’arrogeant le pouvoir de le définir, on justifiait plus facilement son asservissement et sa dépossession. Ainsi, les pays du Sud global se sont alors vus obligés de produire pour l’économie européenne au détriment de leur propre population. Ce sont les ressources et les richesses de ces colonies qui ont permis, par la suite, l’essor économique et l’industrialisation de l’Europe. Cet impératif de domination économique s’est réalisé par le biais de l’esclavage, d’évictions, de déplacements forcés, de travaux forcés et d’assassinats de masse, ainsi que par la destruction des structures politiques, religieuses et économiques des sociétés colonisées. Dans plusieurs cas, les occupants originaux des territoires saisis ont été décimés, pour ensuite être dépossédés de leurs terres désormais occupées par des colons et des esclaves amené-e-s de force. Les Occidentaux-ales ont alors commencé à occuper un statut social privilégié dans les colonies, alors que les premiers peuples étaient relégués en marge de la société dominante. Pour asseoir son pouvoir, l’appareil colonial doit générer et maîtriser les idées permettant de comprendre le monde; il s’accompagne donc d’un système de diffusion des « connaissances ». Selon ce système de pensée, la personne colonisatrice est érigée en porteuse de civilisation et de valeurs « universelles », telles que la modernité, le christianisme, le capitalisme, l’éducation à l’occidentale et la médecine dite « moderne ». La vision du monde que cela sous-entend en est une où l’on déprécie les philosophies, valeurs et systèmes de connaissances des sociétés non occidentales. Différencier, généraliser, déshumaniser l’autre Le racisme se base sur la création, par le groupe dominant, d’une division entre ce qu’il considère comme lui étant propre et ce qui lui parait étranger et différent, ce qui implique une appropriation du pouvoir de se définir et de définir l’autre. Dans ce processus de différenciation, l’Occidental-e s’érige en sujet, alors que l’humanité de l’autre est traitée comme étant moindre. L’humanité du sujet et son individualité lui sont entièrement reconnues, et on lui attribue la capacité d’agir et de penser de manière autonome sans que ses gestes et ses comportements soient attribués à des caractéristiques morales ou intellectuelles généralisées attribuées à son origine ou à sa race. En revanche, la personne racisée, subissant une objectification, se voit constamment associée à un groupe quelconque, souvent représenté comme étant homogène et esquissé en traits stéréotypés et essentialisés; elle voit ses paroles et ses actes être systématiquement appropriés et interprétés dans le discours dominant selon des caractéristiques attribuées à ce groupe par le groupe dominant. Ces caractéristiques, « observées » chez l’autre, servent à « identifier » les collectivités et les individus dans le but de délimiter les différentes sociétés et populations. En niant la capacité des personnes racisées de s’auto-définir et en remplaçant leurs voix et leurs regards sur elles-mêmes et sur le monde par un imaginaire tissé de stéréotypes et de préjugés, ces autres sont réduits à un groupe homogène. La culture dominante associe à ce groupe certaines caractéristiques et comportements sans se soucier ni du contexte, ni des personnalités, ni des histoires personnelles et collectives des personnes affectées. C’est un processus qui nie, d’une part, les identités collectives, et d’autre part, l’individualité et la subjectivité des personnes racisées. En effet, la construction de l’autre prive les communautés de leurs identités collectives en les amalgamant sans distinction en un groupe homogène identifié et défini par sa différence, tout en véhiculant l’idée que tous les individus membres d’une communauté racisée existent en fonction de traits moraux, psychiques et intellectuels essentialisés et généralisés au sein de cette communauté. Des hiérarchies mondialisées Ces relations basées sur la différence expriment des hiérarchies et des valeurs créées et reproduites à travers des relations de pouvoir aujourd’hui mondialisées. Trop souvent, les relations internationales sont définies par le regard de l’Occident, qui explique et justifie les inégalités économiques et politiques affligeant les pays du Sud global (ainsi que les interventions continues dans les affaires internes de ces pays) par le fait que ceux-ci ne seraient pas encore tout à fait modernes, progressistes et développés. Par ce discours, l’Occident réussit presque à faire oublier son passé colonial et l’impact de ses pratiques actuelles. Ce faisant, plutôt que d’entreprendre une autoréflexion collective et critique sur les causes profondes de l’inégalité dans le monde, et plutôt que de penser en termes de réparations et de restitution, l’Occident adopte une attitude paternaliste, véhiculée notamment par la mise sur pied de programmes de développement. L’inégalité est ainsi légitimée, du moins aux yeux de l’Occident, et persiste.   Ce texte est un extrait du document « Mes salutations coloniales », produit par le Projet Accompagnement Québec-Guatemala (PAQG), la version complète est disponible sur le site www.paqg.org. Nous espérons contribuer à créer des espaces de dialogue sur ces questions importantes dans le milieu de la solidarité internationale au Québec. Il s’agit d’une invitation à s’ouvrir et à remettre en questions nos perceptions, nos discours intellectuels, nos réactions émotives et nos réflexes afin d’éviter de reproduire les relations de pouvoir contre lesquelles nous luttons; somme toute, c’est un appel à s’engager à confronter le racisme et le colonialisme dans ce qu’ils ont de plus intime et personnel.abc

La solidarité internationale et le Mouvement des personnes affectées par les barrages au Brésil : l’histoire d’une pratique sociale

La lutte contre les barrages au Brésil surgit en réponse à la courante violation des droits par le biais de plans de développement menés par le gouvernement militaire pendant la dictature (1964 - 1985), qui faisaient partie des politiques au sein du soi-disant « miracle économique ». C’est pendant cette période que l’industrie de l’électricité brésilienne a établi ses fondations, en construisant environ 30 grandes centrales hydroélectriques, des travaux pharaoniques, parmi lesquelles on retrouve : Tucuruí, Solteira, Jupiá, Itaipu, Passo Fundo, Sobradinho, Itá, Machadinho et Balbina. Chacune d’entre elles, avec des conséquences sociales et environnementales irréparables. Ainsi, lutter contre les barrages à cette époque signifiait bien plus que défendre son lopin de terre, cela représentait, avec toutes les conséquences qui en découlent, une forte opposition au projet politique en question. Les entreprises étatiques créées à cette époque comptaient, outre le fort dispositif militaire de l’État, sur des services de consultation spécialisés brésiliens et d’autres pays pour l’espionnage, la répression, les arrestations, les enlèvements et les assassinats de travailleurs-euses, de syndicalistes, de dirigeant-e-s et de personnes affectées par les barrages, tel que l’illustre le cas du barrage d’Itaipu. Le mouvement social en général et le MAB s’alimentaient de la solidarité internationale pour légitimer politiquement leur lutte, en encourageant les militant-e-s, en plus de l’appui matériel. La venue de différentes délégations de solidarité provenant d’autres pays (Allemagne, Autriche, Suède, Belgique, etc.) qui ont visité les communautés affectées par les barrages représentait une force supplémentaire pour la résistance locale et avait un impact positif sur les individus et l’organisation communautaire. Le fait que ces personnes avaient le sentiment que la lutte qu’elles menaient était justifiée a influencé des secteurs du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Pour les personnes affectées par les barrages, ce climat de lutte a été extrêmement riche, puisqu’il a créé des paradigmes dans l’industrie de l’électricité, comme la relocalisation des personnes affectées par les barrages, la reconnaissance de la force de travail des femmes, les négociations collectives, etc., qui ont duré au moins 20 ans (jusqu’au début des privatisations). Les relations entre les acteurs étaient essentiellement politiques et la solidarité internationale surgit alors comme un pont entre les mouvements organisés qui se consolident dans les deux hémisphères du globe. Dans le Nord, il y a le mouvement citoyen internationaliste des années 80, avec des revendications pour qu’une partie du PIB soit investi dans la coopération. Les efforts de l’OCDE pour formaliser les relations de coopération avec les différents pays bénéficiaires de l’aide ont créé une tendance à l’institutionnalisation de ces expressions de solidarité internationale. Cet agenda de formalisation de la solidarité internationale est très influencé par le capital transnational présent dans les deux hémisphères. En fait, ces entreprises agissent dans le but de privatiser la solidarité et la coopération internationale, à travers des concepts comme celui de la responsabilité sociale ou corporative. Cette construction « patronale » de la solidarité internationale exclut complètement les organisations comme le MAB, car celles-ci réunissent au sein de leur lutte, la force de, justement, s’opposer aux mécanismes d›exclusion pris par ces entreprises, étant donné que ces mécanismes (violation des droits sociaux) contribuent aux super profits qu’ils gagnent dans le Sud. Ce que ces entreprises veulent réellement, c’est d’acheter avec des miettes (la communication sociale et la responsabilité sociale) la subordination de la communauté affectée et de la société locale. Avec la crise de la reproduction du capital mise en évidence à partir de 2008, le besoin de maximiser les valeurs de solidarité internationale a gagné de la force. Nous voyons que ce sentiment est plus élevé autant dans le Sud que dans le Nord. Nous croyons qu’actuellement, il est fondamental de multiplier les valeurs de solidarité internationale en unissant les luttes sociales de plusieurs territoires, cherchant ainsi à créer une unité entre les travailleurs et travailleuses et les personnes affectées des différents pays. Nous soulignons dans ce domaine deux efforts majeurs. L’un d’eux est la construction de la Via Campesina, mouvement paysan international, dont le MAB fait partie, une initiative globale qui réunit les paysans et paysannes de partout dans le monde vers la construction de la souveraineté alimentaire pour l’ensemble de la société (rurale et urbaine). Un deuxième effort que nous considérons important et auquel le MAB s’est également dédié est la construction et le renforcement d’organisations de personnes affectées par des barrages sur le territoire latino-américain. Cette initiative nait suite à la constatation que les violations entourant les communautés affectées, tout comme la cause de ces contradictions, sont généralement les mêmes dans tous les pays de la région. Ainsi, rien n’est plus fondamental qu’entreprendre de nouveaux processus de lutte tout en cherchant leur unification. Comme résultat de cette compréhension et de cette pratique, des organisations de base et des mouvements de personnes affectées par les barrages de plus de dix pays d’Amérique latine ont lancé en septembre de cette année, à travers un effort conjoint, le Mouvement des personnes affectées par les barrages en Amérique latine, appelé MAR, articulant ainsi les forces de ces mouvements et de ces organisations provenant de différents pays de la région. À noter que dans ces deux exemples, ce sont des valeurs de solidarité internationale, comme l’identité de classe, la fraternité entre les peuples, l›esprit d’engagement, le sens de la justice, qui mobilisent ces initiatives. Cet exercice est en grande partie un moyen de chercher à reproduire ce qu’a appris le MAB au début de ses luttes, tel que mentionné antérieurement. Pour le MAB, il faut, sans aucun doute, construire des alliances mondiales de classe, construire un nouvel internationalisme, si nous voulons que les gens retrouvent leur souveraineté face aux pouvoirs économiques et financiers des entreprises transnationales. Nous croyons qu’en ce moment historique, alors que les valeurs du capital sont fortement remises en question, la solidarité internationale doit croire de plus en plus dans les luttes populaires, les luttes de masse, celles qui sont capables de transformer les structures injustes de toute société. Eau et énergie: avec la souveraineté, la distribution de la richesse et le contrôle populaire.   Article paru le 11 février 2015 en portugais sur : https://www.kooperation-brasilien.org/de/themen/landkonflikte-umwelt/belo-monte/solidariedade-internacional-e-o-movimento-de-atingidos-as-por-barragens-do-brasil-a-historia-de-uma-pratica-social   Photo : 1 an de lutte! Un an après le pire crime socioenvironnemental de l’histoire du Brésil, la rupture d’une digue de la mine de Vale-BHP Billiton dans la ville de Mariana, dans l’État de Minas Gerais, 5 novembre 2016. Photographie de Yuri Barichivich/Greenpeace Traduction par Ana Carolina Veiga  abc

