Catégorie : 2018

Territoire Internet? Espaces, affectivités et communautés

La société de l’information actuelle possède une composante technologique importante basée sur des infrastructures informatiques matérielles. Le « nuage » informatique est aussi de la matière : il s’agit de l’ordinateur de quelqu’un d’autre, ailleurs dans le monde. Même si l’on considère en général que l’impact environnemental de la technologie est très faible, cette dernière consomme en réalité des minéraux, du plastique et beaucoup d’énergie [1]. Dans le système capitaliste actuel, l’exploitation de ces matériaux a lieu à grande échelle et cela a des conséquences insoutenables à long terme : elle légalise la dépossession territoriale et patrimoniale là où elle prend place; elle favorise la désarticulation du tissu social dans les communautés locales; elle pollue l’eau, la terre et l’air et elle cause des maladies. Les violations des droits humains sont constantes et systématiques. Nous pouvons percevoir l’impact de la consommation technologique tant à la fin du cycle de vie (comme le dépotoir électronique au Ghana, pour donner un des exemples les plus connus), qu’au milieu de celui-ci, en observant le processus de production dans son ensemble [2]. En ce qui concerne l’usage, il semblerait que « l’industrie des TIC (technologies de l’information et de la communication) consomme 7 % de toute l’énergie électrique générée mondialement [3]. La grande majorité de ce pourcentage (entre 82 % et 84 %) serait consommée par les utilisateurs finaux. Nos chaînes de messages, nos réseaux sociaux et nos photos de chatons adorables ne sont donc pas immatériels. Bien que les dommages matériels causés par les TIC soulèvent de plus en plus de préoccupations, cet article souhaite mettre en lumière d’autres dimensions des relations de pouvoir dans la société de l’information : il propose de percevoir Internet comme un espace territorial, social et créatif, en abordant le lien entre ce territoire et des enjeux liés à la résistance, mais aussi à l’affectivité, ceci à partir d’une perspective « hackféministe ». La dimension affective : quand l’affection sur le réseau a un prix J’écris sur ce thème en regardant l’écran de mon ordinateur, tout en révisant les messages reçus… Pourquoi nous connectons-nous? Que faisons-nous lorsque nous naviguons sur Internet? À quels espaces accédons-nous? Lorsque nous nous demandons pourquoi nous « sommes » sur les réseaux sociaux commerciaux ou encore pourquoi nous utilisons le grand oracle des recherches, nous avons tendance à répondre que c’est parce que « tout le monde y est ». Ou encore parce que nous ne connaissons aucun autre espace où réaliser les mêmes activités. Cependant, si nous regardons ces réseaux sociaux commerciaux de plus près, en particulier ceux de Zuckerberg (propriétaire de Facebook, Instagram et WhatsApp), la réponse a plutôt à voir avec le fait que ces réseaux s’intéressent à nos besoins de connexion et de communication; ils les utilisent donc pour nous exploiter « silencieusement ». Il y a quelques mois, un haut placé « repentant » de Facebook racontait que, pour que nous accordions tant de temps et d’attention aux réseaux, il suffisait de nous donner une certaine dose de dopamine au moyen de « J’aime » et de commentaires. « Et cela fera en sorte que tu veuilles partager encore plus de contenu… Les inventeurs, les créateurs, dont moi, Mark [Zuckerberg], Kevin Systrom sur Instagram, nous en étions tous conscients » [4]. Ils ont ainsi décidé que pour mettre sur pied une entreprise qui génère des millions de dollars, ils exploiteraient une vulnérabilité de la psychologie humaine qui favoriserait la dépendance à leurs plateformes « sociales ». Nous sommes des êtres sociaux et les réseaux le savent. Ce sont des espaces « numériques » qui stimulent notre désir d’y être et d’y interagir. Espaces de débats, de partage et d’affection, les réseaux sont conçus pour permettre aux gens (ainsi qu’aux groupes et aux institutions) de communiquer. Cependant, dans les réseaux sociaux les plus connus (Facebook, Instagram, Twitter), la médiation se fait à travers de nombreux filtres, c’est-à-dire des algorithmes qui décident ce que nous voyons et ne voyons pas, en fonction de critères imposés par les entreprises et auxquels les usagers n’ont pas accès [5]. Nos données personnelles, notre navigation sont transparentes pour elles; ces informations parcourent leurs infrastructures jusqu’à leurs centres de données contrôlés par des algorithmes opaques qu’elles ne partagent pas avec nous. On nous dit que « la confidentialité n’existe plus » et que nous n’avons pas à nous inquiéter si nous « n’avons rien à cacher ». Et c’est justement ce qui devrait se produire : puisque nous n’avons rien à cacher, personne ne devrait fouiller constamment dans nos affaires. Plusieurs raisons peuvent justifier le choix de masquer notre identité numérique. Pour les femmes et les personnes non binaires, l’un des motifs a trait à la violence en ligne présente au quotidien dans les réseaux sociaux. Les discours haineux, le harcèlement, la discrimination et la publication d’informations et d’images sans le consentement des personnes concernées sont de plus en plus fréquents. Il s’agit d’une violence « réelle » qui a des conséquences physiques et émotionnelles sur la vie des personnes concernées, ce qui « affecte la prise de décision dans les situations quotidiennes, par exemple, la façon de s’habiller et le fait de sortir ou non » [6]. Toutefois, Internet représente davantage que les réseaux sociaux, il inclut aussi les endroits où nous ne « socialisons » pas, mais où nous faisons des recherches, où nous nous « baladons », etc.; endroits où nous devons aussi accepter de laisser tomber la confidentialité au profit des bulles de filtres. On peut dire que si le service est gratuit, le client est le produit. Nous savons tous que dans une société capitaliste, rien n’est gratuit, mais nous sommes tout de même convaincus que les plateformes commerciales sont sans frais pour les usagers. Nos données et nos interactions sont le prix à payer. Quelqu’un a un jour dit que nous devions apprendre à utiliser les technologies de la même façon que nous avons appris à lire et à écrire [7]. Pour défendre Internet en tant que territoire, nous devons générer une sociabilité consciente et critique. Défendre Internet comme un territoire nous aide à prendre des décisions. Nous devons continuer d’utiliser le réseau, mais d’une façon bénéfique, affectueuse et partagée, sans suivre uniquement les « règles » imposées par des plateformes qui ne nous représentent pas. Défendre Internet signifie se joindre aux groupes « d’écrivains numériques qui sont à la hauteur des circonstances difficiles qui nous toucheront probablement » [8]. Sortir des sentiers battus… de Facebook Je ris chaque fois qu’une personne me demande mon nom pour me chercher sur les « réseaux sociaux » (le pluriel est inutile, parce qu’ils font presque toujours référence à Facebook seulement). Lorsque je réponds par la négative, on se résigne à me demander mon numéro de téléphone pour me trouver sur « WhatsApp ». Quand je secoue négativement la tête, cela met généralement fin à l’interrogatoire, puis on me pose cette question : « mais ne travailles-tu pas avec les technologies? » J’ai commencé à utiliser Facebook en 2011. Mes raisons, alors, étaient plutôt des excuses, et c’est peut-être pour cela que je n’étais pas facile à trouver, mais j’y étais. Puis, le va-et-vient dans les chemins des technologies critiques (le pluriel implique l’expérimentation de divers logiciels et plateformes) a fait en sorte que je prenne de plus en plus de distance. Et c’est finalement arrivé : j’ai fermé définitivement mon compte au début de l’année 2018. Le « scandale » de Cambridge Analytics a scellé ma séparation d’avec ce réseau social duquel je m’éloignais déjà depuis des mois en effaçant systématiquement mon profil pour pouvoir fermer mon compte. Le processus a été long et complexe, même si je ne « publiais presque rien ». Le réseau social ne veut pas être abandonné : sans nous et sans le contenu que nous générons, il s’agirait d’une plateforme vide. Internet n’oublie jamais. Facebook ne m’a pas oubliée. Dans certains des nombreux serveurs répandus de par le monde, où l’information de chaque usager est répliquée à plusieurs reprises, je suis probablement un « profile fantôme » stocké, en attente d’être commercialisé à nouveau. Un profil fantôme (shadow profile) est une archive cachée contenant les données ayant été recueillies et saisies, volontairement ou non, au moyen de nos publications, interactions, amitiés, dispositifs, etc. afin d’établir des tendances d’utilisation [9]. Ces technologies ne sont pas conçues pour que nous puissions jouer avec elles, apprendre d’elles et construire avec elles. Leurs règles ne sont pas imposées et elles utilisent leurs ressources pour savoir tout ce que nous disons. TOUT. Facebook ne veut laisser partir personne parce que sans nous, son réseau ne vaut (littéralement) rien. C’est moi qui ai décidé de rompre cette relation toxique et d’aller jouer dehors. La dimension des résistances : utiliser les réseaux de façon hackféministe Nous naviguons sur Internet des centaines de fois par jour, et ce, dans de nombreux contextes. Pour celles et ceux qui voient aussi cet espace comme un territoire indépendant (et non seulement comme un moyen de communiquer), Internet est un espace public et politique. Pour un plus petit groupe de personnes, la dimension politique signifie créer un réseau au sein du réseau, habiter Internet, le construire comme un espace rebelle. De nos jours, l’accès demeure un des enjeux principaux liés à l’usage d’Internet. Toutefois, l’accès ne se réduit pas à la capacité de se connecter; Internet renferme aussi de grandes inégalités : les failles de sécurité, l’appropriation illicite, la transformation et la création, la concrétisation de nos rêves via Internet vont au-delà de la simple connexion. Pour habiter Internet, nous devons le connaître, connaître ses forces et ses complexités, nous permettre de nous émerveiller par les divers outils qu’il nous offre, les pratiques que nous pouvons générer, les personnes qui se trouvent derrière l’écran, ce qu’elles font et ce qu’elles contribuent à changer au-delà des pompeux réseaux commerciaux. Dans le cadre du premier congrès