La violence au Mexique : un mal qui dure depuis longtemps

Depuis une dizaine d’années, le Mexique est marqué par un taux élevé de violence, laquelle est peu à peu passée d’épidémie à endémie. Le discours général tend à dire que la seule source, ou presque, de cette violence est le trafic de stupéfiants. Les mesures mises en place par le gouvernement de Felipe Calderón en 2006 lorsqu’il déclara la « guerre contre le trafic de stupéfiants » ont eu comme conséquence la fragmentation des cartels, ce qui, en plus des conflits pour le contrôle des territoires, a provoqué une augmentation de la violence. Ce discours semble être l’argument central du gouvernement et des principaux médias lorsqu’ils doivent commenter les causes de cet environnement violent, mais cela ne reflète qu’une minime partie d’un tableau beaucoup plus vaste et complexe. Lorsqu’il est question de la violence au Mexique, l’élément principal qui est énoncé dans toute conversation est le nombre de morts, parce qu’il est irréfutable. Selon les statistiques de l’ONU, durant les six années où Calderón était au pouvoir (2006-2012), plus de 102 000 personnes ont été assassinées, alors que durant les trois premières années du gouvernement d’Enrique Peña Nieto, les chiffres signalent déjà plus de 94 000 morts. Ces chiffres n’incluent pas les 25 000 à 30 000 personnes portées disparues. Les statistiques indiquent un taux de mortalité semblable à celui de pays qui sont constamment en conflit comme l’Irak, l’Afghanistan ou la Somalie, et à peine inférieur à celui de la Syrie. L’erreur principale lorsqu’il est question de la violence au Mexique est de présumer que tous les décès sont reliés d’une manière quelconque au trafic de stupéfiants. Ce discours est celui du gouvernement et des médias qui ne comptent que les cadavres, sans faire de distinction entre victimes et bourreaux. Pour eux, ils sont tous coupables d’une certaine manière. Lorsqu’une personne disparaît ou est assassinée, on dit toujours qu’il « devait y avoir une raison » ou qu’elle « trempait probablement dans de sales affaires », ce qui donne à la victime un certain degré de culpabilité, et même laisse entendre qu’elle méritait son sort. C’est le premier mythe qu’il faut briser : les victimes ne sont pas toutes coupables, elles n’ont pas toutes un lien avec le trafic de stupéfiants et pour celles dont c’est le cas, le droit à la vie prévaut en tant que droit optimal auquel aspire toute nation. Comment est-il possible d’affirmer que les victimes ne sont pas toutes impliquées dans le narcotrafic ? Certaines sources nous montrent que les causes associées concernent plus que le trafic de stupéfiants et viennent même d’avant la dernière décennie. Il est vrai que depuis les années 1970, le Mexique a vu son taux d’homicides diminuer (ce taux était très élevé pendant la première moitié du XXe siècle dû à la période révolutionnaire et postrévolutionnaire). Cependant, l’homicide a toujours été une des dix principales causes de décès parmi la population mexicaine. De même, le Mexique a été tristement célèbre sur le plan international en raison des centaines de cas de féminicides qui furent perpétrés pendant les années 1980 dans les villes frontalières, Ciudad Juárez ayant été le cas emblématique. Même si ces féminicides ont été contrôlés et qu’ils ont même diminué à la frontière, ils ont augmenté dans d’autres zones du pays, telles que dans les États de Mexico et de Veracruz. En outre, l’homicide n’est que le dernier maillon d’une chaîne de différents crimes comme le vol et l’enlèvement, réalités très fréquentes dans la société mexicaine. Pour distinguer la violence liée au trafic de stupéfiants des autres types, nous pouvons utiliser plusieurs catégories d’analyse. Selon moi, l’une des plus utiles est celle proposée par Elena Azaola qui fait une distinction entre la violence criminelle, devenue quotidienne au Mexique, et les autres types qu’elle nomme violences de toujours et violences structurelles[1]. Ces deux catégories sont très utiles pour démystifier le discours émergent qui décrit la violence au Mexique comme complètement dépendante du trafic de stupéfiants. Les violences de toujours Avant la dernière décennie (2006-2016), il y avait peu d’écrits à propos de la violence au Mexique. C’était un concept polysémique et ambigu. Hannah Arendt était la référence classique lorsque nous étions confrontés à ce genre de question. « Expedición a la violencia » de l’anthropologue Santiago Genovés a été une lecture importante pour les étudiant-e-s à partir du secondaire (preparatoria). Les livres qui ont récemment abordé le sujet de la violence ne comptent souvent que les morts et ne fournissent que des statistiques qui sont certes utiles, mais qui n’approfondissent aucunement les causes et les circonstances précises. Le trafic de stupéfiants n’est pas l’alpha et l’oméga de la violence. Le tout doit être analysé en parallèle avec la souffrance et les expériences de divers groupes vulnérables : enfants, personnes âgées, femmes, migrant-e-s, communauté LGBT, etc. Une grande partie de cette violence se développe au sein même de la famille. Un père de famille exploité et brimé au travail, qui gagne un salaire de miséreux et pour qui l’alcool est un remède temporaire à sa cruelle réalité, aura tendance à reproduire dans la sphère familiale la violence qui lui est infligée par la société. Cela a un impact sur sa conjointe et ses enfants qui, à leur tour, seront susceptibles de reproduire le tableau à la génération suivante. Il y a trop de groupes vulnérables au Mexique, tous susceptibles de subir de la violence pendant une ou plusieurs étapes de leur vie. La violence structurelle La violence structurelle inclut la pauvreté, l’inégalité, l’exclusion sociale et la perte de droits sociaux. Ce sont des violences infligées par un système économique, politique et social qui ne protège pas les droits des citoyen-ne-s. Ces violences sont infligées par les institutions gouvernementales qui ne protègent pas les droits, et qui défendent plutôt les intérêts des secteurs les mieux positionnés. Ces violences se propagent du haut vers le bas et, sans causer de douleur physique, favorisent l’angoisse, le stress et la souffrance de millions de citoyen-ne-s. De même, l’analyse statistique démontre que la majorité des homicides sont commis par les jeunes. Cela démontre l’incapacité de l’État d’intégrer ses jeunes citoyen-ne-s au marché du travail avec des emplois offrant des salaires et des prestations sociales respectables. Selon l’argument commun, les jeunes se consacrent au trafic de stupéfiants parce qu’ils et elles sont attiré-e-s par le luxe et l’argent facile. Si l’on considère qu’un tueur à gages a un salaire mensuel fixe inférieur à 400 dollars et qu’un enfant ou un adolescent qui donne de l’information sur les déplacements dans une zone gagne un salaire mensuel d’environ 200 à 250 dollars, la thèse de la richesse facile est inadmissible. Le trafic de stupéfiants offre le minimum : un travail mal rémunéré et sans prestation. Cependant, le gouvernement mexicain a été incapable de garantir ce minimum depuis deux décennies, moment où le « bonus démographique » était le plus élevé. Le pays est incapable de générer ne serait-ce que la moitié des millions d’emplois qu’il devrait créer chaque année. De ceux qu’il a créés, la majorité se trouve dans le secteur informel, ce qui signifie que ce sont des emplois temporaires, mal rémunérés et sans sécurité sociale. Au cours des dernières années, on a tenté de conscientiser de larges groupes de la population au fait que la perte de leurs droits est aussi une forme de violence. Même si cela paraît évident, le concept est souvent omis des discours officiels et dominants au sujet de la violence. Bien que la distinction puisse