féministe du Chiapas qui a eu lieu en novembre 2016, la philosophe féministe Silvia Gil a été invitée à commenter certaines contributions féministes permettant (re)penser les crises systémiques. Elle a évoqué l’importance de trouver des formes de politisation qui touchent la vie et qui nous secouent; d’imaginer des sens nouveaux pour proposer des solutions à la crise et de chercher des formes politiques qui ne tournent pas le dos au soin et à l’interdépendance des corps. En l’écoutant et en pensant aux différentes dimensions qui forment Internet, j’ai vu ce dernier sous un nouvel angle : comme un territoire à habiter. Escobar définit « territoire » comme un espace construit à travers les interactions sociales de ceux et celles qui l’habitent, des organisations sociales aux collectifs [10]. Les féministes ont aussi beaucoup à apporter à ce sujet. Il faut politiser les processus à l’aide de formes et de formats imaginatifs pour créer de nouvelles perspectives et des récits nouveaux. Selon Gil, « pour vivre, nous avons besoin chaque jour de travaux matériels et immatériels (affection, désir, etc.) qui rendent la vie possible […] Nous ne pouvons pas accepter une politique qui tourne le dos aux soins et à l’interdépendance des corps, ni à la vulnérabilité de la vie » [11]. C’est en ce sens qu’avoir une vision critique des technologies constitue une posture presque révolutionnaire dans un contexte où les grandes entreprises qui fournissent des services se montrent simplement telles qu’elles sont : des services uniques et indispensables sans lesquels le réseau n’existerait pas. Le fait est qu’en général, l’Internet que nous connaissons dépend des grandes infrastructures et de l’argent. Toutefois, plusieurs projets sont mis sur pied, chaque fois dans le but de remettre en question cette maxime et de proposer une reconstruction plus diversifiée d’Internet. Par exemple, il existe des réseaux de télécommunication communautaires comme GuifiNet en Espagne, Rizhomatica au Mexique et NetWork Bogotá en Colombie. Il existe aussi des serveurs de production autonomes qui peuvent héberger nos contenus et créer des formes de travail « saines et proches » comme les coopératives technologiques MayFirst et Kéfir. Finalement, des réseaux sociaux décentralisés comme Mastodon et Diaspora nous permettent de nous rencontrer, d’interagir et de planifier. De nos jours, « habiter » les technologies signifie beaucoup plus qu’accéder à des plateformes commerciales : plusieurs options nous permettent de gérer librement les ressources de nos ordinateurs, de répondre à nos besoins de recherche d’informations sans être surveillés, de collaborer et de stocker de l’information dans des bibliothèques numériques servant au bien commun [12]. Nous pouvons commencer par remettre en question les systèmes de communication actuels, en apprenant à connaître leur fonctionnement, leurs options et leurs propositions. Nous devons nous réconcilier avec les pas que nous faisons vers le numérique et reconnaître qu’ils sont importants. Les images que nous partageons, les lieux physiques par lesquels nous transitons, les recherches que nous faisons, les choses que nous aimons : tout cela est actuellement la source de marchandisation des plateformes commerciales. Ces dernières ont compris que l’information que nous leur offrons a une grande valeur. Puisque dans une société capitaliste, valeur signifie argent, les plateformes nous monétisent, elles nous vendent au plus offrant au profit de la publicité commerciale ou politique; bref, « nous n’avons [plus] rien à cacher » [13]. Comment déjouer le système, alors que nous sommes entouré.e.s de technologies éminemment systémiques? Si nous réussissons à voir au-delà de l’éblouissante technologie avec laquelle les multinationales tentent de nous impressionner, nous pouvons apercevoir le réseau d’interdépendances qui se cache sous le développement technologique. Cela constitue le premier pas en vue de la construction de technologies plus justes, plus proches de nous et plus « affectueuses » qui résoudront des problèmes réels. Grâce à notre intelligence collective, nous avons la capacité radicale de construire chaque aspect de nos vies selon nos propres termes, à l’aide d’autres imaginaires et d’autres potentiels. « Si nous commençons par remettre en question la conception de la technologie et que nous lui enlevons sa neutralité et son objectivité supposées, nous réaliserons que la technologie devient une façon culturelle d’être et d’entrer en contact avec le monde; nous découvrirons aussi quelles relations de pouvoir font partie des réseaux et des discours sociaux » [14]. Une fois franchie cette première étape de questionnement, nous pouvons compter sur cette force bien connue des féministes : apprendre avec les autres et partager nos connaissances. Nous pouvons défendre Internet en tant que territoire que nous habitons et que nous pouvons transformer. Il ne s’agit pas seulement « d’être » là, il s’agit aussi de le faire à partir de la complexité de notre questionnement intérieur et de profiter des espaces numériques à l’aide des consœurs avec lesquelles nous apprenons et discutons, celles que nous « trouvons » grâce à l’écoute. Les propositions hackféministes actuelles partent de là. Pour moi, l’appropriation de la technologie ou, mieux encore, l’adoption de la technologie, est avant tout féministe. Nous ne les laisserons pas prendre les décisions qui concernent nos corps, nos êtres virtuels, ou les réseaux sociaux et les espaces numériques que nous habitons. Afin de pouvoir transformer les relations de pouvoir actuelles au sein des espaces numériques, nous devons nous permettre de « déconstruire » nos relations avec la technologie, nous permettre d’avoir « notre propre hébergement numérique », rencontrer d’autres personnes qui baignent dans le milieu technoféministe avec lesquelles nous pouvons partager nos expériences affectives, de lutte et de célébration, nous permettre de nous amuser, d’apprendre et de nous tromper. Continuons à sortir des sentiers battus.   Traduction par Valérie Martel   Illustration par Kéfir, Tierra Común & Sursiendo  
Notes [1] Revue Chasqui. « La cara oculta de la sociedad de la información: el impacto medioambiental de la producción, el consumo y los residuos tecnológicos », en ligne : http://www.revistachasqui.org/index.php/chasqui/article/view/3321/2975 (page consultée en septembre 2018). [2] La fabrication d’un seul téléphone intelligent nécessite plus de 200 minéraux, 80 éléments chimiques et plus de 300 alliages et variétés de plastique. Les minéraux métalliques les plus utilisés sont le cuivre, l’étain, le cobalt, le nickel, le coltan, l’or et l’argent. La plupart de ceux-ci sont surnommés « minerais du sang » et ils sont généralement extraits sur les terres des pays du Sud parce qu’ils y sont abondants, mais aussi parce que les conditions d’extraction y sont favorables : faibles exigences de sécurité; permis environnementaux très faciles à obtenir; laxisme concernant le travail des enfants; présence de groupes armés « légaux » dans les capitales, etc. Les conditions de travail dans toute la chaine de production (extraction, fabrication, assemblage, transport, vente) sont peu ou pas différentes de celles présentes dans les maquiladoras. De plus, ce sont le plus souvent les femmes qui souffrent des conséquences de ces conditions. [3] Idem [4] Genbeta. « Sean Parker, primer presidente de Facebook : la red social explota una «vulnerabilidad» humana », en ligne : https://www.genbeta.com/redes-sociales-y-comunidades/sean-parker-primer-presidente-de-facebook-la-red-social-explota-una-vulnerabilidad-humana (page consultée en septembre 2018). [5] TED Talks. « Eli Pariser : Beware online ‘filter bubbles’ », en ligne : https://www.ted.com/talks/eli_pariser_beware_online_filter_bubbles (page consultée en septembre 2018). [6] Internet es Nuestra MX. « #FalsaProtección Cuatro errores que se deben evitar al combatir la violencia en línea », en ligne : http://internetesnuestra.mx/post/158075258118/falsaproteccio-n-cuatro-errores-que-se-deben (page consultée en septembre 2018). [7] Sursiendo, Comunicación y Cultura Digital. « Software libre más allá de la libertad », en ligne : https://sursiendo.com/blog/2014/06/software-libre-mas-alla-de-la-libertad/ (page consultée en septembre 2018). [8] CCCB Lab, Investigación e Innovación en Cultura. « Una revolución educativa », en ligne : http://lab.cccb.org/es/una-revolucion-educativa/ (page consultée en septembre 2018). [9] Radio Canada International. « Perfiles sombra de Facebook y como la red social te sigue hasta cuando has borrado tu cuenta », en ligne : http://www.rcinet.ca/es/2018/04/14/perfiles-sombra-de-facebook-y-como-la-red-social-te-sigue-hasta-cuando-has-borrado-tu-cuenta/ (page consultée en septembre 2018); Genbeta. « Una prueba demuestra que Facebook comparte tu «perfil sombra» con anunciantes », en ligne : https://www.genbeta.com/redes-sociales-y-comunidades/prueba-demuestra-que-facebook-comparte-tu-perfil-sombra-anunciantes (page consultée en septembre 2018). [10] Escobar, Arturo (2010). Territorios de diferencia. Lugar movimientos vida redes, Université de Caroline du Nord, Chapel Hill : Éditions Envión. [11] Silvia Gil, plática en la librería La Cosecha, dans le cadre du premier congrès féministe du Chiapas. [12] Respectivement : https://duckduckgo.com/, https://nextcloud.com/ et https://archive.org/; voir aussi : Sursiendo, Comunicación y Cultura Digital. « ¿Listas para decidir ? : ¡el software libre es para vos! », en ligne : https://sursiendo.com/blog/2016/05/lista-para-decidir-el-software-libre-es-para-vos/ (page consultée en septembre 2018). [13] Denken Über. « Facebook y Cambridge Analytica: sólo un síntoma de un problema más grande », en ligne : http://www.uberbin.net/archivos/derechos/facebook-y-cambridge-analytica-solo-un-sintoma-de-un-problema-mas-grande.php; Jérémie Zimmermann et la Parisienne Libérée. « Rien à cacher », en ligne : https://www.hooktube.com/watch?v=rEwf4sDgxHo&feature=youtu.be (page consultée en septembre 2018). [14] Andrade-Sastoque, Ernesto et Jiménez Becerra, Javier A. « Trayectoria socio-técnica de las relaciones entre extractivismo y desarrollo sostenible: el caso de la Colosa en Colombia », en ligne : http://www.elsalmon.co/2017/04/trayectoria-socio-tecnica-de-las.html (page consultée en septembre 2018).abc

La crise d’Hidroituango en Colombie et la Caisse de dépôt et placement du Québec

La situation des droits humains en Colombie s’est de nouveau détériorée depuis les dernières élections présidentielles ayant eu lieu au printemps 2018, entravant la consolidation de la paix et la transition vers une démocratie plus stable et inclusive. D’après le Bureau du médiateur (Defensoría del Pueblo), 311 leaders sociaux ont été assassiné.e.s sur l’ensemble du territoire colombien entre le 1er janvier 2016 et le 30 juin 2018 [1]. Ces centaines d’hommes et femmes encourageaient la participation et la démocratie dans leurs communautés. Dans le département d’Antioquia, où est situé le projet hydroélectrique Hidroituango, deux leaders communautaires et quatre proches d’activistes de la région ont été assassinés à ce jour depuis l’élection du Président Iván Duque. Tous ces crimes risquent fort de demeurer impunis : des 563 meurtres de leaders et de défenseur.e.s des droits humains qui ont eu lieu entre 2009 et 2017 en Colombie, seulement 6 % ont fait l’objet d’une enquête [2]. À 170 kilomètres au nord de Medellín, le barrage Hidroituango est le projet hydroélectrique le plus ambitieux du pays. Le site se trouve à proximité du village d’Ituango, niché dans un canyon du Cauca, le deuxième fleuve en importance de la Colombie. Les premières études d’exploitation datent de 1969, mais le projet prend réellement forme dans les années 1990. Malgré les nombreuses critiques, principalement liées à l’environnement, la construction débute en 2010. Les travaux sont réalisés par le consortium CCC Ituango, composé d’entreprises brésiliennes et colombiennes. Bien que les promoteurs du projet promettent de produire de l’énergie propre pour répondre à 1/5 de la demande nationale, le projet est l’objet de nombreuses controverses. En effet, le chantier pose de graves problèmes en raison de son impact sur l’environnement et sur les communautés de la région. Rios Vivos, un mouvement national de défense des droits humains composé d’organisations et de familles affectées par l’industrie extractive en Colombie, fait valoir que l’ampleur de la tragédie est beaucoup plus grande que ce qui est présenté dans la plupart des médias de masse. Le mouvement soutient également que les autorités colombiennes et les entreprises d’investissement ont manqué de clarté quant à ce mégaprojet. Les principaux actionnaires et responsables du barrage sont le groupe Entreprises Publiques de Medellín (EPM) et le gouvernement d’Antioquia, mais de nombreux investisseurs étrangers dont la Caisse de dépôt et placement du Québec sont également impliqués dans le financement de Hidroituango. Un barrage qui risque aussi de noyer la justice et la paix Entre 1980 et 2016, 62 massacres ont été perpétrés par les paramilitaires dans les douze municipalités autour du futur barrage; entre 300 et 600 corps seraient enterrés dans le canyon. Des victimes ont également été jetées dans le fleuve Cauca depuis le pont Pescadero, aujourd’hui lieu de mémoire et de recueillement. Les familles des victimes réclament justice et vérité avant que la zone ne soit inondée par le barrage, de même que l’exhumation des fosses communes, tel que prévu dans les accords de paix [3]. La Cour suprême de justice de la Colombie a qualifié de crimes contre l’humanité certains événements ayant eu lieu dans la zone rurale de Ituango, dont les massacres de la Granja et San Roque (1996) et El Aro (1997), tout comme l’assassinat de Jesús María Valle Jaramillo (1998), qui était à l’époque l’un des défenseurs des droits humains les plus connus d’Antioquia [4]. À la demande d’une magistrate du Tribunal de Justice et Paix, une enquête ouverte en 2011 étudie notamment les liens entre les crimes commis depuis les années 1990 et la construction du barrage [5]. Plusieurs organisations de défense des droits humains demandent le respect du droit à la vérité pour les victimes du conflit dans la région du projet Hidroituango afin d’établir si davantage de corps y sont enterrés et, si tel est le cas, faire en sorte que les droits des victimes soient une priorité, conformément à l’accord de paix. La Caisse de dépôt et placement du Québec et le financement d’Hidroituango La Banque interaméricaine de développement (BID) a accordé à l’entreprise publique colombienne EPM un prêt total d’un milliard de dollars états-uniens pour la construction d’Hidroituango. La Caisse de dépôt et placement du Québec, en tant que membre du groupe de prêteurs régis par la BID, a pour sa part accordé un prêt de 313 millions de dollars canadiens à EPM. Dans le communiqué émis pour annoncer l’investissement, la Caisse prétend financer une entreprise « dispos[ant] d’une grande expérience et d’une excellente réputation », et affirme que cette transaction va de pair avec la volonté de la Caisse d’investir dans un projet qui « propose des solutions en énergie renouvelable » [6]. Bien entendu, la Caisse n’a jamais fait mention des droits humains et des conséquences négatives du projet sur les communautés, notamment sur les femmes, telles que la violence, les dommages faits à l’environnement et les problèmes liés aux erreurs d’ingénierie (et à la corruption sous-jacente). Catastrophe sociale et environnementale À la fin avril 2012, face aux crues du fleuve Cauca, l’alerte est lancée. Le 12 mai, un éboulement obstrue le tunnel qui permet au fleuve de s’écouler alors que la digue du barrage est toujours en construction. Craignant un glissement de terrain, 25 000 personnes sont évacuées entre le 12 mai et le 1er juin. En cas d’effondrement du barrage, ce sont 130 000 personnes qui pourraient être affectées [7] [8]. Depuis de nombreuses années, l’organisation régionale Ríos Vivos Antioquia dénonce les menaces et les risques du projet. Des irrégularités ont été constatées dès les études d’impacts sociaux, culturels, environnementaux et économiques du projet. Tout d’abord, en raison d’une faille géologique, la zone où le barrage est construit n’est pas adaptée. La situation d’urgence était donc clairement prévisible [9]. De plus, le choix de l’entreprise de construction brésilienne Camargo Correa a été fortement critiqué; représentant 55 % du consortium CCC Ituango, Camargo Correa est impliquée dans l’opération « Lava Jato », le scandale de corruption le plus important de la dernière décennie en Amérique latine [10]. En mai 2018, le bureau du procureur général de la Nation a ouvert une enquête quant aux conditions d’attribution du contrat d’Hidroituango à l’entreprise brésilienne, notamment pour examiner la possibilité que des pots-de-vin aient été offerts à des fonctionnaires [11]. L’enquête examine également les dénonciations de Ríos Vivos ayant trait aux dommages à l’environnement et aux atteintes aux droits humains dans la région touchée [12]. L’une des violations des droits humains les plus emblématiques dans la crise d’Hidroituango est l’assassinat d’Ana María Cortés, survenu le 4 juillet 2018. Cette leader communautaire reconnue dans la région s’était activement engagée dans l’aide aux personnes déplacées et affectées par le barrage. Dans le cadre des élections présidentielles, elle s’était également investie en faveur de la campagne de Gustavo Petro, le candidat de gauche. Elle était mère de deux enfants et avait sa mère à sa charge. Ana María Cortés fait partie des nombreux leaders assassiné.e.s depuis les élections présidentielles, moment à partir duquel on observe une recrudescence des crimes contre des activistes. Le 6 juillet 2018, des milliers de Colombien.ne.s se sont rassemblé.e.s dans différentes villes du pays afin de protester contre l’intimidation, les disparitions et les attentats dirigés contre les leaders sociaux. Des rassemblements ont aussi eu lieu ce jour-là à l’extérieur de la Colombie. Ríos Vivos Antioquia a perdu en mai 2018 deux de ses membres : Hugo Albeiro George Perez, assassiné en même temps que son neveu, et Luis Alberto Torres assassiné avec son frère [13]. En septembre, ce sont les proches de trois leaders qui ont été tués : deux membres de la famille de Cecilia Muriel, le neveu de Rubén Areiza Moreno et le fils de Juan de Dios Ramírez. Le 26 octobre, Ríos Vivos a rendu publique une lettre de menaces reçue par l’organisation à l’encontre de ses membres, particulièrement dirigée à Genaro de Jesús Graciano et Isabel Cristina Zuleta [14], deux leaders et porte-paroles de l’organisation. La Caisse de dépôt et placement du Québec doit cesser son soutien à Hidroituango Étant donné la tragédie environnementale et sociale engendrée par le mégaprojet Hidroituango et les violations des droits des populations locales par le biais d’actions répressives qui limitent la participation et l’organisation sociale dans la région, l’appui d’une institution québécoise telle que la Caisse de dépôt et placement est préoccupant. Le financement de projets ne peut faire fi du contexte dans lequel ils sont mis en œuvre et de leurs conséquences sociales et environnementales. Alors que le gouvernement canadien déclare son soutien au processus de paix en Colombie [15], ce financement va à l’encontre du processus de réconciliation. La Caisse de dépôt et de placement du Québec doit clarifier sa position en ce qui a trait à la situation de crise dans le département d’Antioquia. Le 13 juin dernier, dix-neuf organisations du Québec, du Canada et de l’Amérique latine ont fait parvenir à la Caisse de dépôt et de placement, à l’Ambassade de la Colombie au Canada et au Consulat de la Colombie à Montréal une lettre exigeant :
  • Que la Caisse de dépôt et de placement du Québec cesse d’appuyer, par son financement, des mégaprojets qui génèrent des impacts socioenvironnementaux graves et qui vulnérabilisent les droits humains, tel qu’est le cas du projet Hidroituango.
  • Que soient offertes de l’assistance et des garanties de sécurité aux populations affectées.
  • Que la licence environnementale du mégaprojet soit suspendue et annulée, une fois l’urgence contrôlée, comme l’ont demandé les organisations locales.
  • Qu’une enquête rigoureuse soit effectuée concernant les assassinats survenus dans la zone concernée et que soient punies les personnes qui ont exécuté ces crimes et celles qui les ont planifiés.
  • Que soient garantis la protection, la sécurité et les droits de ceux et celles qui défendent l’eau, la terre et l’environnement dans le canyon de la rivière Cauca.
Une vigile en solidarité avec les communautés affectées et leurs revendications a eu lieu ce jour-là devant les bureaux de la Caisse de dépôt et de placement à Montréal, où la lettre avait été remise en main propre à une membre du comité de direction. Au moment d’écrire ces lignes, la Caisse de dépôt et placement ne s’est pas prononcée sur le sujet. Les communautés, réunies au sein de Ríos Vivos Antioquia, continuent de consolider et de construire des alliances afin de poursuivre leur lutte pour la reconnaissance des impacts environnementaux, socioculturels et économiques du projet Hidroituango et pour la justice et la réparation pour toutes les populations affectées par ce mégaprojet. Au Canada comme à l’international, il faut continuer de dénoncer et de mettre en lumière les investissements dans des projets dévastateurs de la part de grandes institutions financières telles, que la Caisse de dépôt.   Photo : Courtoisie des auteur.e.s  
Notes [1] Defensoría del Pueblo. « Homicides de leaders sociaux et de défenseurs des droits humains », en ligne : http://www.defensoria.gov.co/es/public/contenido/7399/Homicidios-de-l%C3%ADderes-sociales-y-defensores-de-DDHH.htm (page consultée en juillet 2018). [2] « Impunidad : solo 48 sentencias de más de 600 líderes asesinados ». Semana, 24 septembre 2018, en ligne : https://www.semana.com/nacion/articulo/impunidad-solo-48-sentencias-de-mas-de-600-lideres-asesinados/584300 [3] Contagio Radio. « 62 massacres dans les municipalités où se développe le projet Hidroituango », en ligne : http://www.contagioradio.com/62-masacres-los-12-municipios-donde-se-desarrolla-proyecto-hidroituango-articulo-50767/ et « Mémoire et résistance dans le canyon du fleuve Cauca », en ligne : http://www.contagioradio.com/memoria-y-resistencia-en-el-canon-del-rio-cauca/ (pages consultées en octobre 2018). [4] El Espectador. « Sont déclarés crime contre l’humanité les massacres de El Aro et La Granja, et l’assassinat de Jesús María Valle », en ligne : https://www.elespectador.com/noticias/judicial/declaran-de-lesa-humanidad-masacres-del-aro-y-la-granja-y-el-homicidio-de-jesus-maria-valle-articulo-791899 (page consultée en octobre 2018). [5] Verdad Abierta. « Une enquête étudiera si les ‘paras’ ont soutenu le projet Hidroituango », en ligne : https://verdadabierta.com/investigaran-si-paras-favorecieron-proyecto-hidroituango/ (page consultée en octobre 2018). [6] La Caisse de dépôt et placement du Québec. (2018). La Caisse appuie EPM, un producteur et distributeur d’électricité de premier plan en Colombie, 11 janvier, en ligne : https://www.cdpq.com/fr/actualites/communiques/la-caisse-appuie-epm-un-producteur-et-distributeur-delectricite-de-premier (page consultée en octobre 2018). [7] Le Point International. « Centrale Hidroituango en Colombie : l’entreprise accusée de minimiser l’urgence », en ligne : https://www.lepoint.fr/monde/centrale-hidroituango-en-colombie-l-entreprise-accusee-de-minimiser-l-urgence-05-06-2018-2224461_24.php (page consultée en octobre 2018). [8] El espectador. « Si Hidroituango s’effondre, l’avalanche occasionnée pourrait être pire que celle d’Armero », en ligne : https://www.elespectador.com/noticias/nacional/si-colapsa-hidroituango-puede-haber-una-avalancha-peor-que-la-de-armero-articulo-789058 (page consultée en octobre 2018) [9] Movimiento Ríos Vivos. « Le fleuve Cauca doit être libéré et les communautés doivent être écoutées », en ligne : https://riosvivosantioquia.org/573-2/ (page consultée en octobre 2018). [10] Le Point International. Op. Cit. [11] El Tiempo. « Le procureur de la nation enquête des paiements à fonctionnaires pour le contrat d’Hidroituango », en ligne : https://www.eltiempo.com/justicia/investigacion/fiscalia-investiga-adjudicacion-del-contrato-de-hidroituango-218880 (page consultée en octobre 2018). [12] Procureur général de la nation. « Le procureur suit trois lignes d’enquête par rapport aux contrats et à la construction d’Hidroituango », en ligne : https://www.fiscalia.gov.co/colombia/seccionales/fiscalia-trabaja-tres-lineas-de-investigacion-por-contratacion-y-construccion-de-hidroituango/ (page consultée en octobre 2018). [13] Front Line Defenders. Communiqué du 25 septembre 2018, en ligne : https://www.frontlinedefenders.org/sites/default/files/colombia_-_ua_-_movimiento_rios_vivos_-_26_sep_2018_es.pdf (page consultée en octobre 2018). [14] Movimiento Ríos Vivos. Communiqué du 24 septembre 2018, en ligne : https://riosvivosantioquia.org/asesinan-a-familiares-de-integrantes-del-movimiento-rios-vivos-antioquia/ et « Ríos Vivos Antioquia reçoit une menace collective et individuelle contre ses leaders fondateurs », en ligne : https://riosvivosantioquia.org/movimiento-rios-vivos-antioquia-recibe-amenaza-colectiva-e-individual-hacia-sus-lideres-fundadores/ (pages consultées en octobre 2018). [15] Gouvernement du Canada. « Le Canada appuie le processus de paix en Colombie et aide les personnes touchées par le conflit », en ligne : https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2016/07/le-canada-appuie-le-processus-de-paix-en-colombie-et-aide-les-personnes-touchees-par-le-conflit.html (page consultée en octobre 2018).abc