sembler claire, il faut insister sur la différence entre pauvreté et inégalité, cette dernière étant celle qui génère le plus grand conflit social. Dans une société où tous et toutes seraient également pauvres ou auraient une quantité de ressources semblable, il y aurait peu de conflits sociaux dérivant de situations violentes. L’augmentation de la violence au Mexique est postérieure à l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, dont le fonctionnement a enrichi quelques familles mexicaines et appauvri des millions de travailleurs et de travailleuses et leurs familles dû aux baisses du coût de la main-d’œuvre. C’est l’inégalité économique, caractéristique principale du capitalisme tardif, qui provoque chaque jour plus de conflits sociaux. En effet, le sentiment d’exclusion, et non la pauvreté, provoque des situations violentes dues à l’angoisse et à la frustration. Par exemple, aux États-Unis, le sentiment d’exclusion que provoque le système de santé semble être une des principales sources de conflit et de violence, comme démontré dans plusieurs productions cinématographiques de la culture populaire comme la populaire série télévisée Breaking Bad. Quel type de justice découle de la corruption et de l’impunité ? La corruption et l’impunité, responsables de l’augmentation de la violence, sont des éléments structurels du système politique mexicain. En mars dernier, la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a publié un rapport sur la situation des droits humains au Mexique. Son diagnostic était très précis : la corruption et l’impunité encouragent la violence endémique dans laquelle le pays est plongé. L’impunité est une des raisons principales pour lesquelles la violence se reproduit. Au Mexique, la population a l’impression que le coupable ne sera jamais puni, que ce soit parce que l’autorité est incompétente ou parce que l’État, incluant le système de justice, les corps policiers et ceux qui exercent des fonctions de contrôle, est corrompu[2]. Les réponses du gouvernement en matière de sécurité et de politiques publiques pourraient constituer un autre problème structurel. En déclarant la « guerre contre le trafic de stupéfiants », le gouvernement de Felipe Calderón a donné à l’armée et à la marine (dont les membres ne sont pas formés pour cela) des fonctions de protection civile et de police, ce qui a laissé des séquelles plus négatives que positives. L’accent a été mis sur ce point depuis quelques années[3]. L’armée et la marine sont formées pour des situations de guerre où la défense des droits humains, incluant le droit à la vie, n’est pas une priorité. Résultat : un taux très élevé de létalité lors des activités réalisées par ces deux groupes pour lutter contre le trafic de stupéfiants. En ce sens, le criminel n’a aucun droit, ni même à la vie. Ce mode de pensée a provoqué une série d’exécutions de civils par les forces armées. Tanhuato, Tlatlaya, de même que l’exécution d’étudiants en enseignement à Ayotzinapa sont des exemples du non-respect du droit des civils à la vie (qu’il y ait culpabilité ou non) appliqué par un vaste secteur des forces de l’ordre[4]. La fragilité institutionnelle est une autre contrainte que l’on trouve dans le système de justice national, une des instances les plus corrompues des institutions mexicaines. Le manque de confiance envers les institutions de justice est tel que seulement 7 % des crimes sont dénoncés et font l’objet d’une enquête sérieuse. Pour 1 000 crimes commis, seulement 1,4 reçoit une sanction quelconque, alors que les 998 restants demeurent impunis. Selon l’Instituto Nacional de Estadística y Geografía (Institut national de statistiques et de démographie - INEGI)[5], les citoyen-ne-s ne dénoncent pas les crimes parce que la majorité de la population croit que les policiers, le ministère public, les procureurs et les juges sont corrompus. Ainsi, le cercle vicieux de la violence continue indéfiniment grâce à l’impunité des délinquants et à la corruption des autorités. Conclusion La violence au Mexique ne se limite pas au trafic de stupéfiants. C’est un sujet qui entretient un lien direct avec le modèle économique mis en place par les gouvernements précédents et qui touche la majorité de la population et lui porte atteinte. De même, la discrimination envers des groupes vulnérables (femmes, enfants, communauté LGBT, population migrante) ne doit plus être contournée, mais plutôt occuper une place centrale dans la discussion et dans les politiques publiques nationales. Les recommandations en matière de droits humains faites par les organismes nationaux et internationaux sur les infractions et les excès constants des forces armées doivent aussi être prises en compte. Le système de justice doit être complètement repensé, travail qui a été commencé il y a quelques années, mais qui n’a toujours pas abouti sur des réformes législatives. Finalement, le plus important est de comprendre que le discours sur la violence ne doit pas porter exclusivement sur le trafic de stupéfiants, mais que celui-ci a une part plus complexe dans le discours, résultant d’un système imprégné de corruption et d’impunité. Il faut comprendre que, souvent, la violence est exercée par l’État lui-même envers ses citoyen-ne-s à travers les salaires de miséreux, le manque de sécurité sociale, les systèmes de contrôle et de justice corrompus et l’incapacité de créer des politiques d’intégration pour les groupes vulnérables. S’attaquer au phénomène de la violence sans considérer ses causes structurelles et de longue durée serait équivalent à traiter un cancer avec de l’aspirine.   Photographie prise à la ville de Mexico, Mexique, 2013. Photographie de Javier Otaola Traduction par Valérie Martel  
Références [1] Azaola, Elena (septembre-décembre 2012). « La violencia de hoy, las violencias de siempre ». Desacatos, no 40, p. 13-32. [2] Bataillon, Gilles (janvier-février 2015). « Narcotráfico y corrupción: las formas de la violencia en México en el siglo XXI ». Nueva Sociedad, no 255, p. 54-68. Buenrostro, Javier (mai 2016). « Corrupción: Un gran lastre para México ». Nueva Sociedad, en ligne : http://nuso.org/articulo/corrupcion-un-gran-lastre-para-mexico/ (page consultée en août 2016). [3] Silva, Carlos, Catalina Pérez Correa et Rodrigo Gutiérrez. « Índice de letalidad 2008-2014 : Disminuyen los enfrentamientos, misma letalidad, aumenta la opacidad » Document de travail, en ligne : http://historico.juridicas.unam.mx/novedades/letalidad.pdf (page consultée en septembre 2016). [4] Au sujet de ces trois cas, beaucoup d’encre a coulé dans les périodiques, les revues et certains sites Internet. Nous ne retiendrons ici qu’une poignée d’articles parmi cette vaste littérature. À propos de Tlatlaya : Mario Patrón (2015), « Tlatlaya : Recuento, pendientes y un riesgo latente », Nexos, en ligne : http://www.nexos.com.mx/?p=26628 (page consultée en août 2016); à propos de Tanhuato : Raúl Zepeda (2015) « Tanhuato/Ecuandureo: ¿disuasión violenta o descontrol armado? », Horizontal, en ligne : http://horizontal.mx/tanhuato-ecuandureo-disuasion-violenta-o-descontrol-armado/ (page consultée en septembre 2016); à propos d’Ayotzinapa : Javier Buenrostro (2014), « Ayotzinapa: quand la violence de l’État et celle des groupes criminalisés ont les mêmes fins », Histoire Engagée, en ligne : http://histoireengagee.ca/wp-content/uploads/2014/12/BUENROSTRO-Javier.-Ayotzinapa-quand-la....pdf (page consultée en septembre 2016). [5] Commission interaméricaine des droits humains (2015). Situación de Derechos Humanos en México, en ligne : http://www.oas.org/es/cidh/informes/pdfs/Mexico2016-es.pdf (page consultée en septembre 2016).abc

Le droit à la ville dans un site de patrimoine mondial de l’humanité : le cas du centre historique de Quito (Équateur)