Combattre ensemble notre ennemi commun

Vendredi soir, à Montréal. Une grande table, un plancher qui craque, un écran, un projecteur, deux bouteilles de vin. Autour de la table, une poignée de femmes aux traits tirés. La semaine a été longue, comme d’habitude. Parce que pour ces femmes, leur emploi est bien plus qu’un simple 9 à 5. Toutes les semaines sont longues quand on se bat pour sauver le monde. Ces femmes ont un point en commun : elles travaillent ou militent toutes pour des organisations de sauvegarde de l’environnement. Au Québec, le milieu environnemental est rempli de femmes. Elles organisent des manifestations, gèrent des communautés virtuelles, lancent des pétitions, interpellent des élu.e.s, tiennent des kiosques, présentent des conférences, donnent des formations, répondent aux questions des journalistes, bâtissent des relations avec des partenaires, rédigent des demandes de financement, organisent des réunions stratégiques et mettent en œuvre des campagnes de grande envergure. Elles façonnent des luttes à partir de rien. Elles ont été de toutes les batailles contre l’extractivisme depuis quelques années. Elles ont empêché la construction de l’oléoduc Énergie Est que TransCanada voulait passer sur le territoire pour exporter son pétrole issu des sables bitumineux. Elles sont montées aux barricades contre l’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti. Elles ont stoppé l’industrie du gaz de schiste dans la vallée du fleuve Saint-Laurent. Elles sont partout, tout le temps. Malgré l’omniprésence de ces femmes dans les luttes passées et actuelles, leur travail se déroule la plupart du temps dans l’ombre. Les organismes environnementaux québécois sont encore majoritairement gérés par des hommes : ils sont les directeurs généraux, les présidents et les porte-paroles de la plupart des organisations les plus connues. La lutte contre l’extractivisme et pour la protection de l’environnement est donc un domaine très féminin à sa base, mais encore très masculin à son sommet. Et cela est vrai partout dans le monde, pas seulement au Québec. Les femmes ont encore et toujours moins accès aux sphères décisionnelles environnementales, que ce soit à la tête des délégations environnementales internationales, des grandes institutions environnementales, des partis verts et des ministères de l’environnement au niveau national. Pourtant, les femmes jouent un rôle important, bien que souvent invisible, dans la protection de l’environnement et la lutte contre l’extractivisme. Les femmes sont les héroïnes méconnues de la sauvegarde de la planète. D’où la rencontre de ce groupe de femmes un vendredi soir à Montréal. Il y a un an, elles ont décidé de créer un petit comité informel de soutien, de formation et d’échanges exclusivement féminin. Ces héroïnes veulent prendre en main leur avenir – et celui de la planète. Elles suivent des formations sur les relations avec les médias, les demandes de subvention et le leadership. Elles se servent aussi de leurs rencontres comme d’un safe space [1] où elles peuvent décompresser, parler de leur expérience en tant que femme dans le milieu environnemental, s’offrir des conseils et des mots d’encouragement. Entre deux gorgées de vin, elles parlent des blagues de vieux « mononcles » qu’elles entendent dans les réunions, des commentaires sur leur apparence et des messages haineux qu’elles reçoivent. Elles parlent aussi de leurs angoisses pour la suite du monde, de leur syndrome de l’imposteur et du principe de la Schtroumpfette[2]. Entre leurs rencontres, elles s’écrivent pour féliciter l’une sur sa dernière sortie médiatique ou pour remonter le moral d’une autre qui a une dure semaine. Alors que le système patriarcal encourage les femmes à se battre entre elles pour gagner leur place parmi les hommes, ces quelques femmes ont réussi à se libérer de cette compétition malsaine. Plutôt que de chercher à être LA femme au sommet, elles ont décidé de travailler toutes ensemble pour faire grandir l’influence des femmes dans le mouvement environnemental québécois. Ces femmes ont compris qu’elles ont non seulement toutes à gagner en se solidarisant, mais que la planète entière a intérêt à ce que les femmes unissent leurs forces pour lutter contre le système qui exploite à la fois leurs corps et la nature. Malgré cette solidarité féminine grandissante au sein du mouvement environnemental, on ne parle pas encore assez au Québec des liens inextricables entre le patriarcat et l’extractivisme. Pourtant, même dans un pays comme le Canada, les femmes comme les écosystèmes n’échappent pas à la domination masculine. Le corps des femmes québécoises est lui aussi vu comme une simple matière première que les hommes peuvent acheter, échanger et objectiver. Ici, le corps des femmes peut même servir à vous faire élire chef de parti ou premier ministre! En s’outrant devant le voile musulman porté par certaines femmes, les politiciens québécois soufflent sur les braises de l’islamophobie et détournent le débat public des enjeux importants. Nombreux sont les sujets utilisés par l’élite politique pour saturer les débats d’enjeux peu importants, mais l’habillement de certaines femmes est de plus en plus utilisé à cette fin au Québec. Quand les politiciens québécois parlent de l’égalité des sexes, ils parlent surtout de la façon dont les femmes musulmanes devraient s’habiller. Pourtant, pour réellement aider les femmes, ces « grands défenseurs » faussement féministes auraient plutôt intérêt à mettre en place des politiques qui protégeraient les dizaines de milliers de femmes victimes chaque année de violence conjugale et sexuelle, ainsi que des mesures pour retrouver et rendre justice aux milliers de femmes autochtones disparues et assassinées. Partout dans le monde, on peut voir les effets dévastateurs du système qui exploite les femmes et la Terre. Et les pays occidentaux comme le Canada n’y échappent pas. Ici aussi, les femmes sont sous-payées, leur travail est souvent invisible et elles ne sont pas reconnues comme des actrices économiques et politiques à part entière. Ici aussi, les communautés qui vivent de l’exploitation des ressources, que ce soient les sables bitumineux de l’Alberta ou les mines du Nord du Québec, sont aux prises avec des problèmes d’agressions sexuelles, de prostitution et de violence conjugale et familiale, particulièrement au sein des communautés autochtones. Même dans un pays qui se targue d’être égalitaire, les femmes, surtout celles qui sont racisées, sont les premières victimes de la violence du système extractiviste. Il est donc essentiel que les Québécoises incorporent l’écoféminisme dans leur discours pour la sauvegarde de l’environnement, puisque les luttes écologistes et féministes sont étroitement liées. Après tout, elles ont le même ennemi : le système contrôlé par les hommes qui domine et exploite les femmes et la nature.   Photo : Rencontre « Femmes et extractivisme », septembre 2015. Photographie par le CDHAL  
Notes [1] Un safe space est un espace sûr qui permet aux personnes qui vivent des oppressions de se réunir entre elles pour pouvoir parler de leurs expériences sans craindre d’être attaquées, tournées en ridicule ou de voir leur expérience niée. [2] Le principe de la Schtroumpfette est la tendance qu’ont les œuvres de fiction de présenter un seul personnage féminin accompagné de plusieurs personnages masculins. Plus largement, ce principe s’applique aussi aux sphères décisionnelles qui incluent souvent une seule femme entourée d’hommes.abc

Ají Chombito

Aux mères de la révolution Kuna (1925)[2] Tu m’as dérobé l’histoire mes robes, où font-elles naufrage? pourquoi as-tu terni l’éclat de mes alliances? tu as pillé l’or de mes narines arraché mon plastron craché sur mon pays Dule Uwargandup ouragan de feu famille en déroute gouttes de sang qui se dispersent dans un ADN qui n’est plus le même la débâcle coloniale a interrompu et réduit en miettes la joie ma fête de la puberté. Moi flambeau du siècle vingt croyant aux colonialismes acte de bonne foi tisseuse d’histoires vendant mes enfants à la Patrie des policiers coloniaux mendiants d’éducation m’ont arraché le cœur comme la sica[3] du fleuve Azúcar ils ont bu mon sang et je me suis assumée pillée Pourquoi? histoire me sachant gardienne de ta gloire m’as-tu volé le sommeil serait-ce pour punir mon irrévérence? et quand je n’ai pas dansé tu m’as violée colon de merde tu es née femme révolution ají chombito chemin rebelle machette levée on met en péril mon caoutchouc on crible mon sable depuis il faut filer la culture avec des retailles de couleur. Mon travail résister résister résister.   Traduction par Matthias Gagnon et Joëlle Gauvin-Racine  
[1] Piment fort typique du Panama [2] Le 20 avril 1921, les autorités coloniales de Narganá et de Corazón de Jesús forcent toutes les femmes autochtones à enlever leurs vêtements et accessoires traditionnels. Toutes, sauf une, qui fuit vers son village natal d’Urwagandup (Río Azúcar). En guise de représailles, des membres de sa famille sont faits prisonniers et des policiers coloniaux et autochtones sont envoyés la chercher. Les autorités de Río Azúcar refusant de livrer la fugitive, une bataille éclate, faisant des morts dans les deux camps. Le climat d’hostilité perdure jusqu’en 1925, quand les Kunas se rebellent contre les autorités panaméennes et proclame l’indépendance de la République Dule. Le 4 mars 1925, les insurgés signent avec le gouvernement un accord de paix garantissant le respect des coutumes autochtones et leur égalité en droit avec les autres citoyens du Panama. [3] La sica est le type de sable qu’on retrouve à Kuna Yala, qui a été exploité par les colonisateurs pour réaliser des ouvrages et travaux de construction.abc

Femmes tisserandes : Alternatives à un système de pillage et de spoliation. Rencontre avec Yira Urzola, jeune leader sociale colombienne

– Grand-maman, comment peux-tu avoir autant de patience quand tu tisses avec tes fils? – C’est comme la vie. Si tu t’arrêtes sur les fils, ça semble un chaos qui n’a ni sens ni relation; mais si tu gardes en tête la toile que tu es en train de créer, tout l’ouvrage aura du sens, même quand c’est enchevêtré. Expression de la sagesse des femmes tisserandes Elles ont été si nombreuses et oubliées, les femmes tisserandes d’un monde plus juste et plus solidaire, capables de mener leurs luttes de front et sans hésitation contre le capitalisme et le patriarcat. Il est de notre devoir de les faire connaître. Les femmes tisserandes, comme nous les appellerons, sont des femmes capables de tenir tête aux patrons, aux chefs, aux maris, aux lois qui bafouent leurs droits, leurs voix, leurs mémoires collectives. Les tisserandes ont été des milliers à travers le monde à nous léguer leurs paroles et leurs aspirations pour un monde plus égalitaire et respectueux de la dignité de la vie. Yira Urzola, une tisserande de paix Tel est le cas de Yira Urzola, une femme colombienne de 26 ans née dans la municipalité de Sincelejo, capitale du département de Sucre. Ayant comme nom légal Yira Días Urzola, elle a adopté le nom de sa mère comme une revendication historique et symbolique face à un système dans lequel l’homme est l’être principal et prépondérant. Même si cela peut sembler n’être qu’une action de portée limitée, issue d’un sentiment personnel, le fait de se faire appeler Yira Urzola s’inscrit dans une liste de revendications majeures qui nous concernent toutes, peu importe notre provenance ou notre devenir. Originaire de la campagne, d’une structure familiale autochtone, comme elle le dit elle-même, Yira est la fille d’une défenseure de la vie et des droits des femmes. Pour elle, la campagne constitue un terrain de lutte et de transformation où « les femmes ne sont pas faites que pour s’occuper des enfants ». Toutes les femmes, dans tous les espaces, publics et privés, sont des sujets politiques, ayant des droits et des devoirs collectifs. Depuis qu’elle a 15 ans, Yira travaille avec la Fédération nationale syndicale unitaire (Federación Nacional Sindical Unitaria, Fensuagro). Fensuagro est une organisation syndicale colombienne active depuis plus de 40 ans. L’engagement de l’organisation se manifeste non seulement au sein du secteur paysan, mais aussi dans le secteur agroindustriel et celui du droit à l’affiliation syndicale. Yira revendique avec courage : « je me considère fensuagrista, j’ai débuté en appuyant l’équipe nationale des femmes, puis l’équipe nationale et ensuite, la formation ». Elle connaît également de près le travail de la Jeunesse communiste colombienne (Juventud Comunista Colombiana). Elle s’est formée idéologiquement comme militante en analysant la lutte de classes et, d’une façon plus dialectique, la lutte de classes autochtone, paysanne et syndicaliste, qui n’est qu’une seule lutte. Extractivisme et résistance Parler d’extractivisme implique tout d’abord de parler de territoires, de lieux, sur des continents qui ont été historiquement saccagés comme l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine. Cela implique ensuite de parler d’êtres humains, de femmes et d’hommes défenseur.e.s d’une vie décente, qui cherchent un réel équilibre avec la nature, l’eau et les petits êtres vivants presque imperceptibles à l’œil humain. En ce sens, « nous, à Fensuagro, avons dit non à l’extractivisme » commente Yira. Car cette façon de faire de l’économie « ne fait pas attention à la nature mais l’appauvrit et la ravage, alors que nous sommes des êtres dépendants de la nature ». Il n’est plus à démontrer que l’Amérique latine est un endroit stratégique pour le Nord. Un premier saccage commis il y a plus de 500 ans par la Couronne espagnole a altéré le système de valeurs en place au profit de valeurs étrangères, déconnectées de la vie, qui s’inscrivent dans une dynamique de trahison à la terre. Nous sommes maintenant en présence d’un autre saccage massif, avec une infrastructure qu’envierait Henry Ford lui-même pour ses profits et ses bas coûts d’investissement, et que des gouvernements comme celui de la Colombie ont toujours appuyé. La Colombie possède d’importantes ressources naturelles d’or, de nickel, d’argent, de platine, de cuivre, de charbon et d’émeraudes, qui sont aisées à exploiter vu la position stratégique du pays au sein du continent latino-américain. Le pays dispose aussi d’une sortie vers l’océan Pacifique et l’océan Atlantique, tout comme d’une connexion à la mer des Caraïbes, ce qui en fait une interface idéale entre l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord. À plusieurs reprises, « les trans-nationales ont été responsables de violations répétées aux droits humains, comme le démontre l’exemple de la compagnie Cerrejón dans la Guajira. L’entreprise a réalisé la plus grande exploitation de carbone du pays et fait dévier le lit des rivières, ce qui a généré, avec le passage du temps, une grande catastrophe environnementale et alimentaire ». Tout ce saccage est approuvé et encouragé par des organisations telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et même l’Organisation des Nations unies, affirme Yira avec une voix forte et naturelle. « Nous, à Fensuegro, disons qu’il s’agit d’un théâtre de protocoles et d’appuis à des politiques qui n’ont rien à voir avec le travail et la défense des peuples, et il en va de même de la Banque interaméricaine de développement et de tant d’autres... ». Elle poursuit son analyse : « Ici, nous sommes en présence d’un terrain de lutte ». Nombreuses en effet sont les communautés qui créent leurs propres dynamiques, où se consolident des stratégies adéquates permettant la résistance. Les luttes contre l’extractivisme Les luttes qui sont particulièrement actives en Colombie sont des luttes qui touchent directement les communautés, en lien avec des enjeux comme la sécurité alimentaire, la substitution volontaire de cultures illicites, les pesticides, les semences transgéniques, les projets miniers et hydroélectriques, la privatisation du fleuve Magdalena, l’eau potable et la défense des droits humains, pour nommer quelques exemples. Une des caractéristiques du contexte colombien est le conflit armé interne qui sévit depuis plus de 60 ans. En raison du conflit, les communautés doivent faire face, d’un côté, aux gouvernements qui servent les intérêts nord-américains, de l’autre aux multinationales, et finalement aux groupes armés, plusieurs de ceux-ci payés par de grandes entreprises internationales qui consolident ainsi le contrôle paramilitaire. « Le pays s’est intégré aux dynamiques internationales de mondialisation économique, financière et commerciale, mais dans un climat de violence de nature autant étatique que paraétatique ». Face à cela, les communautés s’organisent depuis plusieurs décennies. Comme l’explique Yira, celles-ci réalisent des actions concrètes : « des barrages sur les routes, sur les autoroutes ». Mais avant tout, « des espaces de discussion sont mis en place, au sujet de la politique que nous voulons, de la politique qui nous a causé du tort; je crois que mon invitation serait de promouvoir des espaces de formation politique, idéologique et féministe. Nous avons toujours été vulnérables faute de formation, d’accès à l’information, et je crois que l’appel consiste précisément à ce que nos leaders, hommes et femmes, tant aux plans local, régional, national et qu’international, continuent à se documenter et à s’informer ». Yira va plus loin que la bureaucratie qui caractérise les gouvernements comme celui de la Colombie; elle propose des exercices : « qui transcendent les tâches à accomplir et ne restent pas seulement des mesures sur papier, mais qui soient des actions et des territoires de résistance et de lutte. En agriculture, nous misons sur la réforme agraire démocratique intégrale ou la réforme agraire démocratique et populaire ». Le gouvernement colombien n’aura jamais la volonté de respecter la vie et les communautés. En ce sens, les communautés continueront d’entreprendre des actions pour revendiquer la dignité de la vie et des territoires. Conclusions Parler d’extractivisme, c’est nécessairement parler de la lutte pour la terre et pour les ressources dispensées par la Terre-Mère, affirme Yira. L’élaboration de stratégies de résistance et de lutte propres à chaque territoire est essentielle. Dans le même sens, la jeune Urzola ajoute : « Il faut y aller graduellement à partir des mouvements sociaux, paysans et autochtones, à partir de tous les secteurs de la société civile en Amérique latine. Il nous faut nous définir avec toujours plus de fermeté et rechercher des solutions réelles et concrètes ». La défense du territoire est la défense de la vie humaine. « Les êtres humains dépendent de l’environnement dans lequel ils vivent. Un environnement sécuritaire, propre, sain et durable est essentiel pour la pleine jouissance d’une vaste gamme de droits humains; parmi eux, les droits à la vie, à la santé, à l’alimentation, à l’eau et à la salubrité. Sans un environnement sain, nous ne pouvons réaliser nos aspirations, ni même vivre à un niveau conforme aux conditions minimales de dignité humaine. En même temps, la protection des droits humains contribue à protéger l’environnement ». Le combat pour la vie dans la dignité, en harmonie avec l’écologie, est un scénario qui va à l’encontre du capitalisme et du patriarcat. Selon Yira, « ce sont nous, les femmes, qui historiquement avons résisté dans les campagnes et dans les villes, parce que justement, quand il y a une plus grande violence, ce sont les hommes qui en sont les premiers acteurs. Ce sont nous les femmes qui résistons et qui élaborons des propositions et des articulations dans le feu de la nécessité ». Yiro Urzola est une femme comme des centaines de milliers, capable de fonder et recréer de nouveaux espaces plus solidaires en créant des sororités. Elle nous invite avec sa voix ferme : « Nous, comme cette femme nouvelle, appelées à ne pas demeurer dans le souvenir de ce que nous avons été au cours de l’histoire ». Sinon tout le contraire : des femmes qui génèrent des initiatives organiques, idéologiques et avant tout humaines. Des femmes tisserandes.   Traduction par Andrée Boudreau   Photo : Nous espérons que toutes les femmes se joignent aux processus organisationnels pour construire un pays meilleur. Viotá, Cundinamarca. Mars 2018. Photographie par Camilo Raigozo  
Notes [1] Instituto Colombiano de Bienestar Familiar (2009). Tejiendo vínculos, Tejiendo sueños, Tejiendo vida desde la primera infancia. Promoción de la resiliencia familiar. Manual de agentes educativos. [2] Comité Permanente por la Defensa de los Derechos Humanos (2016). Déclaration écrite, 32e session du Conseil des droits humains des Nations unies, Genève, du 13 juin au 1er juillet, thème 3 de l’ordre du jour, en ligne : http://www.aipazcomun.org/wp-content/uploads/2016/06/CPDDH-Decl-escrit-El-Impacto-de-las-Transnacionales-y-Multinacionales-en-Colombia-sobre-el-MAmbiente-y-DDHH-juni-20161.pdf [3] Ibid. [4] Ibid. [5] Rapporteur Spécial sur les droits humains et l’environnement, John Knox, en ligne : http://www.ohchr.org/SP/Issues/Environment/SREnvironment/Pages/SRenvironmentIndex.aspxabc

ULAM : 10 ans de lutte et de résistance pour la défense des droits et de la Terre-Mère