Introduction Le conquistador espagnol, Sebastián de Benalcázar, a fondé la ville de Quito en 1534 sur les ruines incas à 2 850 mètres d’altitude. Spécialisée dans le commerce du textile durant la période coloniale, la ville est l’actuelle capitale de l’Équateur et se situe dans la région andine du pays. À partir des années 1940, les secteurs riches de la société ont commencé à abandonner le centre historique de Quito (CHQ) en raison de la détérioration des bâtiments, de l’infrastructure déficiente et de l’insécurité montante. L’état des habitats permettant des loyers à prix modique, les places disponibles ont rapidement été occupées par les groupes paysans et autochtones issus de l’exode rural. Cet exode massif s’explique notamment par la combinaison de trois facteurs :
  • la concentration de la propriété terrienne axée sur l’agro-exportation aux mains d’une minorité;
  • la basse productivité agricole dans les minuscules parcelles appartenant aux groupes en situation de pauvreté[1];
  • les problèmes d’accès aux services publics de qualité dans les régions rurales.
Une forte ségrégation sociospatiale a accompagné ce processus par la densification des quartiers populaires au centre, des quartiers ouvriers au sud et les ghettos de riches au nord de la ville[2]. Dans ce schéma, les habitants du CHQ cumulaient plusieurs emplois précaires et souvent informels. Ils vivaient dans des petits appartements insalubres ayant une infrastructure déficiente. En plus, les conditions économiques les obligeaient à cohabiter avec plusieurs familles et à utiliser les appartements à la fois comme un habitat et un lieu de travail, ce qui aggravait la dégradation des bâtisses. Également, la concentration d’une très grande majorité des travailleuses du sexe dans le centre historique et l’augmentation de l’insécurité ont contribué à ce que dans les imaginaires urbains, le CHQ soit associé à la pauvreté, à l’informalité et à l’insécurité publique. Implications du statut de patrimoine mondial de l’humanité et lutte pour le droit à la ville Reconnu comme un des centres historiques les plus étendus et les mieux conservés de l’Amérique hispanique, le CHQ a été déclaré en 1978 « patrimoine mondial de l’humanité » par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO)[3]. Il s’étale sur 320 hectares dont le noyau central de 54 hectares abrite de nombreux édifices représentatifs de l’architecture coloniale : civile et religieuse. Les 321 hectares restants intègrent quatorze quartiers où vivent 90 % des habitants du CHQ[4]. À partir des années 80, un changement progressif dans l’utilisation de l’espace du CHQ s’est produit à la suite du déplacement des activités financières et économiques vers le nord de la ville. Sous l’effet du boom pétrolier, une nouvelle conception d’aménagement urbain imprégnée du souci de sécurité individuelle et d’indépendance familiale s’est installée. Dans ce contexte, le pourcentage d’utilisation de l’espace du CHQ dédié aux activités commerciales axées sur le tourisme a augmenté au détriment de l’espace résidentiel. Les plans de revitalisation et la perspective des gains issus des activités touristiques ont généré une spéculation immobilière. Par conséquent, la valeur du marché a commencé à primer sur la valeur d’utilisation et certains habitants ont quitté le secteur en raison de l’augmentation excessive du prix des loyers. D’autres ont été expulsés des édifices détruits et transformés en parcs[5], cafés, restaurants ou hôtels. Le retour des ambassades[6] au CHQ qu’elles avaient quitté en raison de l’insécurité[7] [8] demeure une autre cause d’expulsion. Comme le montre la figure 2, la combinaison de ces réalités s’est traduite par une chute démographique au CHQ depuis le début des années 1990[9].   Figure 2. Chute démographique au CHQ (1990-2014) Source : élaboration de l’auteure à partir des données du Proyecto de desarrollo social del Centro histórico de Quito, Situación de salud de la población del Centro histórico (2009) et d’Ortega   À la problématique de l’habitat s’ajoute celle du commerce informel, lequel occupait 5 % de l’espace du CHQ et 30 % de ses trottoirs avant les expulsions et relocalisations des vendeurs au début des années 2000[1]0. À cette période, il existait environ 8 000 commerçants informels travaillant de manière à assurer la survie économique de leur famille (40 000 personnes) et à satisfaire les demandes de consommation de 320 000 citoyens à faible revenu[11]. En fait, il s’agit d’une occupation de l’espace public qui a des répercussions sur la circulation chaotique, la pollution visuelle et auditive; conséquemment, sur la dégradation du centre historique. Cependant, certains vendeurs informels affirment qu’ils sont maltraités par les policiers municipaux et que leur dignité n’est pas respectée. En outre, comme les petits centres commerciaux où ils sont relocalisés se trouvent loin de l’affluence quotidienne des visiteurs nationaux et internationaux[12], les profits restent insuffisants pour la survie économique. Les représentants de ces groupes estiment être « victimes de l’exclusion commerciale par un camouflage du microcommerce informel, de la pauvreté et de la précarité des commerçants »[13]. D’après ces représentants et certains anthropologues et sociologues, l’éloignement du commerce informel du CHQ s’inscrit dans les stratégies actuelles de marketing urbain. Ils pensent que les réalités des groupes exclus sur le plan socio-économique n’ont pas de place dans le décor pittoresque que la ville souhaite présenter aux touristes. De plus, dans une perspective d’intervention axée sur la muséisation du centre historique, la primauté est donnée au patrimoine matériel au détriment du patrimoine immatériel composé des pratiques socioculturelles de la population locale. En effet, la Banque interaméricaine de développement (BID), qui accorde du soutien financier aux plans de revitalisation, considère le tourisme comme le secteur clé du développement du CHQ. Elle qualifie l’éloignement des vendeurs informels comme une condition pour assurer l’implication du secteur privé et la durabilité économique de la revitalisation[14]. Par ailleurs, parmi les rares initiatives en faveur du développement social figure le programme En marcha. Mis en place par la Municipalité de Quito en 2015 grâce à l’appui financier du Programme des Nations unies pour le développement, il vise à soutenir les micro et petites entreprises du CHQ pour moderniser leurs locaux, leurs stratégies de marketing et diversifier leur offre[15]. Ce programme cible les commerçants du secteur formel qui ne sont pas nécessairement résidents du CHQ. Considérations finales Dans les imaginaires urbains, le CHQ est associé à la pauvreté, à l’informalité et à l’insécurité publique même si ce ne sont pas des réalités intrinsèques au CHQ. Cette association a facilité la criminalisation de la protestation des groupes marginalisés et la légitimation des stratégies coercitives par les autorités. Ainsi, le processus découlant de la reconnaissance du statut de patrimoine mondial a contribué à ce que l’exclusion des groupes historiquement marginalisés persiste. En revanche, le statut a créé une nouvelle source d’investissement et de profit pour le secteur privé par l’augmentation de la visibilité de Quito sur le marché touristique international. La mobilisation des associations des habitants a eu peu d’impact sur les décisions des autorités étant donné que leurs demandes sont liées à des problématiques chroniques auxquelles les différents modèles économiques expérimentés n’ont pas donné une solution satisfaisante. Il s’agit de l’informalité due aux difficultés d’accès à l’emploi, de régularisation des titres de propriété, des préjugés et de la violence institutionnalisée envers les commerçants informels et les travailleuses du sexe. Dans ce contexte, 38 ans après la reconnaissance du statut de patrimoine mondial, le défi reste encore aujourd’hui celui de lutter contre les préjugés sociaux, de répartir équitablement les profits engendrés par les afflux touristiques, d’assurer des conditions de vie dignes et de créer des sources de revenus stables pour les habitants du CHQ.   Photo : Vue sur la Plaza de la Independencia et le Palais présidentiel, Centre historique de Quito, 2009. Photographie de l’auteure  
Références [1] North, Liisa (2008). « Neoliberalismo versus programa rural. Temas principales », dans North, Liisa et John Cameron (dir.), Desarrollo rural y neoliberalismo. Ecuador desde una perspectiva comparada. Quito : Universidad Andina Simón Bolivar et Corporación Editora Nacional. [2] Ortiz Crespo, Alfonso (2011). « Quito a sus 30 años de su declaración como patrimonio cultural de la humanidad », dans Dammert, Manuel et Fernando Carrión (dir.), Quito : ¿Metrópoli mundial? Quito : Organización Latinoamericana y del Caribe de Centros Históricos. [3] En vertu des critères ii et iv des Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial : témoigner d’un échange d’influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages ; offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l’histoire humaine. [4] Banque interaméricaine de développement (BID) (2004). « Rehabilitación del Centro Histórico de Quito, Segunda Etapa », en ligne : http://idbdocs.iadb.org/wsdocs/getdocument.aspx?docnum=384971 (page consultée le 30 juillet 2016). [5] Diario El Telégrafo, « Plazoleta se abriría en febrero », 10 janvier 2014, en ligne : http://www.eltelegrafo.com.ec/noticias/quito/1/plazoleta-se-abriria-en-febrero (page consultée le 21 juillet 2016) [6] La Hora, « Moradores se unen contra expropiaciones », 15 septembre 2013, en ligne : http://lahora.com.ec/index.php/noticias/show/1101563269/1/Moradores_se_unen_contra_expropiaciones_.html#. V5KmIo-cGUk (page consultée le 22 juillet 2016). [7] Bayón, Manuel (2014). « Derecho a la ciudad en el centro histórico de Quito? », Revista Canelazo de la Ciudad, (2), p.15-18 [8] Agencia pública de noticias del Ecuador y Suramérica, Cuatro embajadas serán trasladadas al Centro Histórico de Quito en 2016, revela presidente Correa, en ligne : http://www.andes.info.ec/es/noticias/cuatro-embajadas-seran-trasladadas-centro-historico-quito-2016-revela-presidente-correa, 9 mai 2015 (page consultée le 21 juillet 2016). [9] Selon les données du Secretaría General de Planificación, en ligne : http://gobiernoabierto.quito.gob.ec/wp-content/uploads/documentos/interactivos/PLAN/files/assets/downloads/page0128.pdf. [10] Idem. [11] Idem. [12] Aguilera, Maria et Miguel Narvaez, Miguel, Documentaire ¡ A un dólar ! A un dólar ! Una ciudad sin corazón (2014), MM producciones, 54mn. [13] Víctor Sánchez de la Fédération de commerçants autonomes, allocution présentée au cycle de conférences El derecho a la ciudad en el contexto del Hábitat III. Perspectivas desde la ciudad de cede, 26 avril 2016, en ligne : https://observatoriohabitat3.org/2016/05/02/jornadas-el-derecho-a-la-ciudad-en-el-contexto-del-habitat-iii-perspectivas-desde-la-ciudad-sede-nota-informativa/. [14] BID, op.cit. [15] Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) (2016). « En Ecuador, el programa ‘En Marcha’ siembra la semilla del emprendimiento », 29 juin 2016, en ligne : http://www.undp.org/content/undp/es/home/presscenter/articles/2016/06/29/en-ecuador-el-programa-en-marcha-siembra-la-semilla-del-emprendimiento-.html (page consultée le 20 juillet 2016).abc

Retour sur le Forum social mondial : initiatives de mobilisation collective et de résistance vis-à-vis des entreprises transnationales d’extraction

Cet article dresse une synthèse des échanges tenus le 11 août 2016 entre des défenseur-e-s des droits sociaux, environnementaux et du travail de trois régions (Afrique, Amériques et Caraïbes) au sein d’un atelier organisé dans le cadre du Forum social mondial 2016 à Montréal. Cet atelier émane d’un partenariat établi entre le Service de la solidarité internationale de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), le Syndicat des Métallos, l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal (ÉRIUM) et le Groupe de recherche sur les espaces publics et les innovations politiques (GREPIP). Luc Martinet, du Secrétariat confédéral de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Mariama Penda Diallo, syndicaliste et ancienne ministre d’État chargée de la Fonction publique, de la Réforme administrative, du Travail et de l’Emploi sous le gouvernement de transition en 2010 en Guinée Conakry, Nixon Boumba, coordonnateur du Collectif Justice Mines en Haïti (KJM en créole), Jorge Luis Quezada Liñan, syndicaliste et directeur intérimaire du Centro de Desarrollo y Asesoría Laboral (CEDAL) du Pérou et Martine Ouellet, ex-ministre des Ressources naturelles du Québec, ont pris part aux discussions. Grâce au partage de leurs expériences, ces invité-e-s ont dégagé des zones d’apprentissage autour de fronts de résistance qui se sont déployés sous les efforts de différents acteurs de la société civile pour mieux encadrer les activités des sociétés minières canadiennes dans leur région respective. Sur le plan des divergences d’abord, ces témoignages nous ont offert des vignettes contrastées quant aux acteurs ayant mis en branle ces initiatives de résistance collective (tantôt des syndicats, tantôt des groupes marginalisés, à l’instar des femmes, des communautés autochtones et autres groupes d’intérêts) et quant à leurs capacités à instituer des coalitions susceptibles d’impulser des réformes aux niveaux législatif ou normatif. Ensuite, en ce qui a trait aux convergences, plusieurs des cas évoqués dans le cadre de ces discussions ont eu cours dans un contexte institutionnel très rigide (souvent post-dictature) et ont entraîné des réponses très diversifiées sur le plan des mobilisations collectives face aux sociétés minières. En première partie d’atelier, les participant-e-s ont été sondés quant aux enjeux soulevés par les activités d’extraction dans leur pays respectif. De manière transversale, ces derniers ont fait état de l’imposition, sur le plan économique, d’un modèle néolibéral fondé sur l’exploitation des ressources naturelles dont les visées en matière de développement ne coïncident pas avec une vision socialement responsable de l’industrie minière. À leurs yeux, cette mondialisation économique a essentiellement contribué à la montée en force de plusieurs phénomènes préjudiciables aux travailleuses, aux travailleurs et aux communautés touchés par les activités des sociétés minières partout dans le monde, à savoir : la privatisation des entreprises d’extraction au profit d’investisseurs étrangers, provenant par ailleurs massivement du Canada; la flexibilisation et la précarisation exacerbées d’une écrasante majorité d’emplois dans le secteur extractif; la création d’enclaves ou de poches de pauvreté ceinturant les sites d’exploitation minière avec son lot de problématiques sous-jacentes (violence faite aux femmes, prostitution, alcoolisme, trafic d’êtres humains, etc.); la perte d’influence de l’État au moment d’exiger le paiement des redevances minières, de veiller à appliquer les lois en vigueur et à assurer leur suivi en ce qui a trait au Code minier, à l’encadrement des rapports collectifs de travail et à la protection de l’environnement, notamment des communautés riveraines; la déforestation et l’absence de délimitation des zones d’exploitation minière et de critères fixes d’évaluation en ce qui a trait aux impacts des projets miniers dans le cas des pays fragiles comme le Pérou, Haïti et la Guinée; l’absence d’exigences de transparence (ex. : reddition de comptes) à l’endroit des sociétés minières, notamment sur le plan des redevances et de leur diffusion auprès du grand public; l’absence de consultations publiques et citoyennes pour véritablement démasquer les sommes générées par l’industrie minière et préciser l’ampleur de l’exode fiscal grâce à la publication de la liste des sociétés-écrans présentes dans le secteur; et nous en passons. Dans le même sillage, les intervenantes et intervenants n’ont pas manqué de souligner que les pays du Nord, notamment les organisations syndicales, ont la responsabilité d’adopter une position citoyenne exempte idéalement de toute forme de corporatisme sur l’ensemble de ces enjeux afin que l’exploitation des ressources non renouvelables puisse davantage bénéficier aux populations locales touchées par les activités minières et financer les services publics des pays en cause. À titre d’exemple, toutes et tous ont évoqué la possibilité que les entreprises utilisatrices des produits reposant sur le secteur extractif (ex. : téléphones portables) soient tenues solidairement co-responsables des conséquences sociales, humaines et environnementales liées à l’exploitation minière. Ces choix de société, si jamais ils étaient adoptés, coïncident avec une volonté d’en finir avec l’asymétrie des rapports de force prévalant actuellement entre les acteurs et les pays. Ces déséquilibres se confirment par le renforcement du positionnement des entreprises comme nouvel agent de régulation d’ordre privé et par l’affaiblissement plutôt généralisé des syndicats qui, dans plusieurs pays, ne peuvent plus être considérés comme étant la locomotive des changements sur les plans social et du développement : nous pensons au cas du Pérou, notamment. En deuxième partie d’atelier, les participants ont été emmenés à prendre position quant aux stratégies pour revamper les capacités d’intervention des acteurs de la protestation sociale et mieux faire face à la conjoncture présente dans le secteur extractif. L’accent a d’abord été mis sur l’importance de renforcer les obligations de transparence et l’imputabilité des sociétés minières au Québec comme à l’étranger. De telles dispositions permettraient de minimiser les risques de corruption et de collusion, et de favoriser l’exercice d’un rapport de force davantage équilibré et plus éclairé entre les acteurs (notamment les syndicats et les citoyens) face aux sociétés minières, peu importe le pays considéré. Il s’agit ici, en somme, de s’assurer que tous les acteurs, dans leur ensemble, puissent disposer d’informations pertinentes pour être en mesure d’intervenir au moment opportun. Ces interventions pourraient prendre des formes diversifiées : procéder à des analyses éclairées des informations rendues accessibles pour ensuite permettre leur vulgarisation; instituer des mécanismes de concertation inter-acteurs aux niveaux local, régional et national; utiliser les médias sociaux pour mettre sur pied des campagnes de mobilisation destinées à sensibiliser le grand public autour d’enjeux inhérents à l’industrie minière au Québec comme ailleurs dans le monde; etc. La transparence apparaît ainsi comme le fondement de la capacité des citoyennes et des citoyens à se doter de leviers de pouvoir novateurs dans leurs efforts de mobilisation et de protestation collective au moment, entre autres, de démystifier l’ampleur du lobbying exercé par les entreprises du secteur et de dénoncer de manière éclairée les menaces posées à l’endroit de leur territoire. Sans grande surprise, pour agir, encore faut-il être au courant! Cela signifie comprendre notamment : l’importance de la solidarité pour développer un rapport de force inclusif, de portée sociétale; les impacts des projets miniers, ainsi que ceux liés à leur fermeture; les lois censées baliser les activités de l’industrie; tout type d’informations susceptibles d’être utiles en ce sens au niveau transnational, et ce, malgré la présence de certaines barrières (ex. : de langue, de culture, médiatiques, etc.); les phénomènes de l’évasion fiscale pour mieux en dénoncer les conséquences; les modes de redistribution des richesses à préconiser pour améliorer les conditions de vie, d’emploi et de travail dans le secteur; etc. Ces points réitèrent donc la nécessité de : former des leaders dans la société civile pour encourager la syndicalisation et diminuer le précariat dans l’industrie; sensibiliser les travailleurs, les communautés locales, les femmes, les jeunes et les groupes d’intérêt, souvent marginalisés, quant à leurs droits et à l’application des lois censées les protéger; enfin, renforcer la collaboration intergroupe pour faire de la société civile un acteur de contre-proposition unifié et porteur de propositions qui concurrencent le modèle de développement néolibéral en place, avec toutes les conséquences qu’on lui connaît. En concomitance, le rôle de l’État a été souligné à maintes reprises en ce qui a trait à l’amélioration des conditions de vie, de travail et d’emploi, la promotion d’une industrie minière de transformation et l’implantation de diverses mesures de sécurité sociale. Certes, à titre d’exemple, une expertise citoyenne peut être développée pour contrer l’évasion fiscale; veiller à ce que soit publiée la certification indépendante de comptes et protéger les lanceurs d’alerte; et exiger que les ressources collectives (ex. : mines, rives, sols et eau) ne soient pas extraites ou contaminées de manière inconsidérée face au bien commun à protéger. Il incomberait ainsi à l’État d’être plus actif pour que les citoyennes et les citoyens disposent de toutes les informations nécessaires pour qu’ils soient en mesure d’interagir au nom du principe du libre consentement préalable éclairé (LCPE). Il s’agit là d’un passage obligé pour véritablement contribuer au renforcement des capacités d’intervention et de contre-proposition de tous les acteurs de la société civile et amoindrir l’asymétrie des rapports prévalant entre les entreprises et les États. Les débats s’intensifient aujourd’hui au sujet du principe du LCPE dans plusieurs communautés locales et autochtones à travers le monde, ainsi que dans les salles de planification de nombreuses compagnies minières et pétrolières, de la Banque mondiale, de la Société financière internationale (SFI), comme au sein de plusieurs organes des Nations Unies. D’ailleurs, à ce titre, la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du Travail (OIT) prévoit que :
Les consultations effectuées en application de la présente convention doivent être menées de bonne foi et sous une forme appropriée aux circonstances, en vue de parvenir à un accord ou d’obtenir un consentement au sujet des mesures envisagées.
Dans cette perspective et si l’on pousse l’analyse un cran plus loin, des régulations davantage coercitives pourraient également être mises en place au niveau transnational de manière à permettre l’émergence d’une véritable prise en charge par les pays du Nord de leurs responsabilités face aux pays du Sud quant aux conséquences de l’exploitation des ressources non renouvelables et de la pollution qui en découle. À cet effet, il revient notamment aux syndicats du Nord de permettre à leurs alter egos du Sud de se renforcer par la mise en place d’un partage systématique d’informations, de stratégies de collaboration et d’efforts de mobilisation collective d’envergure transnationale, comme ce fut le cas en Guinée-Conakry en 2011 dans le cadre de la révision du régime minier. On voit donc qu’il est possible de faire émerger un véritable rapport de force intersyndical, pour ne pas dire inter-acteurs, convaincant et inclusif. En somme, cet exercice ne visait pas à prescrire des lignes de conduite précises ou des pistes à suivre de façon absolue, quel que soit le niveau d’action privilégiée. Il cherchait plutôt à dégager dans la pratique des zones d’apprentissage collectif susceptibles d’induire des cadres d’action collective novateurs et féconds en termes de retombées futures, notamment en ce qui a trait au renforcement de l’imputabilité des sociétés minières canadiennes au chapitre de la responsabilité sociale. Aussi, les pistes d’action collective dégagées ont permis d’enrichir les recherches en cours et d’entamer des discussions plus larges sur les stratégies mondiales dans le cadre des Assemblée de convergence au FSM 2016 dans la série « Les peuples et la planète avant le profit ». Le vieil adage Quand on veut, on peut ! s’est ainsi vu confirmé au sortir de ces discussions… Reste à voir s’il continuera d’inspirer les luttes à venir.   Photo : Échanges entre défenseur-e-s des droits sociaux, environnementaux et du travail de trois régions du monde (Afrique, Amériques et Caraïbes). Photographie des auteur-e-sabc