Le Réseau international « Union latino-américaine de femmes » (Red latino-americana de mujeres, Red ULAM) est une alliance d’organisations populaires de femmes défenseures de la vie, des territoires, des biens communs, des droits et de la Terre-Mère fondée en 2008 dans la ville de Cuenca, en Équateur. La Red ULAM est actuellement composée d’associations qui travaillent dans des zones affectées par l’industrie minière et d’autres industries extractives au Venezuela, en Équateur, au Pérou et en Bolivie. Au cours de cette première décennie d’existence, nous avons créé des liens et des alliances avec diverses organisations à l’international. C’est ainsi que nous avons forgé, depuis longtemps déjà, un lien étroit avec le Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL), ainsi qu’avec d’autres organisations canadiennes. Cette relation nous a, entre autres, permis de participer à la Rencontre internationale « Femmes en résistance face à l’extractivisme » qui a eu lieu en avril 2018 à Montréal, où était présente la défenseure de droits humains Elsa Merma Ccahua, actuelle vice-présidente de la Red ULAM. En ces dix années de trajectoire, nous avons parcouru un chemin difficile. Nous nous trouvons néanmoins dans un moment de consolidation majeure, malgré les obstacles internes et externes que nous avons dû surmonter. C’est dans cette optique que nous considérons qu’il est important de partager quelques-unes des expériences vécues à travers ce processus d’organisation, en tant que femmes d’organisations populaires qui affrontons au quotidien les attaques des entreprises et qui sommes directement affectées par tout le conflit socioenvironnemental généré par l’extractivisme, particulièrement par l’industrie minière. Nous parvenons malgré tout à résister, en unissant nos efforts et notre solidarité au sein de la Red ULAM. Contexte dans lequel émerge la Red ULAM Depuis la fin du XXe siècle, l’expansion de l’industrie extractive en Amérique latine a mis de grandes parcelles du territoire entre les mains des entreprises sous la forme de concessions, à des fins d’exploration et d’exploitation de minéraux, du pétrole, du bois, et pour la construction de barrages hydro-électriques et d’autres méga-infrastructures. L’arrivée intrusive des entreprises, pour la plupart transnationales, a généré des conflits socioenvironnementaux qui ont contribué à ce que les pays hôtes adaptent leurs législations afin de faciliter l’invasion des territoires. Ceci s’est fait en violant des droits considérés comme fondamentaux par les peuples autochtones, comme celui de l’autodétermination et de la consultation préalable, libre et éclairée. Les populations vivant sur les territoires sous concession, tout comme celles qui ont commencé à mettre en évidence les impacts socioenvironnementaux de l’extraction des ressources et de l’exploitation des biens communs, ont mis en place des processus de résistance qui constituent actuellement un des mouvements les plus dynamiques en Amérique latine. Nous, les femmes, avons toujours été aux premières lignes de la résistance, jouant un rôle majeur au sein de ces mouvements. Ce rôle a toutefois été rendu invisible par les leaderships masculins. Dans plusieurs cas, le rôle joué par les femmes a été nié, et leur participation entravée et réprimée par le poids des structures patriarcales qui prévalent toujours, lesquelles sont renforcées par l’extractivisme, générant encore davantage de violence, y compris dans notre vie privée (familiale) et dans la sphère communautaire. C’est dans ce contexte que nous, des femmes de partout en Amérique latine, nous sommes mises en quête d’espaces qui nous soient propres, afin de nous exprimer avec plus de force et nous unir pour renforcer la défense des droits et celle de la Terre-Mère. Ainsi, diverses initiatives sont nées dans toute la région. La Red ULAM est l’une d’entre elles. Pour les organisations communautaires de femmes dont nous faisons partie, elle est devenue un élément fondamental dans notre lutte et notre résistance. Fondation de la Red ULAM La Red ULAM a été créée lors de la Rencontre latino-américaine de femmes leaders « Pour le droit à défendre nos droits », qui a eu lieu dans la ville de Cuenca, en Équateur, du 27 mars au 1er avril 2008. Femmes du Guatemala, du Venezuela, du Pérou, de la Bolivie et de l’Équateur, nous, qui étions présentes lors de la rencontre, avons décidé de former une instance de coordination de nos luttes et de nos idéaux, que nous avons nommée « Union latino-américaine de femmes, pour le droit à défendre nos droits ». Le Front de femmes défenseures de la Pachamama (Frente de mujeres defensoras de la Pachamama) a été l’une des organisations qui a initié la tenue de cette rencontre de femmes leaders, dont elle a été l’hôte. La rencontre s’est tenue à un moment crucial de la résistance contre l’industrie minière en Équateur. Celle-ci avait pris de l’ampleur depuis 2004 et d’importantes manifestations avaient eu lieu entre 2006 et 2007, particulièrement dans le sud du pays. Plusieurs membres du Front de femmes défenseures de la Pachamama avaient été criminalisées et faisaient face à des poursuites judiciaires; les femmes de l’organisation ont aussi été stigmatisées, réprimées, agressées physiquement et psychologiquement, détenues et persécutées par les gouvernements d’Alfredo Palacio et de Rafael Correa. Une journée à peine après la rencontre à Cuenca, Francisca Zhagüi Chuchuca, membre du comité de direction des défenseures de la Pachamama a même été arrêtée dans le cadre de manifestations convoquées par la Coordination nationale pour la défense de la vie et de la souveraineté. La Coordination exigeait de l’Assemblée constituante, chargée de réformer la constitution équatorienne, qu’elle fasse la promotion de ce qui était connu comme le Mandat minier. Le Centre de femmes autochtones Candelaria de Bolivie (Centro de Mujeres Indígenas Candelaria) et les Femmes de l’eau du Venezuela (Mujeres del Agua) sont également des organisations fondatrices de la Red ULAM. Elles ont participé à la Rencontre de femmes leaders de 2008 en Équateur et font toujours partie du réseau. Notre réseau international a éventuellement opté pour la dénomination « Union latino-américaine de femmes » et adopté le sigle aujourd’hui connu, comme la Red ULAM. C’est à ce moment-là qu’a également été formé le premier conseil d’administration, présidé par la défenseure de droits humains Lina Solano Ortiz du Front de femmes défenseures de la Pachamama, de l’Équateur. Réussites et obstacles au cours de ces dix premières années d’existence Durant cette première décennie de la Red ULAM, nous avons mis beaucoup d’efforts pour donner de la visibilité au rôle de premier plan que nous, les femmes, assumons dans les mouvements de résistance à l’extractivisme en Amérique latine, particulièrement face l’industrie minière et ce, malgré les risques élevés que cela implique du fait de la violence exercée par les gouvernements, les États, les entreprises et la population appuyant ces dernières. Ce travail nous a permis d’échanger à partir de nos propres réalités, de nos vécus et de nos expériences directes, afin de mettre en lumière les impacts graves et différenciés causés par l’incursion des entreprises minières sur nos territoires. Une des réalisations que nous pouvons souligner est d’avoir réussi à créer des espaces d’échange et d’avoir fait connaitre et d’avoir diffusé la voix des femmes d’organisations populaires en résistance à l’industrie minière. Nous constatons aussi l’importance du processus de concertation et d’alliance au sein de la Red, stratégie qui nous a permis de renforcer notre présence, notre action militante, notre leadership et la reconnaissance dont nous jouissons aux niveaux communautaire, local, régional et international. Pour illustrer le fruit du travail accompli par des membres de la Red ULAM, nous pouvons mentionner l’organisation Mujeres del Agua, active à El Pauji dans la région de Gran Sabana au Venezuela. En 2017, une femme autochtone pemon a été élue cheffe (Capitana) de ces communautés, poste traditionnellement occupé par des hommes. La cheffe nouvellement élue a formé un comité de direction composé de sept femmes, dont la vice-présidente, Valdirene Roque da Costa, est également membre de Mujeres del Agua. Tout au long de notre trajectoire en tant que Red ULAM, nous avons travaillé à la promotion, à la consolidation et à la concertation des organisations populaires de femmes. Cela constitue une tâche extrêmement ardue, dû à la réalité dans laquelle nous vivons, particulièrement dans les zones rurales. Nous en avons néanmoins tiré de grandes satisfactions. Au cours de ces dix ans, nous avons, dans certains cas, réussi à conserver nos propres espaces d’organisation. Dans d’autres cas, nous avons pu stimuler la création et/ou la consolidation d’organisations et avons appuyé et intégré de nouvelles organisations à la Red ULAM. Un autre élément important de l’expérience que nous avons vécue au cours des dix dernières années est celui de la protection des femmes défenseures à travers la solidarité active et directe. Nous avons exploré différentes manières d’appuyer les défenseures menacées, comme dans le cas de Máxima Acuña de Chaupe, qui a été accompagnée par plusieurs organisations dont l’Association de femmes à la défense de la vie de Cajamarca (Asociación de Mujeres en defensa de la Vida de Cajamarca), organisation péruvienne membre de la Red ULAM. Celles-ci étaient présentes lorsque l’entreprise minière Yanacocha réalisait des attaques et menait sa campagne de diffamation contre Máxima et sa famille. En 2015, Máxima Acuña a été nommée « défenseure de l’année 2014 » par la Red ULAM. C’est par le travail de mise en lumière, de dénonciation, d’accompagnement, de formation en sécurité et protection, de création d’alliances avec d’autres organisations aux plans communautaire, local, national et international, que nous sommes parvenues à diminuer le niveau de risque pour les femmes et les organisations qui font partie de la Red ULAM. Nous sommes néanmoins encore la cible de la violence du modèle extractif et faisons face à de sérieux obstacles en ce qui a trait à l’accès à la justice. Ceci fait en sorte que demeurent impunies les violations de nos droits commises par les entreprises minières, les gouvernements, ainsi que par la population en faveur de cette industrie. Ce contexte d’agressions et de violence n’a pas été le seul obstacle auquel nous avons fait face. Nous avons également eu à surmonter les obstacles liés à la dynamique interne de l’organisation et ses conflits permanents. Poursuivre le travail de la Red ULAM constitue ainsi un véritable défi. L’effort que nous devons faire en tant que femmes de collectifs de base pour nous maintenir organisées et concertées se convertit en une tâche supplémentaire qui n’est pas prise en compte et s’ajoute à l’ensemble des responsabilités et défis que nous devons assumer au quotidien. Considérant tous les éléments mentionnés, l’existence même de la Red ULAM depuis maintenant une décennie est pour nous une énorme réussite. Même s’il nous faut multiplier les efforts afin de répondre tout à la fois aux sollicitations de la vie familiale et communautaire, aux exigences de la lutte contre les entreprises, les gouvernements, les États et aux défis liés à la dynamique interne de nos propres organisations, nous poursuivons tout de même le chemin entamé en 2008 à Cuenca en Équateur. Conclusion Ce bref portrait de l’histoire de la Red ULAM montre à quel point ce réseau a permis une transformation radicale de la situation dans laquelle se trouvaient auparavant les organisations populaires de femmes qui en font maintenant partie. Nous avons aujourd’hui acquis une grande expérience qui nous permet de continuer d’alimenter et de renforcer la résistance à l’extractivisme, la défense des droits et de la Terre-Mère, ainsi que d’avoir une meilleure compréhension des impacts de ces types d’industries, surtout en ce qui concerne les défenseures des droits. Depuis qu’elle a été créée, la Red ULAM est un élément fondamental de notre lutte et de notre résistance. C’est pourquoi nous sommes convaincues qu’il faut continuer de nous accompagner les unes les autres, d’unir nos efforts et de travailler ensemble, en solidarité pour la cause commune que nous défendons.   Traduction par Amelia Orellana   Photo : Assemblée annuelle de la Red ULAM. Cuzco, Pérou. 2017. Photographie par Red ULAM.  
Notes [1] Coordinadora Nacional por la Defensa de la Vida y la Soberanía. « Encuentro Latinoamericana de Liderezas en Cuenca », en ligne : http://nomineria.blogspot.com/2008/03/encuentro-latinoamericano-de-liderezas.html (page consultée en octobre 2018). [2] Biodiversidad en América Latina y el Caribe. « Declaración del Encuentro de Liderezas Latinoamericanas «Defensoras de la Pachamama» », en ligne : http://www.biodiversidadla.org/content/view/full/40704 (page consultée en octobre 2018). [3] Coordinadora Nacional por la Defensa de la Vida y la Soberanía. « Urgente : brutal represión contra los luchadores antimineros », en ligne : http://nomineria.blogspot.com/2008/04/urgente-brutal-represion-contra.html (page consultée en octobre 2018). [4] Red ULAM. « ULAM celebra el Día Internacional de la Mujer en Cajamarca, Perú », en ligne : http://redulam.org/bolivia/ulam-celebra-el-dia-internacional-de-la-mujer-en-cajamarca-peru/ (page consultée en octobre 2018).abc

Trop comme pas assez / Ta mère te parle

Trop comme pas assez Enfants mal aimés Source détournée Nature assoiffée Êtres affamés Mère abusée Terre exploitée Sol intoxiqué Sans être amendé Rivières polluées Bouches asséchées Sang anémié Corps ratatinés Lieux artificialisés Nature dépossédée Cités multipliées Déserts additionnés Mort avant d’être né Peuple au manque destiné D’un désert ont hérité Ancêtres ayant exagérés   Ta mère te parle Nature abondance a prodiguée Tant que nous l’avons respectée Depuis tout ce temps abusée Elle souffre d’être affamée Par des signes leur a signalé Les humains les ont ignorés Maladie s’est installée Pénuries manifestées Ce système ne peut freiner Il est trop gros et ramifié Une masse énorme sur sa lancée Qui sur un mur va s’écraser Quelques-uns vont survivre Savent ménager leurs vivres Durant la disette ils se privent Ne l’ont pas appris dans les livres Ont vécu sans médecine Réduit feuilles, allongé racines Même si partout famine Ils ont toujours bonne mine Suivre le rythme du temps Celui qui depuis longtemps Dicte des saisons le moment De l’abondance ou du dénuementabc

S.O.S. Nicaragua. Entrevue avec Violeta Delgado du Mouvement autonome des femmes du Nicaragua