«Je suis affectée par Mariana!»

Je viens d’un pays très beau, merveilleux. Je viens du Brésil, un pays où l’on parle portugais, le pays de la Coupe du monde, des Jeux olympiques. Mais je viens aussi d’un pays qui est en train de vivre un coup contre la démocratie, contre les droits humains, contre le peuple, contre les travailleurs et travailleuses. Je viens d’un pays qui, avec le Venezuela, possède 800 billions de barils de pétrole, d’un pays qui est une Arabie saoudite. Mais je suis affectée par les barrages, par l’industrie minière, par un système capitaliste, impérialiste et patriarcal. Je suis affectée par Mariana[1]. Je vis à deux heures de l’endroit où Vale, BHP Billiton et Samarco ont tué 20 personnes. Parmi elles, une femme, comme nous qui sommes ici ce soir, enceinte, qui a subi un avortement dans l’avalanche de résidus miniers. Elle a été traînée sur plus de mille mètres et quand elle est arrivée à l’hôpital, elle avait perdu son enfant. Elle n’a pas été reconnue comme une personne ayant perdu un proche. À Mariana, nous vivons aujourd’hui l’un des pires crimes des dernières années. C’est pourquoi nous souhaitons que vous vous sentiez aussi, toutes et tous, affecté-e-s par les barrages. Car nous payons l’énergie le plus cher au monde, et nous nous demandons : Pourquoi le coût de l’énergie est-il si élevé s’il y a tant de barrages ? Pourquoi ont-ils, pour construire un barrage, pris la vie de notre amie Berta, notre compagne de lutte ? Une compétition est aujourd’hui en marche dans le monde pour savoir qui des États-Unis et de la Chine sera la grande puissance qui contrôlera les États, la force de travail des travailleurs-euses, les ressources naturelles, nos vies. C’est pour cette raison que nous, les personnes affectées par les barrages du Brésil, nous nous organisons dans tout le pays pour discuter d’un nouveau modèle énergétique pour le Brésil et pour le monde. Nous souhaitons construire un ordre différent, un autre monde où les hommes et les femmes puissent profiter des fruits de leur travail. Le système le plus corrompu aujourd’hui dans le monde est le système capitaliste, qui ne te donne qu’une partie des fruits de ton travail, alors que le reste est géré par les élites. La tâche qui nous attend est de faire quelque chose pour être à même de survivre et mettre fin à ce système. Au Brésil, nous disons « Patria libre. Venceremos! »   Ce texte est la transcription du discours présenté par Soniamara Maranho le 10 août 2016 lors du spectacle « Les peuples et la planète avant le profit! Voix des résistances et des alternatives » à Montréal à l’occasion du Forum social mondial 2016. La présentation est disponible en ligne: https://www.youtube.com/watch?v=XK-jhuJRnHU.   Photographie du MAB Traduction par Éva Mascolo-Fortin  
Notes [1] Le 5 novembre 2015, la rupture d’une digue de la mine de Vale-BHP Billiton dans la ville de Mariana, dans l’État de Minas Gerais au Brésil, a libéré 32 millions de mètres cubes de boue et de déchets miniers sur 640 kilomètres. Le désastre de Mariana, véritable catastrophe sociale et écologiste, a inondé plusieurs villages et tué 20 personnes.abc

Les invisibles

Nous, les invisibles, ceux du masque qui cache l’exploitation, ceux de cinq heures du matin, ceux de la journée de quatorze heures esclaves de la sueur, travailleurs des ateliers de misère, sweatshop workers travailleurs aussi de la campagne, de la campagne devenue usine. Contrat de vie à moitié, privilège du propriétaire Nous, qui sur le dos portons un système qui nous efface le visage, mais qui a besoin de nos mains. Les mains de la femme qui emballe la viande! Les mains d’une femme qui porte ses propres enfants et ceux d’autrui Et qui ne dort pas! Des mains d’homme qui chargent des boites de tomates! et qui prennent soin d’une terre qui ne lui appartient pas. Des mains, partout des mains, des mains vieilles, usées, des mains sans visage, des mains sans nom des éclats du Mexique exilé Anciens guerriers perdus à Montréal Nous sommes ici avec notre « spanglfrench » et nos rêves suspendus en attente d’un papier qui n’arrive pas. Nous, les invisibles nous, les masqués au visage effacé face voilée Nous qui crions anonymes Et le bruit de fond de la machine trac, trac, trac crie la machine Et je ne peux pas la faire taire, car sans papiers ma voix ne résonne pas. Ma voix Ne résonne pas Moi, aigle, moi jaguar moi colibri moi homme, moi femme je marche dans la ville et je rêve que tu voies mon visage.   Illustration de Jenny Galewski Traduction de Jorge Parraabc

Les actions urgentes

Depuis les tous débuts du CDHAL, les actions urgentes constituent un pilier majeur du travail de défense et de promotion des droits humains mené face aux menaces et aux violations graves de ces droits qui ébranlent l’Amérique latine. Elles apparaissent, sans nul doute, encore aujourd’hui, comme un moyen d’action rapide et efficace pour appuyer celles et ceux dont les droits les plus fondamentaux sont méprisés, et, par le fait même, pour exprimer sa solidarité avec ces luttes qui remettent en question les différents systèmes d’oppression. À travers le réseau Solidared, une communication et une coopération étroites s’établissent alors entre les organismes, les collectifs et les mouvements sociaux de base latino-américains et canadiens qui partagent des préoccupations de respect et de défense des droits humains. Les actions urgentes se basent donc sur le contact direct avec les allié-e-s d’Amérique latine, pour la plupart issus des communautés locales, et sur nos liens de confiance. Pour déterminer l’action la plus pertinente à entreprendre, il est essentiel que l’équipe des actions urgentes acquière une solide formation politique et des connaissances sur les luttes sociales en Amérique latine. Les actions urgentes consistent à interpeller les autorités en Amérique latine, tant au niveau gouvernemental qu’au niveau des instances de droits humains, les ambassades des pays concernés au Canada, ainsi que le gouvernement canadien le cas échéant, le plus souvent en leur adressant des lettres, rédigées sous la forme de communiqués ou pétitions, ou par des appels téléphoniques. Ces actions dénoncent les menaces et violations des droits humains qui ont été observées et, surtout, exigent l’établissement de mesures concrètes, à celles et ceux qui ont une part de responsabilité et qui disposent d’un véritable pouvoir d’action pour mettre un terme aux situations les plus insoutenables. Si elle ne met pas à risque l’action urgente engagée, la diffusion est assurée sur les plateformes dont dispose le CDHAL, notamment les médias sociaux, le site web, le bulletin mensuel Solidared et la radio communautaire. La sensibilisation de la société civile et de la population québécoise s’avèrent alors essentielles pour renforcer la pression internationale, encourager l’adoption et la mise en œuvre de politiques qui favorisent le respect des droits humains, et questionner le rôle du Canada à travers ses traités de libre-échange, ses programmes de développement international et son ingérence dans les pays d’Amérique latine; la force des actions urgentes réside bien souvent dans la capacité à mobiliser la population autour de ces enjeux. Les actions urgentes nécessitent un suivi afin de consolider les liens qui se sont créés avec les partenaires d’Amérique latine, et se solidariser de façon continue avec les communautés qui sont souvent sous menace constante, même après la dénonciation de violations de leurs droits. En outre, elles viennent guider les campagnes que mène le CDHAL, pour susciter l’engagement des Québécois-es et renforcer la solidarité internationale, puisque la plupart d’entre elles révèlent des enjeux communs aux défenseur-e-s des droits et du territoire tant en Amérique latine qu’au Canada. Ces dernières années, les actions urgentes ont permis de mettre en lumière les agissements des transnationales qui s’implantent à travers l’Amérique latine pour développer des mégaprojets d’extraction des ressources naturelles, souvent à l’insu des populations et sans leur consentement. La lutte contre les impacts socioenvironnementaux qui en découlent représente désormais le point d’ancrage des activités du CDHAL, porté par sa mission de solidarité à l’endroit des communautés d’Amérique latine.   Photo : Document de présentation du réseau des actions urgentes du CDHAL. Archives du CDHALabc

Rencontre des femmes des zones rurales et urbaines : anticapitalistes, anti-impérialistes et anti-patriarcales