Cette entrevue avec Violeta Delgado du Mouvement autonome des femmes (Movimiento Autónomo de Mujeres) du Nicaragua a été réalisée par le Réseau international de l’Union latino-américaine des femmes (Unión Latinoamericana de Mujeres, ULAM) en août 2018, soit quatre mois après le début des manifestations et de la violente répression contre le peuple nicaraguayen. La ULAM exprime sa profonde préoccupation devant la situation au Nicaragua, ainsi que sa solidarité avec le peuple nicaraguayen et les défenseur.e.s des droits humains, et se joint aux demandes de mettre fin à la criminalisation et du retour à la paix dans cette nation sœur. ULAM : Violeta, pouvez-vous nous donner un bref aperçu de ce qui s’est passé au cours des derniers mois et de ce qui se passe actuellement au Nicaragua? Violeta Delgado : […] Ce qui se passe au Nicaragua en ce moment est la pointe de l’iceberg d’une série d’événements survenus ces dernières années dans la société nicaraguayenne. Tout d’abord, un pillage total de nos ressources naturelles, incluant la vente d’une grande partie de notre territoire national à une société chinoise pour la construction d’un canal interocéanique qui aurait un impact considérable sur l’environnement et l’avenir du pays. Ce projet comprend la création de zones économiques et politiques parallèles, et même de certaines entités juridiques indépendantes de l’État-nation. Des tensions se sont accumulées pour finalement exploser le 18 avril [2018] lors d’une manifestation organisée par des étudiant.e.s universitaires pour dénoncer l’attention insuffisante accordée par le gouvernement à un incendie dans une réserve forestière [Indio Maiz] située dans la zone concédée à l’entreprise chinoise, et pour protester contre une réforme de la sécurité sociale qui incluait une réduction du montant des pensions et une augmentation du temps pendant lequel les retraités doivent travailler pour avoir accès à la pleine pension. Les manifestations des étudiant.e.s ont été réprimées par l’État. Le premier jour, il y a eu cinq morts : cinq jeunes tués par des balles de tireurs d’élite positionnés autour de l’université nationale. Le deuxième jour, le bilan a été de 22 jeunes assassiné.e.s. On ne pouvait donc plus considérer ces actes comme une « erreur » qui aurait pu être réparée dès le lendemain en identifiant les responsables d’une telle décision, en les traduisant en justice et rectifiant la façon d’agir de la police. Au lieu de cela, ce comportement [des forces policières] a continué à s’intensifier au cours des huit jours suivants, de telle sorte que huit jours après le premier massacre, plus de 70 jeunes avaient été assassiné.e.s. Cela a mené à une manifestation nationale, à laquelle ont pris part non seulement toutes les universités à travers le pays, mais également la population qui est descendue dans les rues de Managua, Masaya, dans les quartiers autochtones de Monimbó et Sutiaba, dans les villes de Jinotega, Matagalpa et Estelí. C’est donc dire que dans pratiquement tout le pays, on a érigé des barricades pour empêcher le passage des forces de l’ordre qui s’apprêtaient à commettre des actes de répression contre la population. Pendant trente jours, les citoyen.ne.s qui protestaient ont subi des attaques et ont affronté sans armes [les forces de l’ordre]. Dans la plupart des cas, ils et elles avaient ce qu’on appelle un « mortier » (mortero), soit des tuyaux dans lesquels on met de la poudre à canon, ce qui évidemment ne peut être comparé aux armes de haut calibre qui ont été utilisées par les forces régulières et irrégulières [policières et paramilitaires] pour attaquer la population. Les barricades érigées par les citoyen.ne.s ont été démantelées une à une, causant la mort de plus de vingt jeunes dans des villes comme Masaya et Carazo. À Masaya, environ 56 muchachos (jeunes) ont été tués au cours d’actes de répression menés par la police, accompagnée par des paramilitaires. […] Chaque fois qu’il y a une manifestation civile quelconque, un rassemblement, une marche, même si ce n’est que de s’afficher avec le drapeau du pays, de la patrie, cela entraîne la sortie des forces paramilitaires dans les rues. Celles-ci ne font pas partie des forces de police, mais elles opèrent avec elles et ont semé la terreur au cours des derniers mois. […] Elles maintiennent le pays dans une situation qui est pratiquement un état de siège. La population doit rester à la maison dès 18 h ou 19 h le soir, au plus tard. L’économie du pays est dans un état de détérioration important, avec plus de 40 000 personnes exilées. De ce nombre, environ 28 000 personnes se sont rendues au Costa Rica en tant que réfugié.e.s. Nous sommes confronté.e.s à une grave crise humanitaire, à une grave crise des droits humains. Au cours des quinze derniers jours, nous avons assisté à des arrestations de leaders communautaires, en particulier de jeunes leaders. Il y a deux jours, ils en ont arrêté plusieurs, dont deux femmes, qui participaient à une marche à León. Il y a environ 400 prisonniers politiques, parmi lesquels on compte environ 50 femmes. Il y a des personnes qui sont toujours disparues depuis les massacres d’avril, de mai et de juin. Les organisations de défense des droits humains dénombrent plus de 400 personnes assassinées. La Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a recensé environ 318 meurtres confirmés au cours des manifestations, la plupart commis avec des armes à feu, d’une balle dans la tête ou au cou. Des coups de feu ont été tirés par des tireurs d’élite avec des armes à feu qui, dans de nombreux cas, ne sont qu’entre les mains de la police ou de l’armée nationale. ULAM : Merci beaucoup, Violeta, pour ce compte-rendu. Nous aimerions également savoir quelle est la situation du mouvement féministe, des organisations de femmes dans ce contexte. Violeta Delgado : Le gouvernement de Daniel Ortega a été un gouvernement assez hostile au mouvement des femmes en général et, bien sûr, au mouvement féministe. Au cours des dix dernières années, cette hostilité s’est également reflétée dans l’isolement institutionnel [...] et plusieurs organisations ont progressivement fermé leurs portes. Certaines d’entre elles ont été la cible d’attaques directes de la part de l’État, comme ce fut le cas pour le Mouvement autonome des femmes (Movimiento Autónomo de Mujeres) dont les bureaux ont été perquisitionnés. La situation s’est aggravée, de sorte qu’au cours des derniers mois, soit depuis le début des manifestations, des centaines de défenseures des droits humains ont été victimes de persécutions, de calomnies, de menaces, d’agressions physiques et verbales et d’emprisonnements, au cours desquels elles ont été soumises à toutes sortes d’abus. Nous vivons évidemment dans une situation de risque élevé. Nous sommes nombreuses à essayer de circuler le moins possible à l’extérieur de notre maison. Des pamphlets circulent dans lesquels de nombreuses leaders du mouvement, de même que des organisations de femmes, sont accusées de vouloir causer un coup d’État [d’être des « golpistas »] et d’être des terroristes. De toute évidence, nous sommes extrêmement vulnérables, à la fois en ce qui concerne notre intégrité personnelle et celle de nos organisations. Telle est la situation actuelle, et je vous en parle à la première personne, car mes possibilités de déplacement sont très limitées et c’est dans un état d’alerte élevé que je prends soin de ma famille, de mes enfants et de ma propre intégrité. ULAM : Merci beaucoup. Et dites-nous, Violeta, qu’est-ce qui a été réalisé par les organisations internationales? Nous savons que l’ONU et l’Organisation des États américains se sont prononcées. Que pensez-vous de ce que font ces organisations internationales et comment s’est manifesté la solidarité internationale des femmes d’Amérique latine et d’à travers le monde? Violeta Delgado : Disons que ça a été un processus graduel, car au début, beaucoup d’organisations et de mouvements de défense des droits humains ont continué de croire que le régime d’Ortega et de son épouse, Rosario Murillo, était un régime de gauche. Pourtant, depuis de nombreuses années, des féministes et plusieurs organisations sociales dénonçaient l’alliance d’Ortega avec le grand capital et les groupes fondamentalistes, de même que le comportement abusif du gouvernement, les violations des droits humains et la mise en place d’une dictature, qui a atteint son apogée lorsqu’il a installé sa femme [Rosario Murillo] comme vice-présidente. Je pense que c’est quelque chose qu’on n’avait pas encore vu au 21e siècle; la dernière fois qu’on avait vu cela, c’était au milieu du 20e siècle. Cela représentait un recul énorme : l’instauration d’une dictature pour laquelle le peuple nicaraguayen avait versé tant de sang déjà pour faire tomber Somoza. La première réaction a donc été une réaction d’incrédulité, y compris au sein du système interaméricain. Puis, peu à peu, cette perception a commencé à s’effriter et nous sommes parvenu.e.s à ce que les yeux du monde se tournent vers le Nicaragua et à ce que le système interaméricain prenne des mesures face à la crise dans laquelle se trouvait le pays et face aux actes génocidaires que commettait le régime en toute impunité. Nous avons ainsi obtenu la présence [d’un groupe d’experts] de la CIDH, qui a pu recueillir des témoignages de tout ce qui se passait dans le pays. […] Ce groupe d’experts ne constitue pas une commission de la vérité, mais vise plutôt à analyser les faits et à identifier les responsables des assassinats commis, si j’ai bien compris, durant la période allant jusqu’au 22 avril [2018]. Malheureusement, le nombre de morts a doublé depuis cette date, mais au moins ce n’est pas sous le couvert d’être un régime de gauche, alors qu’il assassine des étudiant.e.s, persécute des paysan.ne.s, emprisonne des leaders communautaires. Je crois que le monde, que les Amériques, et que les leaders sociaux considèrent désormais cette crise comme étant grave, ce qui signifie qu’il y a eu une avancée énorme, car auparavant, nous étions vraiment seuls, face à l’incrédulité du monde devant ce qui était en train de se passer au Nicaragua. ULAM : Violeta, pour conclure notre conversation : que peuvent faire les organisations de femmes, les réseaux internationaux de femmes et de défenseur.e.s des droits humains, les peuples et la population en général pour poursuivre la solidarité envers le peuple nicaraguayen? Violeta Delgado : Pour nous, il est fondamental et indispensable que vous continuiez à faire ce que vous faites déjà, soit d’élever la voix, et de ne pas permettre que ce qui s’est passé et qui continue de se passer au Nicaragua disparaisse du débat public. [...] Ce qui nous ramène encore au thème de l’impunité, puisque lorsqu’on cesse de mettre [les agissements du gouvernement] sous les projecteurs de l’opinion publique, on lui confère une position d’impunité et il continue à commettre des violations des droits humains. Il est à l’abri de la critique et des condamnations. Ce que vous pouvez certainement faire, vous qui êtes à l'extérieur, c’est faire ce que plusieurs d’entre nous ne sommes plus en mesure de faire. Vous pouvez sortir et vous exprimer devant l’ambassade du Nicaragua dans votre pays, continuer à dénoncer et à condamner ce qui se passe, diffuser les nouvelles et appuyer les appels à la solidarité internationale que nous, les féministes, lançons depuis plusieurs mois. En ce moment, notre objectif principal est la libération des prisonnières politiques qui sont torturées, qui sont isolées, dans certains cas dans des prisons à sécurité maximale et dont, pour leur intégrité personnelle, nous demandons la libération d’urgence. Je crois que la contribution que vous pouvez continuer à apporter est inestimable. Je pense en particulier aux féministes d’Amérique centrale qui apportent un soutien aux centaines de réfugié.e.s qui arrivent dans leur pays, au Guatemala, au Salvador, au Honduras, au Costa Rica, au Panama. Ce soutien que vous pouvez apporter aux femmes, aux hommes, aux jeunes dans leur quête de refuge de même que pour répondre à leurs besoins de base, leur permettant de survivre, sera toujours inestimable pour nous. ULAM : Nous voulons vous remercier, Violeta. L’Union latino-américaine des femmes, notre réseau international, continuera à mener des actions de solidarité. Nous resterons au fait de tout ce qui continue de vous arriver dans votre pays, dans cette nation sœur d’Amérique centrale.   Transcription et traduction par Roselyne Gagnon   Photo : « Nous exigeons la liberté! Plus de prisonnières politiques! » Courtoisie du Mouvement autonome des femmesabc

Des femmes autochtones et paysannes résistent au développement des mégaprojets hydroélectriques en Bolivie : une histoire encore peu connue