Le 25 juin 2016, une cinquantaine de déléguées ont participé à la « Rencontre des femmes des zones rurales et urbaines » (Encuentro de Mujeres del Campo y de la Ciudad) qui avait lieu à La Esperanza, dans une zone où la paysannerie résiste depuis plus d’une décennie au grand projet d’extraction du cuivre Panza-San Carlos (Explorcobres) de la corporation chinoise Tonglong. La rencontre était convoquée à l’initiative du Frente de Mujeres Defensoras de la Pachamama, de Luna Roja, du Frente de Mujeres Guardianas de la Amazonía, Plataforma PachAntiminera, Asociación de Campesinos de Limón Indanza (ACLI), Warmi Ambulante et la Coordinadora Campesina Popular (CCP)1. La cinquantaine de femmes présentes ont réalisé un Acte symbolique et ont exposé la situation des femmes face au système actuel, abordant les problématiques liées aux villes et celles liées à la campagne. Les femmes des organisations convoquées ont aussi mis en valeur les processus de résistance et d’organisation. Une fois les présentations terminées, des groupes ont travaillé pour établir une plateforme de lutte conjointe et les actions à entreprendre dans le but de déterminer les étapes suivantes dans le processus de convergence des femmes de la campagne et de la ville. En plénière toutes les propositions ont été exposées aux participantes : celles qui ont été validées postérieurement comme des résolutions de la rencontre, et celles qui ont été publiées les jours suivant l’événement. Résolutions de la Rencontre des femmes des zones rurales et urbaines : anticapitalistes, anti-impérialistes et anti-patriarcales Nous, les femmes des secteurs populaires de la campagne et de la ville, réunies le 25 juin 2016 à La Esperanza, ayant pour objectif de faire cause commune et de programmer des actions conjointes qui dérivent de l’unification et du développement de la lutte de la femme équatorienne pour son émancipation, NOUS DÉCLARONS : Que dans le système actuel capitaliste-impérialiste et patriarcal, les intérêts qui priment sont ceux des groupes de pouvoir nationaux et internationaux qui, dans leur désir de continuer à accumuler de la richesse, violent de façon continue les droits humains, les droits des femmes et la Pachamama (Terre-Mère). Que la domination et la soumission de la femme font partie intégrante de ce système, la reproduction même du capital reposant sur la double exploitation du travail de la femme, aussi bien dans le domaine de la production sociale (travail rémunéré) que dans le domaine domestique (travail gratuit fait par la femme pour la reproduction de la force de travail). Que la domination et la soumission de la femme impliquent le contrôle de son corps et son esprit, et donc la subsistance de toutes les formes économiques, sociales, politiques, idéologiques et culturelles de discrimination et de violence par lesquelles s’impose le pouvoir capitaliste et patriarcal. Que les gouvernements et les États sont au service des groupes de pouvoir, et qu’en ce sens toutes leurs politiques, actions et décisions visent à renforcer des groupes dont les intérêts et besoins sont contraires à ceux des peuples, particulièrement des femmes, des classes et secteurs exploités, et de la Pachamama. Que le gouvernement équatorien actuel, qui s’emploie à brader les ressources du pays, a démontré être au service des groupes de pouvoir de toujours, et de ceux qui se sont constitués durant les années de régime de l’Alianza País, ainsi que des intérêts de l’impérialisme, notamment chinois. Que pour imposer ses mesures et politiques contre le peuple, le gouvernement de l’Alianza País a eu recours à la criminalisation de la protestation, à la répression et à la persécution des défenseurs et défenseures des droits humains. Devant ces faits :
  • Nous revendiquons de pouvoir exercer pleinement nos libertés et nos droits, en tant que femmes des classes populaires qui luttons pour un futur fait de bien-être et d’équité entre les êtres humains en harmonie avec la Pachamama, dans un monde libre des chaînes du capitalisme, de l’impérialisme et du patriarcat.
  • Nous refusons toute forme de violence, de discrimination et d’exploitation des femmes générée par le système actuel afin de soumettre nos corps et nos esprits.
  • De même, nous condamnons toute forme d’agression et de violence contre la Pachamama visant la concentration et de la centralisation du capital au niveau mondial et local.
  • Nous refusons les grands projets miniers et plus particulièrement ceux que le gouvernement actuel définit comme des projets stratégiques : Pananza-San Carlos, Río Blanco, Loma Larga (Quimsacocha), Mirador, Fruta del Norte, ainsi que la nouvelle mise aux enchères du territoire national au profit de l’industrie extractive.
  • Nous exigeons que notre territoire national soit libéré de l’industrie minière, des autres industries extractives et de toute activité violant la Pachamama au bénéfice des corporations nationales, transnationales, privées et étatiques.
  • Nous nous opposons à l’agro-industrie et aux monopoles locaux, nationaux et internationaux qui détruisent les petits et moyens producteurs des zones rurales et affectent particulièrement les activités traditionnellement réalisées par les femmes pour subvenir aux besoins de leur famille.
  • Nous rejetons le gouvernement actuel qui a plongé le pays dans une crise économique et morale au nom d’une supposée « révolution », en adoptant des mesures allant à l’encontre des intérêts du peuple et favorisant les monopoles nationaux et transnationaux, en particulier ceux de la Chine. Cette « révolution » laisse une dette externe qui pèsera non seulement sur les épaules de la génération présente mais aussi sur celles des générations futures, en particulier des femmes des classes populaires.
  • Nous continuerons à dénoncer la criminalisation de la protestation, la répression et la persécution des défenseures et défenseurs des droits humains et de la Pachamama.
  • Nous rejetons la manipulation, le détournement et l’utilisation des luttes populaires à des fins personnelles et de groupe, en particulier lorsque celles-ci émanent de calculs politiques qui profitent des mobilisations et des demandes populaires comme tremplin électoral vers l’obtention de postes d’État lors des élections.
Nous nous engageons à lutter pour :
  • Un monde libre de tout type de violence, discrimination et exploitation envers les femmes et la Pachamama ; un monde où priment les intérêts, besoins et aspirations des travailleurs et travailleuses des zones urbaines et rurales, et où les peuples forment des États et des gouvernements qui répondent à leurs intérêts, besoins et aspirations.
  • Le plein exercice de nos droits et de ceux de la Pachamama.
  • L’élimination définitive de toute forme économique, sociale, politique, idéologique et culturelle de discrimination et violence qui soumet les corps et les esprits des femmes.
  • La valorisation de notre travail, particulièrement du travail domestique non rémunéré que font les femmes de manière gratuite pour la société.
  • La valorisation des savoirs des femmes, ainsi que le droit de produire, diffuser et partager ces savoirs.
  • Des territoires libres d’industries et de monopoles violant les droits humains, les droits des femmes et de la Pachamama ; des territoires sur lesquels le peuple puisse avoir un pouvoir de décision souveraine pour établir un système permettant le bien-être collectif et la coexistence harmonieuse avec la nature.
  • La souveraineté alimentaire et le droit à l’alimentation.
  • Le droit à la santé, y compris à la santé sexuelle et reproductive, et la santé psychologique et émotionnelle.
  • Le droit de vivre dans un environnement sain et équilibré écologiquement, et le droit de protéger la Pachamama pour les générations futures.
  • Une démocratie réelle et directe du peuple, où les décisions sont prises par de larges majorités selon les intérêts, les besoins et les aspirations du peuple et de la Pachamama.
À cette fin, nous décidons de :
  • Continuer à mettre en place des rencontres des femmes urbaines et rurales, ayant pour objectif la réalisation d’une nouvelle rencontre en 2017. Réaliser de manière coordonnée des Jornadas 8M Movilízate Mujer, le fruit de la mobilisation qui a eu lieu pour la Journée internationale de la femme travailleuse.
  • Participer à la mobilisation du 1er mai avec le Bloc prolétaire, en mettant l’accent sur la présence et la valeur des femmes qui construisent, luttent et défendent leur cause en ce jour si important pour les travailleuses et travailleurs du monde.
  • Mettre en lien la Warmi Ambulante, une école de formation pour l’action, et ses deux projets, « Femmes des campagnes » et « Productrices de connaissances » avec la « MINGA de Construcción de Saberes de Mujeres » du Frente de las Mujeres Defensoras de la Pachamama, afin de créer un espace permanent d’échange de connaissances.
  • Chercher du soutien à la production agricole grâce aux projets de la Warmi Ambulante et aux organisations étudiantes de différents programmes et facultés.
  • Former les femmes sur des thèmes comme les droits de genre, les inégalités de genre, l’inégalité sociale, les droits du travail, les droits humains, les droits environnementaux, les droits de la nature, la santé, la santé sexuelle et reproductive, la santé psychologique et émotionnelle, la sexualité, et les soins du corps.
  • Commencer à changer les pratiques sexistes, de discrimination et de violence envers la femme dans nos foyers, organisations et espaces de vie quotidienne.
  • Réaliser dans les secteurs populaires des campagnes de sensibilisation contre le consumérisme, en revendiquant la souveraineté alimentaire et le droit à l’alimentation.
  • Mener des campagnes contre la dévalorisation du travail de la femme.
  • Coordonner des actions contre les grands projets miniers et la vente du territoire national pour de nouvelles concessions minières.
  • Diffuser, par le biais d’activités telles que des débats, forums, ateliers et tables-rondes, notamment, en particulier dans les villes et auprès des femmes, de l’information sur les impacts de l’industrie minière de grande échelle et sur les résistances menées par les femmes pour faire face à l’industrie extractive.
  • Réaliser la campagne : « Les femmes contre la farce électorale » dans le cadre des élections bourgeoises de 2017.
  • Mettre en place chaque année au moins deux assemblées de déléguées afin de coordonner et concrétiser les décisions prises. La participation active dans la Marche pour la défense de l’économie paysanne, convoquée par l’Association de paysans de Limón Indanza (ACLI) et la Coordination paysanne populaire (CCP) le 26 juin à Limón.
  • Diffuser le plus largement possible les résolutions adoptées lors de cette rencontre.
  • Assurer un suivi de l’accomplissement de ces résolutions.
  Photo : Rencontre des femmes des zones rurales et urbaines. Photographie du Front des femmes défenseures de la Pachamama Traduction par Alice Doucetabc

« Le territoire ne nous appartient pas, nous appartenons au territoire, à la terre »

Je remercie la nation mohawk de nous accueillir dans son vaste territoire non cédé. Qu’as-tu fait de mon pays ? Femmes des Premières Nations des 11 nations du Québec, nous dépendons de ce que la terre nous offre. Le territoire ne nous appartient pas, nous appartenons au territoire, à la terre. Nous, femmes, hommes, des Premières Nations, avons comme responsabilité de protéger la Terre, de sauvegarder le territoire. Nous sommes des victimes, moi, vous, vous qui venez de l’Est, du Sud, de l’Ouest ou du Nord de la planète, nous sommes des victimes de ces dévastateurs de notre Terre. Je suis nation, de la nation innu. Dans ma langue, Nitassinan veut tout simplement dire notre Terre, ce n’est pas une propriété privée. Ce mot est inclusif. Vous faites partie de cette Terre, vous avez les mêmes responsabilités que les Premières Nations. La sauvegarde de la Terre et du territoire pour les 7 générations futures. Nous sommes des victimes de ces dévastateurs. Patriarcat : je resterai toujours debout. Système discriminatoire : je garderai la tête haute. Formes raciales : je vais me battre et me mettre debout encore. On vit des luttes collectives, des images de peur. On nous maintient dans la peur par un système de justice. Nous luttons pour la Terre. On a besoin de respirer de l’air pur, on a besoin de boire l’eau de nos rivières. On dépend de ce que la terre nous donne, on se nourrit de ce que la terre nous offre. Voilà pourquoi on a la responsabilité de protéger la Terre. Je remercie le Créateur que les 11 nations du Québec se mettent debout, font des barricades, des blocus, se mettent en action. Nous sommes des activistes, des guerriers et guerrières de la paix, des guerriers et guerrières pour la sauvegarde de la Terre, sans violence. C’est important pour nous, la connexion que nous avons avec le territoire et la Terre. Vous faites partie de ces convictions. Le système patriarcal essaie de nous maintenir dans la peur. Je n’ai pas peur. Je me suis battue contre Hydro-Québec. Mes sœurs se sont battues contre le Plan Nord. Encore des femmes. Parce que nous, les femmes des Premières Nations, avons une responsabilité de protéger la Terre. Parce que le territoire et l’environnement font partie de notre identité. La langue, la culture, nos rites, nos traditions, on forme qu’un. On a besoin de faire revivre encore pour les 7 générations futures. On a besoin de donner à nos enfants ce que nos ancêtres nous ont légué et l’on a besoin de vous. J’ai des frissons ce soir, je vis de belles émotions, même si je ne comprends pas les autres langues [qui ont été parlées ce soir, l’anglais, l’espagnol], mais je ressens les gens qui nous ont parlé ce soir. L’espoir d’une lutte collective, mondiale, planétaire m’habite. J’espère que vous ressentez ça aussi, qu’on continue ensemble, peu importe où nous sommes, d’être en action pour justement faire tomber ce patriarcat, pour justement prendre notre place en tant qu’être humain.   Ce texte est la transcription du discours présenté par Viviane Michel le 10 août 2016 lors du spectacle « Les peuples et la planète avant le profit! Voix des résistances et des alternatives » à Montréal à l’occasion du Forum social mondial 2016. La présentation est disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=b3vpdgzg0N4.   Photographie du CDHALabc