Malgré la place prépondérante occupée par Evo Morales sur la scène internationale comme défenseur des droits de la Terre-Mère et des peuples autochtones, son gouvernement est contesté chez lui, car son discours ne concorde pas avec les politiques mises en place en Bolivie. Les femmes autochtones et paysannes boliviennes forment l’un des groupes qui contestent ce double discours en luttant contre les mégaprojets d’extraction et d’énergie promus par les politiques publiques boliviennes. Ce texte vise à faire connaître la résistance menée par les femmes en Bolivie, tout en remettant en question la façon dont l’État agit et justifie l’implantation, sans consultation préalable, de mégaprojets hydroélectriques. Pour ce faire, nous déconstruirons le discours associant ces projets au développement des communautés et à une « énergie propre », tout en mettant en lumière le travail de Lidia Antty, une femme paysanne qui lutte contre deux mégaprojets hydroélectriques en Amazonie bolivienne. Mégaprojets hydroélectriques, politiques publiques et intégration régionale Le plan de développement national inscrit dans le projet d’Intégration de l’Infrastructure Régionale Sud-Américaine (IIRSA)/Cosiplan cherche à transformer la Bolivie en une puissance énergétique régionale d’ici la fin 2025 [1]. On espère ainsi générer davantage de devises en exportant de l’énergie électrique vers les pays voisins. Pour y arriver, le gouvernement envisage la construction de quatre mégaprojets hydroélectriques : El Bala (3 676 MW) qui est situé dans le parc national du Madidi; Rositas (600 MW), qui entraînera l’inondation de vastes zones de forêts tropicales et deux centrales hydroélectriques en Amazonie, Cachuela Esperanza (900 MW) sur le fleuve Beni et le barrage Binacional (300 MW) situé sur le fleuve Madeira entre la Bolivie et le Brésil. Ces mégaprojets seront construits dans des aires protégées et ceci sans consulter les peuples qui y habitent, ce qui signifie « l’occupation des territoires amazoniens et la transformation des territoires » [2]. « Le développement de la mort » Bien que l’exportation de l’énergie électrique vers le Brésil soit la principale raison de la construction de ces mégaprojets, ces derniers s’inscrivent, selon le discours du gouvernement, dans la logique de projets d’énergie propre qui contribueront au développement des communautés locales en leur facilitant, entre autres, l’accès à l’électricité et à l’eau potable. Lidia Antty [3], une femme paysanne qui mène le réseau de femmes amazoniennes et la concertation contre la construction du projet hydroélectrique Cachuela Esperanza et Binacional, n’est pas dupe de la manœuvre politique qui se cache derrière ce discours. Selon elle, « le gouvernement dit que ces projets apporteront du développement à l’Amazonie, mais en fait, c’est le développement de la mort » [4]. En effet, les catastrophes socioenvironnementales déclenchées par l’installation et la mise en œuvre des barrages de Belo Monte, Jirau et Santo Antonio au Brésil ont mis en évidence les mégarisques liés aux mégaprojets hydroélectriques. De plus, les dernières recherches sur ces mégaprojets construits dans les forêts tropicales décrivent ces barrages géants comme des « usines à méthane » [5], car celles-ci « peuvent générer plus de gaz à effet de serre que des centrales au charbon » [6]. L’argument selon lequel il s’agit d’une énergie propre est ainsi fortement remis en question. La mise en place des mégaprojets hydroélectriques entraîne également des conséquences sociales telles que la disparition des modes de vie et des cultures de ces communautés, le déplacement forcé, les inondations, la précarisation du travail en raison des offres d’emploi des entreprises de construction de mégaprojets, la prostitution et l’exploitation sexuelle et commerciale des enfants et des adolescent.e.s vivant à proximité des mégaprojets. On pense aussi à la catastrophe sociale et environnementale déclenchée par la construction du mégaprojet hydroélectrique Ituango en Colombie. Face à ces initiatives agressives de développement de mégaprojets hydroélectriques qui visent des territoires qui leur appartiennent, les communautés et les femmes affirment qu’elles vont lutter pour empêcher qu’elles se réalisent. Les femmes et la résistance en Amazonie bolivienne : loin de La Paz, près du Brésil Alors que les conséquences néfastes de la construction des mégaprojets pourraient les rendre impuissantes et vulnérables, les femmes paysannes et autochtones sont au contraire devenues des dirigeantes dans leurs communautés. Elles se sont engagées dans un processus de résistance et de protestation continu contre la pression qu’exercent ces projets extractifs sur leurs terres et les matières premières qu’elles contiennent, notamment l’eau. Leurs demandes constituent des appels d’envergure qui visent à alerter, d’un côté, les communautés potentiellement affectées par ces projets et, de l’autre, la société bolivienne tout entière. Alors qu’on parle, dans d’autre pays, de personnes touchées par la construction des barrages, nous parlons en Bolivie de personnes potentiellement affectées par les barrages, car ces mégaprojets n’ont pas encore été construits. Les possibilités que les Bolivien.ne.s souffrent du même sort que leurs camarades brésilien.ne.s et colombien.ne.s sont toutefois très réelles. Ruth Alipaz est une femme qui sera potentiellement affectée par la construction de la centrale hydroélectrique de Chepete et Bala, qui fait partie de la Communauté de communes autochtones de la rivière Beni, Tuichi et Quiquibey. Plus tôt cette année, dans son discours au Forum permanent des Nations unies pour les questions autochtones, Alipaz a affirmé énergiquement que « les projets hydroélectriques qui ne se conforment pas à une consultation préalable mettent en danger les peuples autochtones, y compris les peuples isolés, la biodiversité et les aires protégées » [7]. À son retour du Forum, elle a été intimidée et accusée par le gouvernement de ne pas être autochtone, d’appartenir aux organisations conservatrices et aux ONG internationales [8]. Ce type d’accusation fait partie des défis auxquels sont confronté.e.s les leaders de l’opposition aux mégaprojets, notamment les femmes dirigeantes. La stigmatisation des défenseures du territoire et les stéréotypes liés au genre qu’elles doivent combattre chaque jour ne les empêchent pas de lutter. À propos des défis rencontrés par les dirigeantes, Paola Gareca, dirigeante du mouvement contre les mégaprojets d’exploration pétrolière dans la réserve naturelle de Tariquia, située au sud de la Bolivie, déclare que « d’autres femmes subissent des menaces de leur mari, à qui on raconte des mensonges. Ils disent qu’on se fait payer par des ONG, qu’on a d’autres intentions. Ces situations sont en train de détruire les familles » [9]. Cette stratégie visant à éloigner les femmes de la lutte « en influençant leur mari » [10] est un défi constant auquel les femmes dirigeantes boliviennes doivent faire face. Non à la construction des mégaprojets hydroélectriques Tout en faisant face aux problèmes suscités par le machisme et le patriarcat, les femmes luttent pour dénoncer les mégaprojets en raison de l’ampleur de leurs effets destructeurs sur leurs territoires. Au-delà de la consultation, ce que plusieurs femmes exigent c’est que les mégaprojets ne soient pas construits, point final! Certaines d’entre elles remettent même en question le paradigme de la consultation préalable. Cette posture est certainement radicale du point de vue classique des droits des peuples autochtones. Cependant, cela s’aligne sur ce que déclarent plusieurs groupes autochtones au Canada pour lesquels la consultation préalable est une « politique de distraction », c’est-à-dire qu’elle fait partie « des politiques néfastes (droits, réconciliation et marchandisation des ressources) qui détournent les peuples autochtones des actes de décolonisation et de résurgence et les poussent vers un programme national de cooptation et d’assimilation » [11]. C’est exactement ce que Lidia Antty veut éviter en s’opposant aux mégaprojets. Parce qu’avant tout, ce que les femmes paysannes et autochtones boliviennes veulent éviter, c’est le déplacement forcé qui suit la construction de ces mégaprojets. Lidia, qui habite à Guayaramerín, ville frontalière avec le Brésil qui sera potentiellement affectée par les barrages de Cachuela Esperanza et Binacional, a déjà pu observer les conséquences dévastatrices de ces mégaprojets chez ses voisins brésiliens. Depuis la construction du complexe du Madeira du côté du Brésil, la communauté d’où vient Antty, située du côté de la Bolivie, a constaté une réduction considérable de la pêche et, par conséquent, le déplacement de la population vers les grandes villes [12]. Selon elle, la consultation préalable n’est donc pas l’objectif à atteindre. Sa lutte et sa résistance se centrent plutôt sur l’arrêt de la construction des mégaprojets hydroélectriques sur la rivière Madeira du côté de la Bolivie. Réseautage et alliances Lidia aide à établir des connexions entre les communautés potentiellement affectées par le projet et des groupes d’activistes mieux organisés comme le Mouvement des personnes affectées par les barrages (MAB) au Brésil, le Mouvement Ríos Vivos en Colombie et des organisations sociales basées à La Paz. Ces liens sont vitaux pour le mouvement naissant bolivien contre les barrages. De plus, pour Lidia, l’obtention d’information sur les projets est essentielle tant pour la prise de décisions que pour la résistance aux projets. À cet effet, elle et sa communauté exigent depuis des années que les banques qui financent les projets divulguent les renseignements sur l’avancement des projets. Grâce à ce travail organisé, les communautés sont mieux informées, mieux formées et sont donc davantage en mesure d’exiger le respect de leurs droits. La participation aux échanges d’expériences sur le plan international promue par le MAB, Ríos Vivos et le Forum social panamazonien (FOSPA) permet aux femmes comme Lidia de faire connaître à l’étranger la situation bolivienne, les mégaprojets prévus et les violations des droits des peuples autochtones. Il s’agit d’une action très importante dans un contexte régional où on continue d’ignorer le revers de la médaille, soit les politiques extractivistes de la Bolivie et leurs impacts sur la population – un contexte régional dans lequel la plupart des gens (les militant.e.s y compris) sont encore séduits par le discours progressiste d’Evo Morales. Voilà pourquoi on discute si peu de cette histoire et qu’elle est encore méconnue. En somme, les femmes boliviennes potentiellement affectées par les mégaprojets hydroélectriques en Amazonie bolivienne posent problème à un État qui continue à reproduire des structures néolibérales, extractivistes et patriarcales. En contestant les politiques publiques, elles exigent que cet État justifie ses démarches et soit cohérent avec son discours sur les enjeux climatiques et sur les droits des peuples autochtones.   Photo : Dans la région amazonienne, le gouvernement envisage la construction de mégaprojets hydroélectriques dans des aires protégées, et ceci sans consulter les peuples qui y habitent. Photographie tirée de Pexels.com  
Notes [1] Guzmán, Juan Carlos et Molina, Silvia (2017). Discursos y realidades : Matriz energética, políticas e integración. La Paz, Bolivia : CEDLA. [2] Molina, Silvia (2018). Mégaprojets boliviens, politiques publiques et d’intégration régionale. La Paz, Bolivia : CEDLA. [3] J’ai fait connaissance avec Lidia dans le cadre de mon travail comme chercheuse en matière d’impacts socioenvironnementaux des mégaprojets extractifs et énergétiques en Bolivie. [4] Snyder, Michael (2018). « As the Dams Rose in Brazil, so Did the Floodwaters in Bolivia. Now, Life Here Has Changed » Pullitzer, 20 août, en ligne : http://www.pulitzercenter.org/reporting/dams-rose-brazil-so-did-floodwaters-bolivia-now-life-here-has-changed (page consultée en août 2018) [5] Casaux, Nicolas (2017). « Comment les barrages détruisent le monde naturel (et non le Costa Rica n’est pas un paradis écologique) ». Le Partage 2017, en ligne : http://partage-le.com/2017/01/les-illusions-vertes-le-cas-des-barrages-non-le-costa-rica-nest-pas-un-paradis-ecologique/ (page consultée en septembre 2018). [6] Ibid. [7] « La defensa del territorio es un derecho legítimo : Respaldo de afectadxs por proyecto hidroeléctrico Rositas, a Representante indígena uchupiamona ». Chaski Clandestino, 24 avril 2018, en ligne : https://chaskiclandestino.wordpress.com/2018/04/24/la-defensa-del-territorio-es-un-derecho-legitimo-respaldo-de-afectados-por-proyecto-hidroelectrico-rositas-a-representante-indigena-uchupiamona/ (page consultée en septembre 2018). Tous les extraits cités ont été traduits librement de l’espagnol par l’auteure. [8] Ibid. [9] Quiroga, Irina (2017). « Bolivia: las mujeres en defensa de la Madre Tierra en Tarija ». Mongabay Latam, 28 novembre, en ligne : https://es.mongabay.com/2017/11/bolivia-las-mujeres-defensa-la-madre-tierra-tarija/ (page consultée en septembre 2018) [Traduit librement de l'espagnol par l'auteure]. [10] Ibid. [11] Herrera, Viviana (2015). « Critical summary of “Re-envisioning resurgence : Indigenous pathways to decolonization and sustainable self-determination” par Jeff Corntassel et “Land as pedagogy : Nishnaabeg intelligence and rebellious transformation” par Leanne Simpson ». UDEM, Été 2015, en ligne : https://www.researchgate.net/publication/319469338_Critical_summary_of_Re-envisioning_resurgence_Indigenous_pathways_to_decolonization_and_sustainable_self-determination_by_Jeff_Corntassel_and_Land_as_pedagogy_Nishnaabeg_intelligence_and_rebellious_tr [12] Snyder, Michael (2018). Op. cit.abc

Incantation (pour rompre le charme du silence)

je reviens de loin le sais-tu j’arrive de la chambre du silence je suis sortie par la porte restée entrebâillée je ne dors plus j’entre dans le pays de la parole bouillante dévalant la pente raide parole précipice aspérité parole cassée en mille miettes et qui s’élève quand même car qui dira si nous nous taisons toutes? qui dira la déferlante la beauté la honte l’hospitalité la rivière et les poissons morts dedans les eaux usées qui dira l’usure l’époque l’enfance la trahison la trahison de l’enfance qui la dira qui dira la grafigne les ronces le sang la rédemption le ciel qui refuse de refléter ma solitude ainsi je sors j’enfile mon manteau d’ambiguïtés tenaces je cours rejoindre les humains rassemblés sur le pont contemplant la glace qui hurlera la glace qui fond si les animaux sont réduits au silence? alors parle parle pour dire le chemin lumineux de la bête ancestrale les comptes à rebours qui n’en finissent plus parle même s’il est sans doute déjà trop tard pour dire non il n’est trop tard pour dire que nous ne consentions pas parle avec les mots qui viennent froids désolée encore la même histoire enrageante obsolète   bouche cousue corps tendu qui n’en peut plus de retenir la flèche inaudible   parle avant le renoncement avant l’épuisement parle il reste une lumière sur la table et les hommes peut-être ont encore une oreille sur leurs ventres féroces parle à l’aube en suspens la lutte parfois s’estompe dans les premières lueurs et la soif apparait dans sa splendeur   la famine est profonde le printemps bruissant le lit défait et la femme se lève elle revient à la parole premièreabc